Roland-Garros: Quand Williams vire Thiem d'une salle, ou le paroxysme de la crise d'ego au sommet de l'oligarchie tennistique
TENNIS•L'imbroglio Thiem-Williams, ou l'histoire d'un incident cocasse qui en dit long sur les exigences des joueurs de tennis au plus haut niveauWilliam Pereira
De notre envoyé à Roland-Garros,
Que Gaël Monfils prenne garde avant son huitième de finale, ce lundi. Non seulement Dominic Thiem est un adversaire fait d’un tout autre bois que les Hoang, Mannarino et Daniel, mais en plus, l’Autrichien sera animé d’une fervente envie de démontrer son appartenance à la caste des patrons de Roland-Garros. Ce qui, semble-t-il, n’est pas acté aux yeux de l’organisation du tournoi. C’est du moins l’interprétation qu’en a fait le loustic après son éviction de la salle d’interview principale à la fin de son match victorieux contre Pablo Cuevas, samedi, au profit d’une Serena Williams tout juste éliminée, et donc, complètement remontée. « Je ne suis plus un junior », pestait-il samedi. Effectivement, on parle du n°4 mondial. Mais derrière, la plus grande joueuse de l’histoire n’a pas trop envie de s’éterniser dans les couloirs du centre de presse, menace de partir et est finalement retenue tant bien que mal par un officiel de la WTA. Ses exigences sont claires : « mettez-moi dans une autre salle, plus petite, mais maintenant ». Les salles annexes étant occupées, l’équation devient presque insoluble.
Heureusement, une pièce est sur le point de se libérer. La situation s’éclaircit. Les responsables pris de court par l’impatience de la joueuse, demandent à Thiem de laisser le siège sur lequel il s’était installé pour celui d’une salle voisine. Pour vous donner une idée du niveau d’improvisation, il faut savoir que les journalistes sont prévenus assez tôt sur un groupe Whatsapp de l’arrivée en conférence de presse des joueuses et joueurs. Pour Serena, on cherche toujours la notif.
L’histoire aurait pu en rester là si l’Autrichien n’avait pas croisé sa délogeuse dans les couloirs du centre. Sans ça, son cerveau n’aurait pas fait tilt. « Sérieusement, qu’est-ce qu’il se passe ? Je dois quitter la pièce parce qu’elle arrive ? », avant de conclure que lui aussi avait le droit de faire comme bon lui semblait, dans le cas présent, de se barrer sans répondre aux journalistes. De l’autre côté, la conférence de presse de la 10e mondiale ne durait pas plus de dix minutes. Était-ce le bon choix ? Consultant pour le diffuseur de Roland-Garros Eurosport, Arnaud Clément pointe un manque de respect envers l’Autrichien. « C’est un événement grotesque. Dominic qu’il soit quatrième ou je ne sais pas combientième, on n’a pas à lui dire de quitter une salle d’interview parce que Serena n’a pas envie d’attendre cinq minutes. Ce n’est pas à moi de juger mais ce n’est pas normal. » Sollicitée par 20 Minutes après sa victoire en double dimanche, Kristina Mladenovic – compagne de Domi Thiem – n’a quant à elle pris aucun parti, si ce n’est celui des joueurs contre une organisation jugée défaillante.
