RUGBYCote d'amour, murges et Zombie… On vous raconte la folie irlandaise à Paris

Irlande - Nouvelle-Zélande : Cote d'amour, murges et Zombie… On vous raconte la folie irlandaise à Paris

RUGBYLes Irlandais mettent un boxon pas possible depuis le début de la Coupe du monde de rugby 2023. On a donc décidé de marcher sur leurs traces pour voir à quel point ils sont fous
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • Une fois n’est pas coutume, les supporteurs irlandais s’illustrent depuis le début de la Coupe du monde par leur ferveur contagieuse
  • Les moments de communion entre le public et le XV du Trèfle, notamment au Stade de France contre l’Afrique du Sud et l’Ecosse, comptent parmi les moments forts de la compétition
  • En dehors de l’enceinte sportive, il faut se rendre Boulevard de Clichy pour humer l’ambiance irlandaise avant les matchs

De notre envoyé spécial dans les pubs,

C’est un mercredi après-midi comme un autre sur le boulevard de Clichy, où cohabitent population locale, chauffards à vélib et touristes avides de Moulin Rouge et Sacré Cœur. Pourvu qu’ils en aient profité, car en ce week-end de quarts de finale de Coupe du monde et comme chaque jour de match de l’Irlande à Paris, l’artère se noiera sous une marée verte. S’ils se font plus rares en semaine, les Irlandais ne quittent jamais vraiment les lieux : l’existence des pubs voisins que sont le Corcoran’s et le O’Sullivan By The Mill justifieront toujours leur présence.

« C’est un peu le boulevard des irlandais » plaisantent Donald et Madeleine, un couple, la quarantaine, entre deux gorgées de Guinness à côté d’un tonneau qui leur sert de table. Ici, on parle anglais et on passe les matchs de la légende du snooker Ronnie O’Sullivan à la télé en ressassant les premiers exploits du XV du Trèfle avant d’affronter les All-Blacks. Il y a consensus parmi la demi-douzaine d’interlocuteurs : « le temps fort pour le moment, c’était notre troisième match contre l’Afrique du Sud. On sent qu’un truc s’est créé ». Et bien sûr, on vous explique volontiers pourquoi les supporteurs irlandais sont les meilleurs de cette Coupe du monde.

C’était déjà les meilleurs à l’Euro 2016

Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Les Irlandais ont capitalisé sur cette maxime pour fonder leur bonne image à l’extérieur et particulièrement en France, où il est question de se distinguer à tout prix du rival commun, l’Angleterre. « Quand je vais faire mes courses quelque part en France, explique Donald, je m’arrange pour dire "je suis irlandais" parce que je veux être sûr de ne pas être confondu avec un Anglais. » Le syndrome des « Canadiens qui voyagent avec une feuille d’érable sur leur sac à dos de peur d’être pris pour des Américains » selon Paraic Maguire, membre émérite de l’association Irish in France et grand passionné de pétanque et de Calvados.

« Ça remonte à la première qualification historique de l’Irlande pour l’Euro de foot en 1988, explique l’expatrié. C’était une victoire d’y être. On voulait véhiculer notre joie, et montrer que, n’étant pas anglais, on ne se comportait pas comme eux. C’était l’époque des hooligans. Donc ceux qui sont allés en Allemagne en 1988 se sont très bien comportés et se sont forgé une bonne réputation. On ne veut pas la perdre donc tout est autopolicé. C’est pour ça qu’il y a rarement des troubles avec les supporteurs irlandais. »

Lors de l’Euro 2016 de foot, les Boys in Green s’étaient distingués en s’ambiançant avec riverains et policiers et même en réparant des voitures. Quatre ans plus tôt, à l’Euro 2012, l’Irlande avait reçu un prix du meilleur public. Cette année, ils nous font surtout marrer en jouant au rugby aux abords du Stade de France, à travailler les touches ou tenter des drops au milieu de la foule.

Zombie ou l’apothéose du phénomène irlandais

Donald a un plan très précis pour le XV du Trèfle : victoire en quarts contre la Nouvelle-Zélande, en demies face au pays de Galles et retrouvailles en finale avec les Springboks. « Ma finale idéale serait Irlande-France, mais d’un point de vue très pragmatique, j’aurais plus de chance d’avoir des billets pour la finale si vous n’y êtes pas. » Notre supporteur sait de quoi il parle, quelques jours plus tôt, il a bravé la file d’attente virtuelle pour la potentielle demie des Irlandais, un pur calvaire. « Vous imaginez pendant treize heures, de 8 à 21, je rafraîchissais la page toutes les cinq minutes. » « Je l’ai filmé en train de devenir fou, vous voulez voir la vidéo ? », se marre encore sa compagne. On peut comprendre l’obstination quand on voit à quoi ont ressemblé les précédentes fêtes au Stade de France, face à l’Afrique du Sud et l’Ecosse. Du vert partout, un boucan d’enfer dans les moments clés, capables de vous faire basculer un match comme à domicile.

