Des wild-cards françaises au mérite... Comment la FFT a réinventé le système d'invitations pour Roland-Garros
TENNIS•Un système qui aurait pu, qui sait, éviter le Paul-Henri Mathieu gate à Roland-Garros en 2017William Pereira
L'essentiel
- Les wild-cards sont des invitations dans le tableau principal d'un tournoi
- La FFT en a ouvert quatre (deux chez les filles et deux chez les garçons à la concurrence)
- Un système qui permet autant de lancer les jeunes que limiter certaines injustices
Souvenez-vous, c’était en mai 2017. Paul-Henri Mathieu jouait les qualifs’ à Roland-Garros pour sa dernière participation au tournoi avant de raccrocher. Le pays s’en était ému, indigné même : pourquoi ne pas avoir accordé de wild-card à cet historique du tournoi et talentueux ambassadeur de la lose magnifique à la française ?
S’il avait été là en 2019, Paulo n’aurait sûrement pas eu, comme en 2017, de « wild-card tableau ». Comprenez, une invitation dans le tableau final du deuxième Grand Chelem de l’année « donnée en accord avec le directeur du tournoi (Guy Forget), le président de la FFT (Bernard Giudicelli) et le DTN (Pierre Cherret). On a des critères, le classement, le passif des wild-cards à Roland-Garros, etc. », énumère Cherret, contacté par 20 Minutes. L’âge, aussi. A l’approche de Paris 2024, les instances du tennis français veulent mettre en avant les talents susceptibles d’apporter des médailles olympiques à la France dans cinq ans.
« « Ça a été une approche politique de se dire qu’il fallait pousser nos jeunes. Donc il est évident qu’on a eu des wild cards de l’organisation qui ont été rajeunies. Des joueurs et joueuses se sont retrouvés en qualifications alors que d’autres années, ils auraient eu une wild-card tableau. » »
Pour autant, et du haut de ses 37 ans, Paul-Henri Mathieu aurait eu plus de chances de gratter une place au premier tour de Roland aujourd’hui s’il était toujours en activité. Car cette année, la Fédé a décidé d’ouvrir quatre invitations (deux chez les filles et autant chez les garçons) à la concurrence et de n’en accorder que huit (quatre par tableau) de manière arbitraire. Autrement dit, sur les 28 Françaises et Français en lice dimanche 26 mai au petit matin, quatre ont arraché une « invitation » au mérite. Mais comment ?
Une « race » française, une autre mondiale
Pour départager les joueurs qui ne feraient pas parti des 104 premiers mondiaux à six semaines de Roland, condition sine qua non pour accéder d’office au tournoi, la FFT a imaginé deux « championnats ».
La « race » France : un circuit de sept tournois chez les femmes (Petit-Bourg, Andrézieux, Grenoble, Mâcon, Croissy-Beaubourg, Calvi et Cagnes-sur-mer) et de dix tournois chez les hommes (Nouméa, Rennes, Quimper, Cherbourg, Pau, Lille, Saint-Brieuc, Sophia-Antipolis, Bordeaux et Aix-en-Provence) au terme duquel celle et celui qui engrange le plus de points WTA et ATP obtiennent sa wild-card pour Roland.
La « race » monde : qui ne sont ni plus ni moins que les « races » WTA et ATP et qui couronnent la meilleure Française et le meilleur Français à n’avoir pas suivi la race France.
Chez les dames, Ce sont Audrey Albié (race France) et Jessica Ponchet (race monde) qui ont raflé la mise. Chez les hommes, Quentin Halys (race France) et Grégoire Barrère (race monde) ont gagné le droit de jouer Porte d’Auteuil sans passer par la case qualifs.
Si Pierre Cherret garantit que le cas PHM n’a pas fait jurisprudence («Paulo n’a vraiment rien à voir dans cette volonté de mettre en place une race »), il avoue à demi-mot que ce système permet d’éviter certaines injustices. « Chez les filles, Audrey Albié, et bien je ne sais pas si, dans le système actuel, elle aurait eu une wild card dans le tableau. Elle a fait cette race, c’est une jeune fille de 1994, elle a fait finale à Saint-Gaudens, finale à Calvi, elle finit numéro une à la race France et donc elle a mérité d’aller à Roland-Garros. » La race France a aussi l’avantage de permettre à celles et ceux ne disposant pas de moyens financiers illimités de se battre pour une place en Grand Chelem et d’ouvrir un cercle vertueux. Le DTN explique :
« « Audrey n’a pas non plus des moyens énormes pour partir et faire le tour du monde donc elle s’appuie sur une programmation en France et et Europe. Grâce à sa wild card à Roland, elle va peut-être passer le premier tour voire plus pourquoi pas enchaîner sur la deuxième partie de saison, de voyager beaucoup plus et de pouvoir aller se confronter à des tournois plus éloignés. Et on peut imaginer qu’elle pourra aussi financer un peu mieux sa structure, de façon à pouvoir aller se confronter à d’autres joueuses à l’international. » »
Et les joueurs, dans tout ça ?
Dans un souci d’objectivité, on a sollicité deux joueurs – un vainqueur de race (Grégoire Barrère) et un perdant (Mathias Bourgue), pour voir ce qu’ils pensaient de ce nouveau système.
G.B : « Je trouve ça plutôt bien de mettre des entrées sur une ou deux wild cards sans que ça en favorise certains. Après chacun y trouve plus ou moins son compte, certains disaient que ça aurait été mieux de faire ça seulement sur terre vu qu’il s’agit d’une course pour Roland-Garros… En tout cas là, le fait de savoir assez tôt que j’aurais une wild card, ça m’a bien aidé dans ma programmation avant Roland-Garros. J’ai pu prendre une semaine de repos avant de jouer les qualifs à Lyon et d’enchaîner ensuite sur Roland. Ça me permet d’être plus tranquille, de souffler. »
M.B : « C’est forcément positif d’avoir plus d’informations sur ce qu’il fallait faire pour obtenir une wild card. Ça a donné faim aux joueurs sur le circuit. »
De ce côté-là, on peut dire que la FFT a visé juste en mettant ce système en place. Car beaucoup de joueuses et joueurs ont mordu à l’hameçon pour se bastonner sur des tournois nationaux. Barrère : « Tous les Français ont joué sur ces tournois. Tu sentais que les Français entre la 100e et la 250e place étaient là », engendrant ainsi une saine rivalité non dépourvue de chambrages entre potes.
« On en parlait un peu entre nous, de cette course à Roland, mais ça restait toujours léger. Moi ils me chambraient un peu parce qu’ils savent que je suis très bon en indoor et que j’ai gagné d’entrée deux tournois, ils disaient que c’était mort, que ‘’la première WC elle est pour Grégoire’’. Mais ça restait léger, pas de tensions, rien de ce genre », raconte le vainqueur de la race monde. Finalement, les seuls mécontents de cette histoire sont peut-être ceux qui, parce qu’ils ont un nom, sont passés par les qualifs alors qu’ils auraient pu obtenir une des quatre invitations restantes si elles n’avaient pas été ouvertes à la concurrence. Le DTN en est conscient mais n’a pas peur de froisser les egos : « maintenant, ceux-là savent qu’il y a des wild cards à aller chercher. » On ne pourra plus dire qu’ils n’étaient pas prévenus.