Les athlètes de haut niveau parviennent-ils vraiment à dormir après leurs exploits ?
#20MINUIT•Entre shoots d’adrénaline et douleurs physiques, les sportifs éprouvent de grandes difficultés à trouver le sommeil dans la foulée de leurs matchs/coursesJérémy Laugier
L'essentiel
- Pour la plus courte nuit de l’année, 20 Minutes est passé en mode #20Minuit et est allé à la rencontre de ceux qui vivent, travaillent, dansent ou transpirent la nuit. #20Minuit, c’est une série d’articles, de vidéos, podcast ou quiz à lire, à regarder ou à écouter de jour comme de nuit.
- On s’intéresse ici aux athlètes de haut niveau et à leurs difficultés à trouver le sommeil après leurs matchs/courses/exploits sportifs, notamment en raison de l’adrénaline emmagasinée en soirée et de leurs douleurs physiques.
- Médecin du sport et du sommeil, François Duforez et différents sportifs nous éclairent sur cette problématique essentielle de la récupération.
L’ailier congolais de l’Union Bordeaux-Bègles Madosh Tambwe s’est fendu d’une étonnante confession, le mois dernier dans L’Equipe, au sujet de ses habitudes d’après-match en Top 14 : « Le docteur nous propose des pilules pour dormir, parce qu’avec les douleurs musculaires, on peut avoir du mal à trouver le sommeil. J’en prends car avec l’adrénaline du match et mon esprit hyperactif, il m’est impossible de m’endormir avant 5 heures du mat. »
Le décor est planté : les sportifs professionnels vivent-ils tous une telle galère pour récupérer de leurs efforts en soirée ? Médecin du sport et du sommeil, qui intervient notamment auprès du XV de France, à la demande du sélectionneur Fabien Galthié, François Duforez nous explique que Madosh Tambwe a sans doute recours, comme beaucoup d’athlètes, à « de la mélatonine », connue sous le nom d’hormone du sommeil.
« Personnellement, je ne prescris pas de pilules de ce genre et je ne suis pas favorable au fait de les institutionnaliser, précise François Duforez. Mais hormis les anxiolytiques, qui ont des effets secondaires sur les temps de réaction et qui peuvent créer une dépendance, celles-ci peuvent être intéressantes. Il y a un côté placebo qui peut rassurer les joueurs, et les pilules à base de la plante valériane ont des effets bénéfiques prouvés pour le sommeil, tout comme la mélatonine. » Il ne faut donc surtout pas en prendre quelques heures avant un quart de finale de Roland-Garros (coucou Stefanos Tsitsipas).
Un endormissement moyen vers 3h30 ou 4 heures
François Duforez, qui collabore aussi avec la Fédération française de basket et celle de handball, après avoir côtoyé les footballeurs de l’AS Monaco, définit ainsi sa mission : « Dans un cadre collectif, il faut trouver des solutions individuelles, et ça ressemble presque à une enquête policière pour comprendre comment améliorer le sommeil de ces sportifs ». A en croire athlètes comme spécialistes du sommeil, cela sonne même comme une mission impossible les nuits suivant un grand rendez-vous sportif.
« J’ai pu échanger avec environ 200 joueurs professionnels, et lorsqu’ils disputent un match le soir, ils ne s’endorment en moyenne que vers 3h30 ou 4 heures du matin, résume François Duforez. Et encore, c’est sans compter sur les matchs à l’extérieur avec retour en avion dans la nuit. » »
Nous vient même en tête la récente perf titanesque de Gaël Monfils contre Sebastian Baez, au premier tour de Roland-Garros (7-5 au 5e set après y avoir été mené 0-4). 3h47 d'un match conclu à 0h18 sur un Central en transe, une conférence de presse bouclée à 1h50, et une présence neuf heures plus tard, au bord du court Simonne-Mathieu, pour soutenir son épouse Elina Svitolina, normal… Mais mis à part un exemple aussi extrême que l’exploit de « la Monf », pourquoi met-on systématiquement autant de temps à s’endormir, même après un soporifique 0-0 d'un match de football sans grande histoire en milieu de saison ?
Marion Delespierre débriefe son sacre mondial à 4 heures du mat
« Les dépenses physiques entraînent une importante hausse de la température corporelle, et il faut que celle-ci baisse pour pouvoir trouver le sommeil, explique François Duforez. De même, les émotions liées à la performance sportive entraînent de la dopamine, de l’endorphine et de l’adrénaline. » Euphorique après son premier titre de championne du monde de trail long (87 km et 6.500 m de dénivelé positif), le 9 juin à Innsbruck, Marion Delespierre n’est parvenue à dormir que trois heures dans les deux nuits qui ont suivi en Autriche : « Je ressentais des douleurs articulaires et musculaires partout, une hyperexcitabilité cérébrale, et un pic de cortisol en pleine nuit ».
