Coupe d’Europe: Pourquoi La Rochelle nous réconcilie avec le rugby français
RUGBY•Toujours invaincu pour sa première apparition dans l’épreuve, le club rochelais séduit par une qualité de jeu proprement ébouriffante…Julien Laloye
Raka et le Stade Rochelais. Deux raisons de croire que le rugby français n’est pas encore tout à fait foutu la même semaine, c’est presque trop beau pour être vrai. Pour vous poser un peu le truc : La Rochelle, premier club français à gagner ses trois premiers matchs de Coupe d’Europe pour sa première participation depuis le Stade Français en 1998, ce qui fait beaucoup de premières, vient de coller une danse aux Wasps après avoir déjà écrabouillé les Harlequins chez eux. Deux références du rugby continental.
Les Anglais, qui préféreraient renoncer à la monarchie plutôt que de dire du bien d’un club français, n’en ont pas dormi de la semaine avant le match retour à Londres dimanche. Lisez plutôt.
Dai Young, le manager des Wasps :
« « Il s’agit certainement de la meilleure équipe contre laquelle j’ai eu à préparer un match en coupe d’Europe. La Rochelle propose un jeu véritablement exceptionnel, appuyé sur des qualités techniques et physiques » »
Brian Moore, ancien international tête à claques (et boîte à gifle) des nineties :
« « Quel que soit le prix de l’abonnement à la saison fixé par la Rochelle, ce n’est pas assez ! Il faut souhaiter que le jeu qu’ils pratiquent marquent le retour du bon vieux french flair » »
Will Greenwood, champion du monde 2003:
« « Si vous connaissez mon enthousiasme pour un rugby créatif et attractif balle en main, vous devinerez comment joue La Rochelle. Précision importante, ce n’est pas une équipe qui surjoue. Leur rugby peut-être frénétique parfois, mais ça ne part jamais dans tous les sens. La Rochelle peut casser la table et remporter la Coupe d’Europe ». »
Autant de compliments pour un club français, c’est gênant. Il s’agirait de Clermont, passe encore. On parle peut-être de la plus belle ligne d’arrières d’Europe sur le papier (Les Saracens peuvent confirmer) et d’une tradition d’excellence entretenue depuis plusieurs saisons. Alors que le XV rochelais qui a désossé les Wasps ne casse pas trois pattes à un canard boiteux pour ceux qui suivent le rugby de loin:
Murimurivalu-Rattez-Aguillon-Doumayrou-Sinzelle-James-Balès-Botia-Vito-Kieft-Eaton-Jolmes-Priso-Bougarit-Atonio.
En dehors du dernier nommé, international tricolore depuis plusieurs saisons, et l'ancien ouvreur de Clermont Brock James, pas sûr que beaucoup de noms parlent au grand public. C’est un peu le but, d’ailleurs. Peu importe les gars présents sur le terrain, c’est la même sarabande de relances impossibles depuis l’en-but et de passes après contact de haute voltige. La preuve qu’on peut faire rêver avec neuf joueurs tricolores formés au pays.
aUn chiffre ? Dimanche dernier, le demi de mêlée Alexis Balès a joué 129 ballons à lui tout seul. A peine la moitié des équipes du top 14 (dont La Rochelle est leader) dépassent cette moyenne en s’y mettant à quinze joueurs ! Quelle est la recette ? On a plongé dans la marmite de potion magique avec Benjamin Ferrou, joueur historique de La Rochelle (2006-2014).
Un club qui a pris le temps de se construire
«La Rochelle a abordé intelligemment son installation au top 14. La première fois où on monte, je me souviens que le président s’était vu proposer 3 ou 4 gros joueurs à la mi-saison parce qu’on était dans le coup pour le maintien. Saufs qu’ils étaient chers et qu’ils ne rentraient pas tout à fait dans le cadre. Le président a répondu « non merci, je préfère qu’on repasse par la Pro D2 si on doit y retourner pour remonter quand on sera prêts ». Et c’est ce qu’on a fait. L’an passé, on finit premier de la saison mais on perd en demi-finale. Tant pis, c’est une étape, le club a les moyens de surmonter ce genre d’échecs. Pareil si ça ne gagne pas cette année ».
Un public incroyable
« Quand j’ai commencé à jouer ici au début des années 2000, c’était le bout du monde si on avait 3 000 personnes pour venir nous voir. Puis en atteignant régulièrement les demi-finales de Pro D2, on a commencé à fidéliser notre public, ce qui a aussi permis de remplir les caisses. C’est devenu peu à peu une priorité, au point que le club a fait de gros travaux pour porter la capacité de 12 000 à 16 000 personnes. Le dernier match qui ne s’est pas joué à guichets fermés remonté à 2015. Je peux vous dire que c’est une des plus belles ambiances d’Europe ».
Des installations de très haut niveau
« La région est belle pour ceux qui la connaissent, mais ce n’était pas simple d’attirer de très bons joueurs dans le coin. Il a fallu développer les infrastructures qui permettent de faire la différence. Aujourd’hui, un jeune joueur qui veut faire sa formation, quand il voit le centre d’entaînement de La Rochelle, il ne veut plus repartir. C’est simple, moi je l’appelle le petit Marcoussis. Il y a un terrain couvert synthétique, dune grande salle de musculation, une piscine de récupération, les joueurs n’ont qu’à penser au terrain. Ils évoluent dans des conditions exceptionnelles.
Des joueurs en totale confiance
« Le duo de coachs [Collazo est arrivé en 2012, Garbajosa en 20014] a toujours adapté le jeu à son effectif. En Pro D2, c’était forcément moins ambitieux pour coller aux réalités du championnat, mais ils ont amené à maturité un groupe pléthorique et en pleine confiance. Contre les Wasps, ils n’hésitent pas à jouer leur premier ballon depuis leurs 22 mètres, même s’ils ont besoin de deux ou trois minutes pour trouver une faille qui las amènera presque à l’essai. Chaque joueur est recruté parce qu’il colle à ce jeu de mouvement. Toutes proportions gardées, ça joue un peu comme les Blacks ».
aC’est la comparaison qui tue, évidemment, et on peut la taxer de légèrement démago. Soit, mais au fond, La Rochelle, c’est une certaine idée du rugby français qu’on pensait enfouie sous les décombres des innombrables volées reçues par le XV de France ces dernières années.
Une raison suffisante pour parler de l’ovalie sans pousser de longs soupirs en pensant à la nullité des Bleus et aux casseroles du président de la Fédération. Nicolas Djebaïli, un autre glorieux ancien du club, résume : « Quand on aime le sport, on ne peut pas passer à côté de ce qui se passe à La Rochelle. C’est une équipe qui va être plébiscitée par le grand public qui s’intéresse au rugby. Je ne le vois pas autrement ». Nous non plus.