Jeux paralympiques 2024 : On vous raconte la soirée de déglingos du badminton français
marseillaises•Lucas Mazur et Charles Noakes ont été sacrés tous les deux champions paralympiques au cours d’une soirée qui restera dans les mémoires de la discipline, et même sûrement au-delàNicolas Camus
L'essentiel
- L’équipe de France a réalisé une journée exceptionnelle lundi avec cinq médailles d’or remportée.
- Dans ce bilan, le para badminton a apporté sa pierre avec les magnifiques titres de Lucas Mazur et Charles Noakes.
- Les deux joueurs, très proches, ont fait vivre à tout le monde une soirée riche en émotions à l’Arena Porte de la Chapelle.
De notre envoyé spécial Porte de la Chapelle,
L’expérience en la matière nous manque, on en convient, mais de notre fenêtre ce lundi soir est un moment du sport paralympique français à conserver bien au chaud. Dans la Bombonera de la Porte de La Chapelle, Lucas Mazur et Charles Noakes ont conclu de façon magistrale une journée historique qui aura vu les Bleus remporter cinq titres, venus avant ça du para triathlon et de la boccia.
Les deux joueurs de para badminton ont été immenses, chacun dans leur style, pour embarquer le public et offrir deux sommets de jeu, de maîtrise et d’émotions. Et au final deux Marseillaises qui ont fait battre les cœurs bien au-delà des tribunes de l’Arena du nord parisien.
Premier de cordée, un peu après 18 heures, Lucas Mazur s’est montré impitoyable. Remonté comme un coucou pour cette finale face à celui qui l’avait détrôné lors des championnats du monde de Pattaya en février dernier, le Français a pris son adversaire à la gorge dès l’entame – 7-0 puis 10-1 dans le premier set – et ne l’a jamais lâché. Résultat, Suhas Yathiraj, numéro un mondial dans cette catégorie SL4 réservée aux joueurs atteints d’une déficience au niveau des jambes, a été proprement balayé (21-9, 21-13).
« Je suis bien content d’avoir remis les pendules à l’heure. J’ai perdu un titre auquel je tenais plus que tout, et aujourd’hui c’est le plus beau jour de ma vie », lâche-t-il avec émotions quelques minutes plus tard. Car même s’il avait déjà trois couronnes mondiales à son palmarès XXL, le grand gaillard d’1,92m au regard d’acier, qui ne cache pas son « gros caractère », a la défaite en horreur. Revenu de Thaïlande, il a fait le point et décidé de tout changer, à quelques mois seulement du rendez-vous d’une vie.
« C’était le Stadium, le virage Brice »
Direction Salbris, dans le Loir-et-Cher, pour rejoindre son nouveau coach Maxime Michel. « Ça a été pour moi quatre mois très longs, très éprouvants, un peu isolé, retrace-t-il. Mais dès les premières semaines, j’ai senti la différence, et quand je vois toutes les heures de sacrifices pour un si beau résultat, je suis prêt à recommencer dix fois. Dans mes rêves les plus fous, je n’avais jamais imaginé ça. » Ça, c’est un vrai récital, dispensé en 34 petites minutes et par une pluie de coups gagnants jaillis de son immense bras gauche, dans une ambiance qui a effacé le souvenir mitigé de son titre à Tokyo il y a trois ans.
