Roland-Garros: Tombeur de Karlovic, Corentin Moutet est un «animal sauvage» amoureux de la liberté
TENNIS•Corentin Moutet affronte David Goffin au deuxième tour de Roland-Garros...Aymeric Le Gall
De notre envoyé spécial à Roland-Garros,
Si Corentin Moutet, 19 ans, aime tant les poèmes et leurs auteurs, c’est peut-être parce qu’il partage avec eux le même amour profond, celui de la liberté. Mais avant d’aller plus loin, rassurez-vous, on n’est pas là pour évoquer Moutet « l’intello » du circuit. Oui, il aime la littérature, lit Camus, Zola, Sartre, oui il cite Rimbaud dans ses tweets, mais on ne va pas pour autant déjà lui scotcher une étiquette sur le front comme on l'a fait avec Thomas Meunier au PSG. De toute façon il la décollera. C'est un gars libre.
aLa liberté, donc.
Ou plutôt, le refus de l’autorité. Depuis toujours. « J’ai détesté l’école, vraiment. J’ai arrêté en seconde. Je n’aime pas l’idée qu’on m’inculque un savoir, l’autorité qu’ont les profs sur les élèves me dérangeait », déclarait-il récemment à nos confrères du Monde. C’est cette décla qui nous a poussés à creuser un peu et à aller le voir à la fin de son entraînement, à deux pas de Roland-Garros, au pied du stade Jean-Bouin, alors qu’il préparait sereinement son deuxième tour contre David Goffin.
Liberté, égalité
« C’est vrai que si on prend l’exemple de l’école, on est dans un cas concret où l’enseignant est là pour dispenser son savoir aux élèves et ça ne va que dans un sens. Je trouve qu’il y a quelque chose de faussé là-dedans, nous glisse-t-il en se dirigeant vers les vestiaires, encore trempé de sueur. C’est la hiérarchie scolaire, la hiérarchie dans les relations en général, qui me dérange. » S’il a réussi à y couper rapidement (Corentin a arrêté les études en seconde), ce rapport avec l’autorité, sa relation avec ses coachs, mérite aussi d’être interrogé.
« Je tiens aussi à cette liberté dans le tennis, dans la relation avec les coachs. Ce que j’aime, c’est de pouvoir apprendre l’un de l’autre. Quand il n’y a pas de hiérarchie, tout le monde est au même niveau. Tout le monde a le droit de parole, le droit d’échanger nos points de vue. On n’est pas jugé sur les choses qu’on pense, on peut en discuter. Du coup dans le tennis, si le coach fait son job et le joueur aussi, la liberté elle est là. Lui il m’apprend, je lui apprends aussi, on apprend tous les deux. » »
Ronan Lafaix, l’un de ses anciens entraîneurs, qui tient à nous dire en préambule que le garçon est « quelqu’un d’exceptionnel, avec une intelligence supérieure à la normale », détaille un peu la manière de travailler avec lui : « Ce que j’ai adoré chez lui, c’est justement sa personnalité. Ma démarche pédagogique, c’était de lui laisser sa liberté. Le coach de "Co", son rôle c’est de lui donner les clés mais de le laisser faire les choses, c’est presqu’un rôle de manager, de guide. »
Pas un rebelle, un homme libre
Par le passé, le Parisien a connu des hauts et des bas avec certains de ses coachs, dont l’ancien tennisman pro Thierry Tulsane. Après leur séparation, lors d’un tournoi à Traralgon (Australie), Moutet débriefe ce petit bout de vie sans entraîneur pour Tennis Magazine : « J’ai joué tous mes matches sur un court perdu, sans spectateur, sans personne pour me dire si c’est bien ou si c’est mal après mes matches, hormis mes parents qui m’ont félicité. Je me suis détaché du jugement extérieur. »
« Certains coachs qui l’ont eu voulaient le faire entrer dans leurs cases, ils voulaient le brider, le contraindre. Sauf que si t’es trop directif avec lui, c’est mort, confie Lafaix, spécialiste de la préparation mentale des sportifs et auteur du blog soyezpro.com. Lui il faut le laisser libre. Il n’y a que comme ça qu’il peut développer sa créativité. Et c’est en ça qu’il est attachant. Il n’est pas rebelle pour être rebelle. Corentin, c’est un animal sauvage, un appel à la liberté ».
Et comme tout animal sauvage, il ne peut pas être apprivoisé. Une critique balancée trop sèchement et voilà que la bestiole se referme. « Avec lui (Thierry Tulasne), j’ai toujours eu l’impression de ne pas être assez fort, a-t-il confié au Figaro. On me répétait sans arrêt que je manquais de respect, que je ne m’entraînais pas assez. J’ai perdu confiance. Je me faisais tellement de mal sur un terrain et en dehors que cela ne me procurait plus de plaisir. »
Du tact, bon sang, du tact !
Alors que les vestiaires approchent et qu’il va falloir mettre fin à la discussion, il prend quand même le temps de développer.
« « Il y a une manière de dire les choses, de fonctionner. Quand c’est trop directif… C’est pas que je ne supporte pas l’autorité, c’est juste qu’il faut savoir comment dire les choses. Pour moi, personne n’est au-dessus de personne. Mon entraîneur n’est pas au-dessus de moi et je ne suis pas au-dessus de lui. C’est plus un échange que des ordres. Je ne fonctionne pas trop dans les ordres. Quand je ne trouve pas de sens à ce que je fais, quand je ne prends pas part à la réflexion, aux remarques qu’on me fait, ça ne peut pas marcher. » »
A en juger par sa progression rapide (il est désormais 141e mondial) et sa prestation parfaite contre Karlovic au premier tour lundi (7-6, 6-2, 7-6), on se dit que sa relation avec Laurent Raymond, son coach depuis deux ans, doit être à l’opposée de la météo moisie Porte d’Auteuil : au beau fixe. Il confirme.
« Ca se passe vraiment très bien. Après il y a toujours des mini-conflits. Il peut m’arriver de mal prendre ce qu’il me dit, et vice versa, mais on s’explique et on essaye de comprendre pourquoi telle ou telle chose a blessé l’autre. On a une relation forte, c’est comme une famille : de temps en temps, il y a des engueulades mais on se parle et tout rentre dans l’ordre. » En attaendant, si la famille est soudée, c'est tout seul comme un grand que Corentin Moutet devra aller au combat mercredi contre Goffin (tête de série n°8). Mais sans pression, l'esprit libéré.