Vous l’aurez deviné à l’évocation de cette hormone de stress physique ou émotionnel, la Lyonnaise de 36 ans est également médecin du sport. « J’étais crevée mais je repensais sans cesse à cette victoire, poursuit-elle. On s’est même retrouvées à papoter de la course dans notre chambre à 4 heures du matin avec ma coéquipière en équipe de France Audrey Tanguy. »
Les lumières du stade compliquent aussi le sommeil
L’ultra-traileur amateur Aurélien Sanchez a eu beau rentrer dans l’histoire le 17 mars en devenant le premier finisher français de la mythique Barkley (200 km et 20.000 m de D + en 58h23, avec une seule sieste de 15 minutes au milieu), il n’a pas eu la même problématique d’endormissement que Marion Delespierre. « J’étais tellement fatigué que j’ai aussitôt dormi profondément, se souvient cet ingénieur toulousain de 32 ans. J’avais comme une sensation de décalage horaire. Mais ma tête n’était pas vraiment sortie de la course et je me suis réveillé en sursaut car je me croyais encore en pleine cinquième boucle de la Barkley. »
Loin de la noirceur du glaçant parc de Frozen Head (Tennessee) où Aurélien Sanchez s’est révélé au monde, un autre facteur contribue à compliquer l’endormissement des joueurs professionnels selon François Duforez : « N’oublions pas que dans un stade, ils subissent 10.000 lux de lumière pendant deux heures, ce qui bloque la sécrétion de mélatonine, l’hormone naturelle qui rythme le sommeil et qui a besoin d’obscurité ».
La junk food spécifique au rugby, « un sport d’excès »
Ajoutez à cela certaines habitudes déroutantes de joueurs après une rencontre, à l’image de Madosh Tambwe (toujours lui) : « Là, c’est relâche totale : j’avale quatre cheeseburgers, deux boîtes de chicken tenders spicy, deux wraps, un King Burger. Si j’ai encore faim, il m’arrive de me commander un Uber Eats ». A quel point toute cette junk food complique-t-elle la récupération d’un athlète au juste ? « Ça, c’est un peu spécifique au rugby, qui est un sport d’excès, tant pour la consommation d’alcool que de nourriture après les matchs, sourit François Duforez. Si on mange trop, la digestion nécessaire fait monter la température corporelle et retarde donc l’heure d’endormissement. »
Quelles solutions pour limiter la casse, hormis donc d’éviter de dévaliser un fast-food ? Il convient évidemment d’éviter l’utilisation des écrans, surtout si c’est pour revoir en boucle son match, ce qui continue à stimuler le cerveau. « La cryothérapie et les bains à 10 °C ont de nets effets sur la température corporelle », note François Duforez. Le médecin membre du Centre européen du sommeil conseille aussi aux clubs et aux fédérations d’éviter les footings de décrassage en lendemain de match, qui ont longtemps été la norme en France.
« Des risques plus grands de blessures musculaires »
« Je n’ai jamais bien compris leur utilité, reconnaît-il. La meilleure récupération reste le sommeil. Pour un joueur professionnel, s’endormir tard n’est pas forcément un problème si l’organisation s’adapte et lui permet de combler sa dette de sommeil le lendemain matin. Et si besoin aussi avec des siestes, qui permettent de récupérer, même si on ne s’endort pas profondément. » Les conséquences d’une « dette de sommeil » peuvent être fatales, entre « des risques plus grands de blessures musculaires, un système immunitaire moins efficace et des troubles comportementaux ».
C’est pourquoi un champion comme Novak Djokovic s’est épanché, en pleine quinzaine victorieuse à Roland-Garros, sur l’importance qu’il accorde à son sommeil, notamment durant un grand tournoi : « J’essaie d’avoir ces huit ou neuf heures de bon sommeil par nuit, en particulier si je fais des efforts physiques importants pendant la journée. C’est ma routine, avec de courtes siestes et de la méditation, et cela m’aide beaucoup à me sentir en pleine forme, frais ».
Jamais sans mon oreiller
A l’instar du buteur de Manchester City Erling Haaland, le phénomène de la natation tricolore Léon Marchand (21 ans) vient de confier ce mois-ci qu’il utilise « des lunettes filtrant la lumière bleue du soleil pour mieux dormir ». De son côté, l’aventurier Rémi Camus, qui a bouclé mardi son énorme défi de 180 km à la nage entre Calvi et Monaco (en treize jours), décrypte l’importance du sommeil pour ce genre de projet.
« J’essaie d’avoir le même rythme de coucher. J’ai peu à peu compris à quel point il était essentiel d’avoir l’esprit clair via un sommeil réparateur. Depuis mes nombreux stages de survie, je sais m’endormir en seulement dix secondes. Je me vide la tête, je lâche prise et je me concentre sur la respiration, grâce à des exercices de sophrologie, pour éviter de ressasser les difficultés de la journée. » »
De même, Marion Delespierre a recours à « du body scan [une technique de méditation reconnue] et de la cohérence cardiaque » pour tenter de faciliter son sommeil. François Duforez plussoie ces habitudes : « Il faut prendre un rythme de 12 à 14 respirations à la minute pour stimuler le système nerveux parasympathique et normaliser la fréquence cardiaque ». Le docteur du sommeil conseille également aux athlètes de trouver leurs propres « techniques et rituels d’endormissement ».
Notre dossier #20minuit
« J’ai échangé avec un joueur qui regardait dans son lit des vidéos de vagues sur sa tablette, et ça l’endormait en cinq minutes », raconte-t-il. Marion Delespierre nous apprend même que certains traileurs ont pris l’habitude d’emmener systématiquement en compétitions leur oreiller de la maison. On touche là à la dimension de superstition, aussi inhérente au sport de haut niveau que les mini-nuits donc.
À lire aussi