« Il y avait 50 personnes, là 6.000 ou 7.000, c’est fabuleux. C’était le Stadium, le virage Brice », s’exclame en souriant ce grand supporter du Téfécé. Alors même qu’il menait largement au score, on l’a vu à plusieurs reprises haranguer la foule, se nourrir des applaudissements et des chants. « Il ne fallait pas que le public s’endorme, c’est pas parce que je mène très largement que le match est fini, c’est pour ça que j’ai essayé de les activer à des moments où je sentais que mon adversaire pouvait peut-être revenir, justifie-t-il. Et ça me donnait plus d’énergie pour tout verrouiller, fermer les portes. »
Pas de soucis, elles étaient en titane et Lucas Mazur, en bronze le matin en double mixte avec Faustine Noël, a vécu une journée parfaite. Lui qui avait peur de manquer un peu d’énergie en fin d’après-midi en redemandait, finalement. « Je ne suis même pas fatigué là, je suis tout excité, j’ai envie de rejouer, revivre cette ambiance ! », lançait-il en bouillonnant. Il le fera un peu plus tard, mais au milieu des supporters cette fois pour pousser derrière celui qu’il a pris sous son aile, Charles Noakes, en finale de la catégorie SH6, destinée aux joueurs de petite taille. On lui fait remarquer avant qu’il ne parte que ça peut être une sacrée journée pour le para badminton français. « Ça VA être une sacrée journée, j’en suis sûr », réplique-t-il du tac au tac.
Première victoire en carrière… aux Jeux
Sa prophétie va évidemment se réaliser. Trois heures plus tard, dont une de retard qui n’a pas refroidi le public, Charles Noakes entrait en scène. Révélation du tournoi, le joueur de 27 ans, qui n’avait encore jamais gagné un seul titre dans sa carrière, a sorti un match de mammouth pour tenir la promesse illuminée qu’il s’était fait à lui-même il y a cinq ans, alors qu’il débarquait tout juste au Creps de Nantes pour commencer à jouer au bad sérieusement. « Il l’avait dit en arrivant. C’est marqué dans sa chambre : je gagnerai Paris 2024. Et ce soir, c’est fait, peine à croire son entraîneur, Mourad Amrani. Magnifique ! »
Face au Britannique Krysten Coombs, en bronze à Tokyo, son poulain a connu un début de match un poil compliqué, plombé par « l’envie de trop montrer » et de finir le boulot, mais il s’est vite ressaisi. Quelques points spectaculaires remportés ont lancé la machine, qui ne s’est plus arrêtée, dans un boucan d’enfer. « Quand j’ai trouvé la faille, j’ai insisté et j’ai pris de l’avance, et vraiment je remercie le public qui a été grandiose, salue le joueur, la voix posée mais des étoiles dans les yeux. Des gens sont venus de Nantes tous les jours pour me voir, ça montre qu’ils ont un grand cœur. »
« Il n’y a pas de mots, c’est juste merci pour tout »
Au terme d’un deuxième set survolé (21-19, 21-13), le natif de Sidcup, près de Londres, a refait le coup de la demie, arrachant son maillot pour célébrer. Son adversaire (et ami) anglais s’est même joint à la fête, dans une scène à vous donner la banane pour la semaine. Ou à vous arracher quelques larmes, si vous êtes les parents du héros de la fin de la soirée.
« J’ai vu ça, oui, en sourit Noakes. Sur ma montre, j’ai une photo d’eux, parce qu’ils sont un peu ma raison de vivre, ma raison de jouer. C’est un peu comme un médicament, cette photo, elle me transmet énormément d’énergie. Je me bats aussi pour eux, parce que je veux qu’ils soient heureux. » Pas besoin d’un dessin pour comprendre que tout n’a pas toujours été simple à cause de cette hypochondroplasie, une maladie rare engendrant des troubles de croissance.
NOTRE DOSSIER JEUX PARALYMPIQUES 2024La réussite et la personnalité du fiston ont de quoi rendre fier. Ce lundi, lui et son « parrain » Lucas Mazur ont transporté tout le monde. « Je pense que la France a besoin de vivre des moments extraordinaires comme ça, conclut "Charlie". On connaît le contexte actuel, qui n’est pas forcément rose. Et quand tu vois tout ce public merveilleux, qui chante la Marseillaise, qui encourage tout le temps, qui chante, qui fait tout pour qu’on y arrive, il n’y a pas de mots, c’est juste merci pour tout. » Ceux qui ont vécu ça diront sûrement la même chose.