XV de France: «Je suis triste quand je vois cette équipe», trois légendes du jeu jugent les Bleus
RUGBY•Le Néo-Zélandais Sean Fitzpatrick, l'Irlandais Brian O'Driscoll et l'Argentin Hugo Porta portent un regard sans concession sur l'équipe de France...Propos recueillis par Nicolas Camus
L’état de délabrement du XV de France n’a échappé à personne. Et le plus fou dans tout ça, c’est peut-être que les étrangers qui connaissent bien le rugby sont presque plus énervés que nous quand on les lance sur le sujet. On en a fait l’expérience à l’occasion des Laureus Awards, à Monaco, la semaine dernière. Sean Fitzpatrick, Brian O’Driscoll et Hugo Porta étaient là. Pas n’importe qui, tout de même. On prend un peu de temps pour détailler les CV, ça vaut le coup.
- Sean Fitzpatrick, plus de dix ans chez les All Blacks dont la moitié comme capitaine (1986-1997), champion du monde et parmi les meilleurs talonneurs de sa génération.
- Brian O’Driscoll, référence absolue au poste de trois-quarts centre en Europe, quinze ans de présence en équipe d’Irlande (1999-2004), deux fois vainqueurs du Tournoi des six nations, dont il détient le record du nombre de matchs disputés.
- Hugo Porta, seul Argentin à faire partie du Temple du rugby, demi d’ouverture et capitaine de l’équipe nationale de 1977 à 1990.
Du coup, quand ils parlent, on a tendance à vouloir les écouter. Avant la rencontre face à Angleterre, samedi, ils livrent leur sentiment sur l’équipe de France, autour d’un thème qui leur est cher et qui pourrait contribuer à un renouveau des Bleus.
Le comportement, par Sean Fitzpatrick
« Il y a toujours de la qualité chez les Français, mais il faut aussi un grand manager. Les meilleures équipes du monde, aujourd’hui, ont les meilleurs coachs du monde. Donc vous devez trouver le bon coach, celui qui tirera le maximum des joueurs. La manière dont ils ont joué hier [lors de la victoire contre l’Italie, le 23 février] ne suffira pas pour gagner demain. Est-ce que Brunel est l’homme qu’il faut ? Je ne sais pas… Je ne sais pas. Je l’ai suivi un peu quand il entraînait l’Italie. On dirait qu’il veut changer l’attitude, le comportement des joueurs. C’est une bonne chose.
Ce qui manque aux Français, c’est de se concentrer vraiment sur l’équipe nationale. Regardez l’Angleterre, l’Irlande, l’Ecosse. Regardez comment ils ont fait évoluer leur jeu aussi, en s’inspirant parfois un peu des Blacks d’ailleurs. C’est la référence des sélections nationales, mais les joueurs français doivent comprendre que pour arriver à ça, c’est une énorme préparation mentale et beaucoup de sacrifices. Pour une Coupe du monde, il vous faut une profondeur d’équipe. C’est ça qu’il faut travailler sur les 12 prochains mois. »
Le poste de demi d’ouverture, par Brian O’Driscoll
« Vous avez rappelé Lionel Beauxis pour les derniers matchs… Ce n’est pas un choix d’avenir! Ce n’est pas la réponse à vos problèmes. Je comprends que les Français soient en train d’essayer de trouver des solutions pour s’en sortir, mais ça ne va pas être lui qui va porter le numéro 10 à la prochaine Coupe du monde, si ? C’est un peu tôt pour [Matthieu] Jalibert. C’est une chose d’être performant avec les moins de 20 ans… mais les options de jeu qu’il a prises contre l’Irlande lors du premier match, ce n’était pas possible à ce niveau. C’était trop pauvre pour les Six Nations. Anthony Belleau, en revanche, ça peut être bien de lui donner du temps de jeu. Je sais que Brunel doit gagner quelques matchs pour avoir de la tranquillité, mais il faut donner l’opportunité aux joueurs de briller avec ce maillot.
Le problème de la France depuis quelques années est qu’il n’y a aucune stabilité au poste de numéro 10. Pourtant, il n’y a pas de qualité standard à attendre d’un ouvreur. Prenez Michalak dans ses grandes années, il était excitant à voir jouer. Peut-être un peu lent, mais c’était le style de l’équipe aussi, c’est pour ça qu’on aimait voir jouer la France, parce que quand il allumait la lumière c’était beau. Il pouvait faire de mauvais matchs, être presque catastrophique même, mais bien plus souvent il était solide, il guidait le jeu français et ça avait des conséquences positives.
Après lui, Trinh Duc était censé être le nouveau demi d’ouverture de référence, mais il a eu des problèmes physiques. Franchement, même en cherchant loin, je ne me souviens pas d’un numéro 10 dominant, qui a imprimé son autorité sur le jeu de la France, qui est venu et a dit « ça, c’est mon maillot pour les six ou sept prochaines années ». Toutes les équipes se sont bâties sur de grands 10. Wilkinson, O’Gara, Sexton, Biggar, Farrell, etc. Ils ont tous été là pendant un long moment. La France n’a pas cette continuité. Quand vous changez vos demi d’ouverture à chaque match, c’est très compliqué de construire quelque chose autour. Beaucoup de choses dépendent du 10. En France, vous avez aussi beaucoup de joueurs étrangers qui viennent pour jouer à ce poste, c’est un problème. »
L’identité de jeu, par Hugo Porta
« La première chose qui m’étonne quand je regarde la France, ce sont les noms qui composent cette équipe. Il y a beaucoup de joueurs naturalisés. Honnêtement, je suis triste quand je vois cette équipe. Triste de la voir avec des joueurs sud-africains, australiens, britanniques… Avec la tradition que vous avez en France, avec les joueurs que vous avez, mais comment est-ce possible d'avoir besoin de joueurs qui viennent d’ailleurs pour composer votre équipe ? Ce n’est pas normal.
Mon conseil, c’est de revenir à vos racines. A mon époque, quand vous voyiez un joueur français, la manière dont il passait la balle, son jeu à la main, c’était de la musique ! Aujourd’hui, ça a bien changé. Revenez à ce que vous savez faire, à votre rugby. C’est encore possible, bien sûr. Il y a encore de grands techniciens en France, des gens qui connaissent beaucoup de choses sur le rugby. Je suis sûr qu’ils peuvent enseigner aux plus jeunes, et orienter vers un retour aux fondements de ce qui fait le rugby français. Je voudrais voir à nouveau la France jouer avec le flair auquel elle était habituée à jouer quand moi je l’affrontais. »