«Un joueur qui veut prendre un Doliprane, il m'envoie un texto», explique le médecin du Stade Français
INTERVIEW•Son nom est cité dans le livre polémique de Pierre Ballester sur le dopage dans le rugby...Propos recueillis par Romain Baheux
L’ouvrage éclipse le Tournoi des six nations et la rencontre des Bleus contre le pays de Galles, samedi. Mardi, L’Express a publié sur son site les bonnes feuilles du livre de Pierre Ballester, «Rugby à charges, l'enquête choc», à paraître le 5 mars. Si les extraits évoquent la prise régulière d’amphétamines dans le XV de France des années 80, le journaliste d'investigation aborde aussi la question des compléments alimentaires. Cité dans l'ouvrage sur ce thème, le médecin du Stade Français Alexis Savigny a accepté d'évoquer leur gestion et d'expliquer à 20 Minutes son quotidien.
Dans le livre, vous évoquez l'arrivée des compléments alimentaires en France. Comment cela s'est déroulé?
Ce phénomène est venu de l'hémisphère sud, surtout avec les Australiens, et des pays anglo-saxons. Quand je suis arrivé au Stade Français, il y a quinze ans, aucun Français n'en prenait.
Quelle est votre position sur le sujet?
Il ne faut pas diaboliser la supplémentation (la prise de compléments alimentaires) et ne pas assimiler ça au dopage. Leur prise ne doit pas être anarchique pour éviter que les joueurs n'achètent sur Internet des boîtes avec des substances prohibées. Nous, on a un contrat avec un fournisseur français sérieux. Tout est clair, il n'y a rien d'interdit là-dedans.
Dans l'ouvrage, l'ancien cycliste Christophe Bassons estime que c'est le premier pas vers le dopage...
Il a vécu une période assez noire de son sport et les cyclistes n'ont sans doute pas l'encadrement qu'il faut. C'est très lié. Si tu as un encadrement médico-sportif qui explique ses méthodes, ça change pas mal de choses. Les joueurs ne sont pas des animaux, je ne dispose pas de leur corps comme je l'entends. Celui qui ne veut pas en prendre, il n'en prend pas. Je peux essayer de lui démontrer l'intérêt des compléments alimentaires s'il se blesse régulièrement, mais il aura toujours le dernier mot.
Comment évoquez-vous ce sujet avec vos joueurs?
Les jeunes s'interrogent car ils ne savent pas comment cela fonctionne, on les briefe pour savoir ce qu'ils ont le droit de prendre. J'appuie sur le danger pour leur image, leur club et leur sport. Ils ne peuvent pas dire qu'ils ne savent pas. Ceux qui viennent d'autres clubs ou de l'hémisphère sud ont des habitudes et on en discute à leur arrivée. Quand le produit n'est pas contrôlable car il vient de l'étranger, je dis au joueur que je ne veux pas qu'il le prenne. Parfois, il me demande de le tester, mais ça coûte trop cher.
Il y a toujours le risque que l'un d'eux se fournisse de son côté...
Tout passe par moi. Un joueur qui est malade et qui veut prendre du Doliprane le soir, il m'envoie un texto. Si sa femme lui propose un truc pour le nez qui est interdit, je lui dis d'attendre le lendemain. Les mecs ont un rhume, se présentent en pharmacie et on leur dit qu'ils peuvent prendre ça alors que c'est interdit. La plupart des erreurs viennent de là.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que la masse musculaire des joueurs a augmenté de manière suspecte?
Quand j'ai débuté au club, le staff n'avait rien à voir avec ce qu'il est. A l'époque, on était six ou sept là où on est dix-neuf aujourd'hui. On a multiplié par cinq le nombre de préparateurs physiques donc le travail est mieux organisé et multiplié. Les conditions d'entraînement ont énormément changé. C'est trop facile d'affirmer qu'il y a du dopage. C'est faux de dire que les clubs de Top 14 ont monté un système organisé. Il y aurait beaucoup trop à perdre pour tout le monde.
Laurent Bénézech, auteur d'un ouvrage sur la surmédicalisation des joueurs, lie l'augmentation des mâchoires des joueurs de rugby à la prise d'hormones de croissance...
Ce sont des allégations de bistrot, effectuées en voyant passer une équipe un jour devant soi. Moi, des joueurs avec la mâchoire carrée j'en ai deux dont un qui m'a expliqué que ça lui venait de sa mère.