« C’est même mieux qu’à Dublin parce que là-bas les gens qui prennent leurs billets vont au stade pour regarder le match en restant gentiment assis. À l’Aviva, tu es comme au cinéma, tu dois parfois laisser passer les gens qui veulent aller aux toilettes en plein match. Les meilleures expériences de supporteur sont lors des déplacements pendant la Coupe du monde, parce qu’ici tous les supporteurs viennent pour mettre une bonne ambiance. » »

Et accessoirement chanter Zombie, des Cranberries, à la fin du match. Une tradition empruntée aux fans du Munster, d’où était originaire le groupe porté par feu Dolores O’Riordan. Le personnage problématique de la chanteuse et le contexte clivant du morceau n’ont que très peu affecté l’enthousiasme ambiant. « Ce n’est pas un chant rebelle, proteste Brian, un autre Irlandais alpagué Place de Clichy. C’est un chant d’unité, contre la violence. Les gens qui pensent l’inverse n’ont rien compris. » « Oui, c’est une chanson qui rassemble, abonde le demi de mêlée, Connor Murray. Bundee (Aki) pense qu’ils chantent “Bundee, Bundee”, mais c’est pas du tout ça. » La chanson a en outre l’avantage d’être inclusive : le XV du Trèfle est aussi celui de l’Irlande du Nord, qui ne se reconnaît pas dans le seul hymne irlandais joué avant les matchs de la Coupe du monde.

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Le XV du Trèfle reconnaissant

La fête est au peuple, mais contamine joueurs et journalistes. Le phénomène est tel qu’il n’y a plus une conférence de presse post-match sans allusion ni remerciements au public du Stade de France. Notre petite préférence va à Johnny Sexton, aussi sûr de sa force que de celle de ses fans. « Mon frère m’a envoyé un message trois heures avant le match [contre l’Ecosse]. Il était au stade et il m’avait prévenu. Un kiné écossais m’avait dit que ce serait 50-50 dans les tribunes, cette semaine. Je lui ai dit : “tu vas voir !’ » La règle est la suivante. Tant qu’ils ne joueront pas la France, les Irlandais seront à la maison. « Incroyable, ce n’est pas assez fort, c’est ahurissant de voir le nombre de supporteurs irlandais, le bruit qu’ils font, s’est quant à lui ému le pilier Andrew Porter. Cela rend humbles de voir tous ces gens ici, et on essaie de faire le meilleur match possible pour eux. »

La folie verte, du boulevard de Clichy au Stade de France

Retour au O’Sullivan By The Mill, où Emily, une Irlandaise installée en France depuis un an, nous sert une pinte de bière blonde. Mi-heureuse, mi-crevée, la serveuse subit chaque week-end les festivités. « Le vendredi est la journée la plus fatigante, celle où les supporteurs débarquent. » Les jours de matchs, non plus, ne sont pas de tout repos. « Il faut venir ici, insiste Donald ! Ça commence dès 9h, jusqu’à 15 ou 16h, et ensuite on file au stade. » Ceux qui n’ont pas de billets se colleront sagement des murges devant la télé du pub. « Les O’Sullivan sont partenaires d’Irish in France, explique Paraic Maguire, donc nous organisons des évènements dans les pubs pour chaque match. »

Moustache
Moustache - David Gibson/Fotosport/Shutterst

Au coup de sifflet final, Emily et ses collègues se prennent en pleine face le boomerang de fans irlandais de retour de Saint-Denis. Bière, vodka, gin, tous les mélanges sont permis pour célébrer les victoires de la bande à Sexton. Emily sature un peu. « Cette coupe du monde c’est vraiment l’occasion de mettre en lumière les problèmes d’alcoolisme de notre peuple, on a des clients qui partent à 6h du matin et reviennent boire à 11h. »

Brian plaide coupable. « Après l’Ecosse on était un petit groupe sur le boulevard à 7h du matin en train de chanter alors qu’on tenait plus debout. Le lendemain je me suis réveillé à 18h. J’ai mangé un truc, je me suis recouché et je suis passé au jour suivant. » « Parfois certains s’endorment avant 21h et ratent même le match parce qu’ils ont trop bu, même si c’est rare, regrette Maguire. C’est de la mauvaise publicité, on va dire. Mais la quantité d’alcool consommée ici, c’est juste pour l’occasion, pas le reflet du quotidien des Irlandais. »

L’acte III de la folie verte à Paris aura lieu samedi à l’occasion du match contre les All Blacks. Le dernier ? « On a de grandes chances de gagner mais on se méfie, prévient le couple de supporteurs. On espère que l’équipe saura tirer les leçons du passé et ne se laissera pas ronger par le fait de n’avoir jamais passé les quarts de finale en Coupe du monde » Au pire, il restera toujours les Irlandais de France. On les estime à plusieurs dizaines de milliers. Mais ceux-là sont plus sages.