Roland-Garros: Education à la dure, balades parisiennes et parties d'échecs... C'était Toni Nadal
TENNIS•Toni Nadal ne viendra plus à Roland-Garros dans la peau de l'entraîneur de Rafael Nadal. Portrait d'un oncle pas comme les autres...William Pereira
De notre envoyé à Roland-Garros,
S’il est parfois difficile de distinguer qui est qui dans le box des joueurs depuis la tribune presse du Philippe Chatrier, le problème ne se pose jamais avec Toni Nadal. Sa posture, aussi stricte que ses entraînements et le contraste entre le teint de sa peau et ses vêtements immaculés le rendent visible à 100 kilomètres à la ronde. Pratique.
L’homme à la casquette
Quand on parle de ses vêtements, on n’oublie évidemment pas son abat-jour de casquette Iberostar qui lui confère des airs de mascotte. Une collaboration entre la marque espagnole et son unique emblème qui pourrait ne pas passer l'été, étant donné que le contrat liant les deux parties s’achèvera en 2017, et que, comme à peu près tout le monde le sait maintenant, l’entraîneur de Rafael Nadal ne sera plus que son oncle au 1er janvier 2018.
Plus de contrat, plus de casquette. Plus de casquette, plus de Toni. Plus de Toni, plus de Toni. Et un Rafa qui perd une partie de lui. Voilà ce qu’il disait de son mentor au sortir de son deuxième tour expéditif contre Haase:
« « Toni est la personne qui a le plus compté dans ma carrière tennistique. Il y a beaucoup de choses que j’ai faites parce qu’il était là. Depuis que j’ai trois ans, il m’a aidé. C’est vrai. » »
Et même comme ça, c’est un doux euphémisme. « C’est lui qui l’a formé et lui a inculqué les valeurs humaines qui font de Rafael celui qu’il est aujourd’hui », nous confie pour sa part Carlos Moya, successeur attitré de Toni et ami de la famille.
La discipline, d’abord. L’histoire est célèbre : encore gosse, le petit Rafael vient de remporter son premier tournoi. Pour le féliciter, ses parents décorent le domicile familial avec, en guise d’arc de triomphe, une banderole « bravo Rafa ». Toni débarque, et, consterné par le spectacle, demande à ce que tout soit retiré avant que son poulain ne rentre. « Il n’a pas gagné Roland-Garros », aurait-il dit. Un mensonge avant l’heure, le numéro 4 mondial a également dû se farcir un entraînement physique au lendemain de son premier succès à la Porte d’Auteuil parce que son oncle avait peur qu’il prenne la grosse tête.
La courtoisie, ensuite. Ce n’est pas un hasard si le nonuple vainqueur de Roland-Garros est devenu le chic-type que l’on connaît. Celui qui ne casse pas une raquette parce que tonton lui a toujours dit que c’était un manque de respect envers ceux qui n’avaient pas les moyens de s’en offrir, celui qui est toujours poli avec le petit personnel parce qu’il a vu tonton faire pareil avant lui… « Quelque part, le personnage de Toni se reflète dans celui de Rafael », nous dit l’ancien entraîneur historique de Jo-Wilfried Tsonga et désormais responsable du haut-niveau à la FFT, Eric Winogradsky.
Balades au cœur de Paris et parties d’échecs au bout de la nuit
On n’a pas eu la chance de le croiser, mais il faut savoir que Toni s’arrête presque tout le temps quand on le sollicite. Vous ne nous croyez pas ? On vous répondra par une autre question : l’avez-vous déjà vu décliner une demande d'interview de Nelson Monfort pendant toutes ces années ? Contrairement à Andy Murray qui l’a viré de son box en 2016, la réponse est non. « Toni est adorable, il a toujours répondu à mes sollicitations. Il répond systématiquement. Une relation d'amitié et de confiance s'est installée entre nous », témoigne le journaliste de France Télévisions. Eric Winogradsky, insiste aussi sur la courtoisie du personnage.
« « Un jour j’ai sollicité Rafael pour une conférence sur l’attitude des joueurs. Il y avait des dizaines de journalistes qui demandaient à le voir, mais il a pris le temps de répondre à ma demande. Ensuite, Toni est venu naturellement vers moi me dire que ça l’intéressait de discuter de ce sujet. On est allé dans le vestiaire et on a parlé de ça pendant une bonne heure alors que Rafa et lui avaient des impératifs. Il est toujours super dispo. » »
L’entraîneur le plus titré en grand chelem aurait pourtant bien des raisons de se croire au-dessus de la mêlée. Mais il n’en a que faire des étiquettes. Les voyages en navette de Roland-Garros à l’hôtel, les coins VIP ? Très peu pour lui. Chez Toni, on est plutôt marche et sorties culturelles, comme il le confiait à Eurosport il y a bientôt dix ans.
« « Pendant Roland-Garros, je vais presque chaque jour de l’hôtel au stade en marchant. Un jour je prends un itinéraire, je découvre un endroit, le lendemain : un autre. Comme je vous le disais, le quartier Latin me plaît. J’aime aussi Notre-Dame. Chaque fois que je viens à Paris, pendant Roland-Garros, je vais peut-être deux, trois fois jusqu’au Sacré-Coeur. Il y a une belle vue, et j’aime beaucoup voir la place du Tertre avec ses peintres. Sinon je joue aussi aux échecs. » »
Son amour pour l’échiquier est loin d’être un détail. Toni Nadal est, paraît-il, un grand stratège et les parties avec lui peuvent durer des heures. De Rafael à Carlos Moya en passant par le staff médical, tous ont, à un moment ou l’autre, été invités par le bonhomme à tester leurs neurones dans le salon des joueurs. Il est même arrivé à Nelson Monfort de commenter pour le fun une de ses parties. «C'était à Bercy... Je ne sais plus contre qui il jouait en revanche. Mais à chaque fois qu'il me voit maintenant il me dit "alors, les échecs, les échecs" », sourit le polyglotte.
« Dans un sens son goût pour les échecs, c’est logique. Il est toujours dans la réflexion. C’est un moyen pour lui de s’évaluer et d’évaluer les autres membres de l’équipe. Toni aime beaucoup parler d’intelligence de jeu, de justesse du choix, là on est en plein dedans, c’est un jeu de stratégie », analyse quant à lui Winogradsky, qui a pu voir l’artiste à l’œuvre à plusieurs reprises.
2017 ne sera pas la dernière de Toni à Roland
L’histoire ne dit pas si son successeur, Carlos Moya, a prévu de prolonger la tradition du plateau d’échecs dans le players lounge ou si Toni a pour ambition d’initier les joueurs de son académie à cet art cérébral. En revanche, l’ancien vainqueur de Roland-Garros (1998) se dit prêt à reprendre le flambeau d’un Toni qui n’a plus la force de renvoyer la balle à Rafa depuis trois ou quatre ans à cause de douleurs dorsales récurrentes, pas plus qu’il ne supporte les longs voyages en avion.
« « Je pense que j’apporte un nouveau visage à Rafael. Je partage beaucoup des idées de Toni mais c’est simplement le processus qui me mène à ces idées qui diffèrent. » »
Rien de bien nouveau sous les tropiques pour le nonuple détenteur du trophée des mousquetaires donc. D’autant que celui-ci n’exclut pas d’avoir recours aux services de tonton de temps à autre. « Ce n’est pas la dernière fois qu’il sera à Roland-Garros. C’est sûrement un tournoi où il reviendra. » Nelson Monfort peut donc souffler.