« Je pense que c’est le boulot des gens qui travaillent ici de bien s’organiser. C’est une organisation de tout un système, ça n’a rien à voir avec les joueurs. C’est une question d’organisation et d’installations. Pour moi c’est comme ça que ça se passe dans les autres sports. Je pense que la partie médias doit être mieux organisée pour pouvoir accueillir s’il le faut plusieurs joueurs en même temps. La logistique, dans les autres sports ça se passe pas comme ça, il n’y a qu’au tennis où on n’est pas capable d’organiser plusieurs conférences de presse en même temps. Les gens qui s’occupent de la logistique doivent mieux s’organiser pour qu’il n’y ait pas de problèmes. » »
Bataille d’ego dans l’oligarchie tennistique
A la décharge des organisateurs, le tournoi est en pleine mue et les locaux des médias sont temporaires. Ils sont même plutôt cools pour une solution de recours. L’année prochaine, tout le monde retournera dans le Chatrier et on n’en parlera plus. Mais la situation est en tout cas symptomatique de la question des privilèges (in)dus aux mastodontes des circuits ATP/WTA et de leurs caprices, ça a toujours été à qui mieux mieux et ça le sera toujours. Petit historique sur la décennie :
- Les night sessions systématiques de Roger Federer à Melbourne en 2018 (et même en 2017, quand il était hors du top 10), alors que Djokovic (pas très content, vous imaginez) se tapait des matchs sous le cagnard australien contre des Gaël Monfils. A l’époque, Jim Courrier en était venu à cirer les pompes du maître en interview d’après-match dans la Rod Laver Arena : « avec la carrière qui est la tienne, tu as le droit de jouer ou tu veux » ! Fayotage de luxe qui encouragera le Suisse à dégainer plus tard une phrase bien melonesque. « Est-ce que j’ai mérité cette programmation ? À 36 ans et avec ma carrière, je le crois aussi. Et puis surtout, qui pousse pour me placer en soirée, l’organisation, les télévisions ? Je ne sais pas. Mais ce n’est pas moi. » Come on, Roger…
- Le cas Wawrinka. En 2015, le site officiel de Roland-Garros publie un article sur la vie privée du Suisse. Un « article de merde » qui débouchera sur un festival du Suisse en conférence de presse. « C’est le site officiel d’un Grand Chelem, donc j’espère que le type qui a écrit l’article n’est pas un journaliste, et également que le type chargé de vérifier tous les articles sur le site ne travaille plus pour le tournoi, dégaine le n°9 mondial. […] J’ai dit à l’organisation du tournoi que je n’étais pas ravi et que ce n’était pas super de leur part de faire cet article de merde, c’est tout. » Ou presque. L’auteur a été viré et le rédacteur en chef du site a posé sa démission.
- La même année, visiblement celle du black-listage en règle, Rafael Nadal avouait avoir obtenu des officiels de ne plus être arbitré par Carlos Bernardes. « Je pense que quand tu as un problème avec quelqu’un, le mieux, c’est de rester éloigné de lui pendant un certain moment, non ? Je pense que c’est mieux pour nous qu’on s’évite pour le moment. » Pas l’avis de Novak Djokovic, qui en bon renard des surfaces n’a pas manqué de coller un petit taquet à l’Espagnol. « Jamais il ne me serait venu à l’idée de demander à ce qu’il ne m’arbitre pas pour une période donnée. Je ne pense pas que ce soit très juste par rapport à eux. »
La demande. Il est là, le problème. C’est la thèse que soutient Arnaud Clément. « La question ce n’est pas celle des privilèges, c’est "est-ce qu’on les demande" ? Ce n'est pas normal. Après il y a des privilèges naturels à partir d’un certain niveau. Nadal et Federer pour leur sécurité et parce qu’ils déplacent des foules, on peut pas les envoyer taper des balles loin sur les annexes. » Vrai. Dimanche, on a vu passer Rafa sur la place des mousquetaires en fin de matinée suivi d’un troupeau de fans et encerclé par deux, trois armoires à glaces. Un véritable ballet, vous auriez dû voir ça. Quant à Roger, il a réussi à faire dresser une haie d’honneur à l’entrée du centre de presse où on le savait présent.
La moralité de l’histoire, c’est que quoi qu’on fasse, où qu'on aille, les meilleurs seront toujours mieux traités que les autres. A Wimbledon, c’est carrément institutionnel. « C’est culturel, mais c’est aussi complètement encadré », complète Clément. Pour autant, l’homme qui portait mieux le bandana que Tupac et Kurzawa refuse de sombrer dans la paranoïa, en reprenant l’exemple des night sessions de Federer à Melbourne.
« Certains disaient que c’est parce qu’il demandait qu’il réussissait à jouer à cette heure et à éviter la chaleur. Il y a plein de choses qui rentrent en compte, les télévisions, le fait que le public veuille le voir à ces heures. C’est pas parce qu’untel le demande qu’il obtient forcément ce qu’il veut. » Sauf quand c’est Serena. On retiendra quand même que l’histoire se termine bien, dixit Roger Federer, un brin chambreur : « peut-être que Serena aurait dû attendre dans les vestiaires et non pas en salle de presse. Je comprends la frustration de Dominic. C’est une situation plutôt marrante en fait. On vient d’en rigoler dans les vestiaires. »