France-Belgique: La Coupe Davis va bientôt mourir, est-ce que c’est si grave que ça?
TENNIS•L’épreuve a échappé de peu à une réforme de grande ampleur mais elle est boudée par tous les meilleurs…Julien Laloye
Trois pour cent des votants. Trois petits pour cent de rien du tout. Voilà ce qu’il a manqué à la Fédération Internationale pour démembrer la Coupe Davis l’été dernier lors de l’assemblée générale d’Ho-Chi-Minh-Ville. Le lifting proposé ? Fin des matchs en trois sets gagnants et finale sur terrain neutre, comme des funérailles en avance : il n’y avait plus qu’à réserver le crématorium. On y a coupé pour une histoire de règlement (vote à la majorité des 2/3, soit 66,6 % des voix exigées pour un résultat de 63,54 %), mais c’est une affaire de mois avant qu’on parle de la Coupe Davis au passé. Du moins, l’idée qu’on s’en est toujours fait. Mais les idées ont le droit de se confronter à la dure réalité de la vie. La Coupe Davis prend le chou de tout le monde, des suiveurs jusqu’aux joueurs.
- Elle s’incruste dans le calendrier comme la tarte meringuée de trop le dimanche à midi chez belle-maman
- Elle rapporte des cacahuètes (Un peu plus de 500.000 euros à se partager pour l’équipe qui remporte le saladier, soit trois 8es de finale de Grand Chelem dans l’année)
- Elle ne permet pas de progresser au classement (75 points seulement pour un simple gagné en finale, aux dernières nouvelles)
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Gasquet pour clouer le cercueil :
« « Je comprends que les joueurs qui l’ont gagnée une fois fassent l’impasse. Quand tu joues pour gagner les quatre Grand Chelems, c’est tellement dur, quand tu rajoutes les semaines de Coupes Davis, tu ne peux pas enchaîner, c’est impensable. Le calendrier est mal fait, la Fédération internationale n’est pas bonne là-dessus. » »
Un constat partagé par tous les meilleurs joueurs du monde. Regardez donc le nombre de gars du top 20 qui ont joué une fois en Coupe Davis cette saison ? Ça ira vite. Ils sont six, et presque tous des seconds couteaux, sans faire offense aux tennix (Isner, Zverev, Bautista Agut, Djokovic, Goffin, Cilic). Autant dire pas assez pour continuer à faire croire que cette compétition intéresse encore quelqu’un. A part nous.
La France fait de la résistance
Une remarque importante, puisque sur cette question, la France joue le rôle de gardienne du temple avec un enthousiasme jamais démenti malgré les déconvenues, telle une Christine Boutin en croisade dans les allées du Suzanne-Lenglen. L’esprit des mousquetaires (les vrais, pas les nôtres), l’exploit de 1991, le dimanche tragique de Bercy (Ah Paulo…) et toutes ces vieilleries qu’on ressort du placard à nostalgie pour se donner de l’importance.
Ecoutez Yannick Noah, la figure suprême du tennis tricolore, qui se trouve être à la fois le capitaine de notre équipe de Coupe Davis et le symbole vivant de ce que cette épreuve a signifié, un jour, pour le sport français.
« « Si ça continue comme ça, je suis inquiet. Quand je vois rien que la demi-finale en septembre, la joie des gens, que ça peut générer, ne serait-ce que sur le plan régional, le bien que ça peut faire pour le jeu, cette force, je me dis que c’est vraiment dommage de pas garder une telle formule. La Coupe Davis c’est l’histoire même du tennis ! Quand on se prétend amoureux du jeu qui nous a tellement donné, la moindre des choses c’est de préserver le jeu. » »
Voilà pour le laïus habituel, celui qui sonne un peu faux à force de l’entendre. Les Bleus aussi ont tous passé leur tour de manière plus ou moins glorieuse un jour en Coupe Davis, et s’ils sont les derniers à se sentir concernés, c’est surtout parce qu’ils ont été infoutus de la gagner en dix ans. Mais il y a plus intéressant si l’on prend la peine de lire Noah jusqu’au bout :
« « Quand je vois certains joueurs qui vont faire la Laver Cup, les gens qui suivent ça, tous ces moutons qui avalent les paroles des uns et des autres sans broncher, je me dis que je vis sur une autre planète. A un moment bien sûr que l’argent c’est le pouvoir, il y a parfois autre chose. Si demain on arrête l’US Open ou Roland-Garros parce qu’il y a un tournoi à Dubaï qui donne dix fois plus de prix, je ne ferai pas partie de ceux qui diront "Ah quelle émotion de se retrouver sur ce court". » »
Deux idées là-dedans >>
La première : ne pas prendre la fameuse Laver Cup à la légère. Pour ceux qui n’ont pas suivi, c’était à Prague début octobre. En échange d’un chèque indécent, les légendes du jeu, les vraies, ont disputé une sorte de Coupe du monde du tennis sur trois jours, et il faudrait être aveugle pour ne pas voir le potentiel de la bête. Federer et Nadal ensemble en double coachés par Bjorn Borg, ça a quand même une autre gueule que Pouille-Darcis, même en cinquième match de la finale dimanche soir. Si les recettes suivent (85.000 spectateurs en République Tchèque), la Laver Cup, qui se déroulera l’an prochain à Chicago, peut devenir un concurrent plus que gênant.
aLa deuxième : la Coupe Davis est peut-être la première digue, celle qui entraînera tous les autres si elle devait céder. Si on peut éclipser aussi facilement que ça une épreuve centenaire solidement ancrée dans la tradition, qu’est-ce qui interdira demain de remplacer Roland-Garros par un immense tournoi monté de toutes pièces au Moyen-Orient, ou de décréter qu’Indian Wells mérite le statut de Grand Chelem au même titre que Wimbledon ou l’US Open ? C’est encore un débat théorique, mais il mérite peut-être qu’on se batte pour sauver la Coupe Davis en lui redonnant une place centrale dans la saison.
Ne la jouer qu’un an sur deux, la solution miracle ?
Comment ? En la disputant moins souvent, mais mieux, répond Jean-Paul Loth, ancien capitaine des Bleus et consultant toujours très avisé : « Il ne faut pas dénaturer la plus belle des épreuves de ce jeu, la seule où vous voyiez 20.000 personnes prêtes à se battre pour un match entre le 50e et le 60e joueur mondial. Au contraire, il faudrait la mettre en valeur au même titre que les Grand Chelem, en proposant plus de points pour chaque match gagné. La Fédération internationale, qui tire ses ressources exclusivement de la Coupe Davis, ferait bien de se bouger. Quitte à ne l’organiser que tous les deux ans, par exemple. »
L’idée d’une organisation bisannuelle semble faire l’unanimité chez les joueurs. Cela donnerait déjà moins d’excuses aux absents sans toucher aux fondamentaux : l’avantage du court à la maison, et les marathons du dimanche après-midi au bout des crampes et des cinq sets. Peut-être alors remerciera-t-on les résistants d’Ho-Chi-Minh-Ville qui ont offert un an de répit supplémentaire à ce vieux schnock malade.