TENNISRoland-Garros: Le match-marathon est-il vraiment un marathon ?

Roland-Garros: Le match-marathon est-il vraiment un marathon ? Des spécialistes de la distance nous répondent

TENNISDominique Chauvelier et Luis Soares, deux anciens spécialistes du (vrai) marathon, nous éclairent...
William Pereira

William Pereira

De notre envoyé spécial à Roland-Garros,

La légendede Roland-Garros et plus généralement des tournois du Grand Chelem repose sur une sacro-sainte trinité : les exploits des petits joueurs, les records et les matchs-marathons. Pour les deux premiers, il n’y a pas grand-chose à dire, donc on s’attardera sur le troisième point.

Pour évoquer ces interminables combats, on a choisi d’interroger les personnes idoines, à savoir des marathoniens, des vrais. Deux, en l’occurrence : Dominique Chauvelier, quatre fois champion de France et Luis Soares, ancien recordman de France (huit ans) et du marathon de Paris (six ans).

A partir de quand peut-on parler de match marathon ? Pour les deux hommes, plus qu’un seuil temporel, c’est « à partir du cinquième set » que le match devient critique. « C’est là que l’organisme commence à vraiment ressentir les effets de la fatigue et que les fautes techniques se multiplient », approfondit Soares, grand amateur de balles jaunes.

En partant de cette définition, voici à quoi ressemblerait le top 5 des matchs du genre sur cette édition. Il y en a déjà eu deux au-dessus de quatre heures depuis dimanche, dont un Ferrer-Young à placer très haut sur l’échelle Santoro-Clément (6h35 en 2004 pour les mauvais élèves). On part donc sur de très bonnes bases.

  • Lokoli-Klizan : 3h39
  • Monteiro-Muller : 3h43
  • Trungelliti – Halys : 3h54
  • Dutra Silva – Youzhny : 4h11
  • Ferrer-Young : 4h27

Commentaire totalement gratuit : Le match-marathon se joue en cinq sets, et à la fin, c’est le Français qui perd.

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Ok, tout ça c’est bien, mais a-t-on raison de comparer un match de tennis aussi long soit-il à l’effort suprême du 42 km ? Pour Dominique Chauvelier, c’est évidemment non. L’ancien spécialiste de la distance ne manque pas d’ironie à ce sujet.

« « Je ne suis pas un grand spécialiste du tennis, je peux vous dire que ça n’a définitivement rien à voir. J’ai été surpris d’apprendre l’existence de ce terme d’ailleurs. Oui, ok, ça peut durer cinq ou six heures et en ce sens ça dure plus longtemps que pour nous, mais si vous regardez, ils passent la moitié de leur temps sur la chaise. En fait c’est comme si nous, on courait pendant 200 mètres et qu’on s’asseyait pour faire une pause. » »

Du côté de Luis Soares, on est un peu plus diplomate, même si l’idée reste un peu la même, au fond. « Physiologiquement parlant, les efforts sont totalement différents », renchérit-il.

Difficile de donner tort aux deux intéressés. Un match-marathon se base sur une répétition anormalement élevée d’efforts intenses et courts (les échanges) entrecoupés de pauses (parfois d’interruptions nocturnes), alors que le marathon constitue en soi un seul effort à la fois long et intense. « On court vite et longtemps, c’est un effort organique total », résume Chauvelier, qui insiste sur le relatif effort du joueur de tennis en comparaison : « ce n’est pas un hasard s’ils rejouent dès le lendemain (sic). »

Et les points communs, dans tout ça ?

Evidemment, on se doutait bien avant de se lancer dans ce sujet que les marathoniens ne s’y retrouveraient pas tout de suite. Mais en pinaillant un peu et en creusant sur d’autres aspects du jeu (et de la course), on a réussi à trouver des similitudes. A commencer par la nécessité de bien s’alimenter pour survivre au choc physique. Luis Soares :

« « Dans le cas d’un match de tennis à rallonge et d’un marathon, il faut se ravitailler pour aller au bout de l’effort. Au tennis, ce sont des aliments plutôt solides. Au marathon, on n’a pas le choix, le ravitaillement est liquide. Mais l’idée est la même, à savoir qu’on ne peut pas faire sans. » »

D’autant qu’au cinquième set, le match change complètement de registre. « Le tennis est un sport qui reste avant tout technique, mais plus il s’allonge, plus le déchet technique est présent et le physique important. En course à pied, quand vous n’êtes pas bien il y a aussi une défaillance technique. La foulée est moins longue et la pression exercée au sol moins forte », analyse Soares. Et son homologue de compléter « comme au marathon, c’est celui qui est le mieux préparé qui finit par gagner. » Bref, plus on avance, plus le physique prévaudra sur le reste, surtout sur une surface aussi exigeante que la terre battue.

Santoro célébrant le point de la victoire contre Arnaud Clément en 2004, à Roland-Garros
Santoro célébrant le point de la victoire contre Arnaud Clément en 2004, à Roland-Garros - CHRISTOPHE ENA/AP/SIPA

Enfin, et c’est sans doute plus évident au tennis que sur une course à pied, la concentration est absolument vitale, estime Dominique Chauvelier.

« « Pour faire un gros chrono en deux heures et quelques ou même un chrono en quatre heures, on recommande d’éviter les gestes parasites notamment au début. Quand je vois des coureurs taper dans les mains des supporters au début je me dis "vous allez le regretter dans les derniers kilomètres". Au tennis c’est un peu pareil, il faut être concentré, ne pas écouter ce qu’il y a dans les tribunes, ce que dit l’adversaire, il faut éviter d’aller voir l’arbitre… » »

Le marathonien luso-français acquiesce. « La perte de concentration en fin de match, ça peut être une mauvaise évaluation des trajectoires, une baisse de l’attention. Les matchs en cinq sets sont aussi une bataille mentale. Finalement, que ce soit en course à pied, au tennis ou dans n’importe quel autre sport, c’est avant tout un combat contre soi-même », conclut-il. C’est beau. Presque autant qu’une rencontre en cinq manches sur l’ocre de la Porte d’Auteuil.