mondialLe consommateur idéal ? Sociologie économique du supporteur de rugby

Coupe du monde de rugby : Pas regardant sur la dépense, le supporteur de rugby est-il le consommateur idéal ?

mondial600.000 fans étrangers sont attendus en France à l’occasion de la Coupe du monde 2023. Une aubaine économique pour le pays, tant le supporteur de rugby a tout du consommateur parfait
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Pour viser les quelque 2 milliards d’euros de retombées économiques lors de la Coupe du monde de rugby, la France compte sur un spécimen bien précis : le supporteur de ballon ovale.
  • Ce dernier est souvent aisé financièrement, gros consommateur et calme, soit toutes les caractéristiques requises pour remplir les caisses françaises.
  • 20 Minutes s’est plongé dans la sociologie de l’ovaliste pour expliquer en quoi il représente un petit pactole sur pattes.

Pelage abondant, corps bâti d’un mélange de muscles et de gras, œil plus ou moins vif et amour démesuré pour les paquitos… À l’occasion de la Coupe du monde, il sera possible d’observer en France des troupeaux de supporteurs de rugby venus du monde entier. Un phénomène exceptionnel, le fan de ballon ovale hibernant normalement en cette période de l’année, préférant ne sortir que dans la froideur de février et mars pour le 6 nations.

Si vous croisez un de ces spécimens, ne paniquez pas, ne le nourrissez ou ne l’hydratez pas - il s’en charge très bien tout seul –, et ne vous inquiétez pas trop pour lui : il sera très bien traité en France. Car loin d’être une menace pour la faune et la flore environnante - malgré sa carrure dense, l’ovaliste est d’une relative paisibilité –, le supporteur de rugby est vu comme une aubaine financière pour le pays, et porte plus les caractéristiques du parfait consommateur à choyer que d’un dangereux prédateur à chasser.

Une population venue de pays riches

Tout commence par son lieu de naissance. A l’exception du natif français, le supporteur de rugby est anglo-saxon ou n’est pas. En prenant en compte les pays des anciens vainqueurs du trophée Webb Ellis (Nouvelle-Zélande, Angleterre, Australie, Afrique du Sud), on obtient un PIB par habitant moyen de 40.500 dollars. Rajoutez en favoris de cette édition 2023 l’Irlande (100.000 dollars de PIB par tête) et la France (43.000) et vous obtenez un beau panel de porte-monnaie. En comparaison, le dernier vainqueur de la Coupe du monde de football, l’Argentine (oui on sait, c’est douloureux), ne possède qu’un PIB de 10.500 dollars par habitant. Le pays le plus titré au foot, le Brésil, fait encore pire avec 7.500 dollars par personne.

Alors certes, lorsqu’un fan de football se déplace pour un mondial, il a de bonne chance de venir des classes aisées. « Cela s’applique moins pour une Coupe du monde en Europe, où des supporteurs aux revenus assez modestes peuvent venir vu le faible coût du trajet, mais ne vont pas trop dépenser sur place, le billet et le déplacement étant déjà assez cher comme ça », note Jean-Pascal Gayant, économiste de sport à l’université de Rennes. Rien de tout ça au rugby, avec des fans européens composés d’Anglais, de Gallois, d’Ecossais et d’Irlandais, bref des pays a minima aisés. Durant l’Euro 2016, dernière compétition internationale française (oui, on le sait, c’est douloureux aussi), le visiteur étranger avait claqué 125 euros en moyenne par jour. Selon une étude BVA de 2022, le supporteur de rugby hors Français devrait dépenser deux fois plus quotidiennement pendant la Coupe du monde.

De la bière, de la bière et de la bière

La réputation de parfait consommateur de l’ovaliste ne vient pas seulement de son porte-monnaie, mais principalement de son foie à toute épreuve. Vous l’avez sans doute déjà aperçu brouter de l’alcool dans les pâturages environnants, avec un débit fascinant. Lors de la Coupe du monde de rugby 2015, située en Angleterre, la consommation de bière avait - en moyenne - été six fois supérieure à celle enregistrée lors des rencontres de la Premier League, le championnat de football national, note Pierre Rondeau, économiste du sport. A l’occasion du mondial Japonais, en 2019, la production annuelle de bière du pays avait augmenté de plus de 70 %.

Pour Tom, gérant du pub Le mouton noir à Montpellier, il n’y a même pas match : « Comparé aux footeux, le fan de rugby boit beaucoup plus - et beaucoup plus longtemps. Il faut 2 ou 3 fans de foot pour avoir l’ardoise d’un seul supporteur du rugby ». La compétition parfaite pour un bar, en quelque sorte : « Les JO finissent par endormir les gens ou amènent un public plus familial - donc moins buveur. Le football brasse trop large et amène des gens moins riches, trop jeunes ou au contraire trop âgés pour vraiment consommer beaucoup ».

Pas cher à entretenir

A cela s’ajoute une moindre organisation par rapport à la gestion des homos footixus, cousin éloigné. Sans tomber dans les clichés, le supporteur de rugby est réputé plus calme. Pour rappel, lors de la dernière Coupe du monde de rugby au Japon, le plus gros scandale des supporteurs fut… un paquito bien innocent de fans français dans un métro. Loin des drames et des actions violentes qui jalonnent parfois le football. Ce qui augmente encore la rentabilité de l’ovaliste, précise Jean-Pascal Gayant : « Une coupe du monde de rugby coûte bien moins cher niveau organisation et gestion des foules. Moins de policiers, moins de contrôle, moins de protection… C’est donc d’autant plus intéressant à organiser : les supporteurs accueillis dépensent beaucoup et coûtent peu de frais. »

Moins de monde aussi. Quelque 600.000 étrangers sont attendus pour l’évènement, deux fois moins que pour les Jeux olympiques de 2024, mais également un score bien loin du million de supporteurs du mondial de foot 2022 au Qatar et à des années-lumière des 3,4 millions de l’édition précédente en Russie.

Une espèce éphémère ?

Pour parfaire une dernière fois l’analogie avec le football, 600.000 supporteurs, c’est à peu près le nombre de venus pour l’Euro 2016 en France. Si ces derniers dépensaient deux fois moins par jour, l’homo footixus restait en moyenne… deux fois plus longtemps : 7,9 jours pour le ballon rond, 4 pour l’ovale, selon l’étude BVA. Une situation qui peut s’expliquer par l’écart entre les matchs à l’occasion de cette cuvée 2023. Pour préserver les organismes et les athlètes, une équipe ne peut pas jouer plus d’une fois par semaine, ce qui rend la visite de la France parfois bien longue, là où en 7,9 jours à l’Euro, vous pourriez voir deux ou trois matchs de votre équipe.

De quoi amoindrir le bilan économique ? Pas vraiment. « Entre une personne qui boit dix pintes et deux qui en boivent cinq chacun, je préfère la première option, targue Tom. Idem entre un gusse qui boit ces 10 pintes en une soirée et un autre qui met deux fois plus de temps. Cela libère plus de place dans mon bar pour d’autres gens. Si les fans de rugby restent moins longtemps, sont moins nombreux, mais dépensent autant, c’est parfait. » Le supporteur de rugby reste le parfait consommateur, jusque dans sa rareté.