Roland-Garros: «Évacuer les mauvaises ondes»...Casser sa raquette peut avoir du bon (mais pas toujours)
TENNIS•Casser sa raquette peut s'imposer comme un moindre mal quand les choses vont... mal...William Pereira
De notre envoyé à Roland-Garros,
Marat Safin est à Paris pour disputer le Trophée des Légendes mais sa dégaine au moment de se pointer à la présentation des protagonistes du tournoi, lundi, évoque plus un vacancier qu’un joueur de tennis : short baggy, tee-shirt trop large et joues aussi rouges que le vin dans lequel il a sûrement trop tapé au déjeuner. « C’est la première fois que je joue ce tournoi, on verra bien ce que ça donne », lâche-t-il en espagnol, car Marat maîtrise aussi bien la langue de Cervantes que le cassage de raquettes. Ce dont, promis juré, il s’abstiendra pour son bizutage avec les vieux. « Non, non ! Je ne peux pas me permettre ça ici. Aucune chance », se marre-t-il.
De toute façon, d’autres s’y sont mis avant lui sur la terre battue parisienne en cette édition 2018 des Internationaux de France. Fabio Fognini, bien sûr (pendant tout le tournoi), mais aussi Sascha Zverev (face à Lajovic) et Novak Djokovic (contre Bautista Agut). Le premier a fendu son outil de travail à l’aide de sa jambe tandis que Nole s’est contenté d’exploser le sien contre un sol qui n’avait pourtant rien demandé. La palme d’or revient au Serbe. Images.
Stress et paillettes
Pas mal, mais pas encore au niveau de la légende Safin, dont les chiffres en la matière laissent rêveur : « j’ai cassé 1.055 raquettes dans ma carrière, je connais le nombre exact parce que j’ai reçu un trophée avec le nombre exact dessus », avouait il y a quelques années le Russe dans la presse nord-américaine. Enervant pour les uns, drôle pour les autres, hué par les premiers, applaudi par les seconds, le casseur de raquettes ne fait en général pas l’unanimité.
« Je ne pense pas que les casseurs de raquettes aient une si mauvaise image que ça auprès du public. Il y en aura toujours quelques-uns pour siffler mais ils ne sont pas nombreux. Et puis ça dépend aussi de l’attitude du joueur quand il l’éclate. Il y a un petit côté spectacle et je ne trouve pas ça si grave que ça », analyse un Arnaud Clément très inspiré. En dépit d’un côté showman assumé, Novak Djokovic se passerait bien d’atomiser la sienne comme il l’a fait contre Bautista Agut. « Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’aime faire, mais parfois, je le fais. » Et puis au fond, est-ce si grave ?
Au-delà des avertissements, éventuels points de pénalité et autres amendes – plus ou moins lourdes en fonction des tournois -, engendrés par un tel comportement, non. Les équipementiers s’en frottent les mains – le matériel est autant pulvérisé que la marque exposée au gré des multiples vidéos partagées – et, à en croire les joueurs et ex, on peut même parler de vertus psychologiques. Nole, toujours à demi-mot : « ça aide à lâcher cette pression qui s’accumule pendant le match », soit à peu près les mêmes paroles que Marat Safin il y a trois ans au Telegraph (« ça m’aidait à me débarrasser du stress et des mauvaises ondes »).
Un soulagement dans l’immédiat, mais…
« Je préfère un mec qui éclate une bonne fois sa raquette, qui expulse sa tension, son énervement, qu’un autre qui va avoir une attitude détestable tout le long du match, qui va râler, ruminer, parler sans cesse avec l’arbitre », commente Arnaud Clément, dont les paroles ressemblent fortement à une description de ce à quoi pouvait ressembler John McEnroe sur un court de tennis. Jean-Paul Labedade, psychologue du sport, sait de quoi on parle :
« « McEnroe était une spécialiste du cassage de raquettes, mais pas seulement. Il lui arrivait aussi de prendre une tête de turc dans le public. Je me souviens d’une fois, c’était un spectateur avec un habit rouge, il l’avait pourri pendant tout le match parce qu’il avait prétendument parlé alors que celui-ci n’avait pas bougé d’un pouce. Il a fini par gagner le match. Bon, vis-à-vis du spectateur, il aurait sans doute été préférable que McEnroe casse sa raquette. » »
Notre spécialiste est quand même le seul à réfuter l’idée d’un geste positif. « C’est un soulagement dans l’immédiat. Par ce geste, on a l’impression d’abolir le temps et la frustration. Ce qui est évidemment faux. Quand on ressent le besoin d’extérioriser d’un coup, c’est mauvais par définition parce que ça veut dire qu’on est sous pression depuis longtemps et que ça explose. » Sans parler du fait que l’on fait ouvertement part de sa vulnérabilité à un adversaire dont le but est de vous écraser. « Si ça n’arrive qu’une fois, il ne faut pas non plus en faire une montagne. Mais trois fois sur quatre la personne a du mal à re-rentrer dans le match et à part McEnroe, personne n’a réussi à gagner régulièrement avec cet état d’esprit. » « Et puis ça ne donne quand même pas la meilleure image aux enfants de casser sa raquette », appuie Clément, un brin moralisateur, sans doute pour déculpabiliser.
Le mieux est donc encore d’apprendre à se canaliser. « Intérioriser des émotions peut être bénéfique. C’est probablement ce qu’il y a de mieux pour vous. Il y a un sentiment de satisfaction qui en découle sur le moment et sur le long terme, un sentiment gratifiant de pouvoir se dire "j’ai résisté à ça, j’ai surmonté cette épreuve" », conclut Labedade. La méthode fonctionne plutôt bien pour Rafael Nadal, à qui Toni a formellement interdit de passer ses nerfs sur le matos dès le plus jeune âge. Mais on s’emmerde assurément moins avec un Fognini sur le court. Quand on vous disait que la destruction de raquettes était un sujet clivant…