remousAux JO, l’ombre de l’affaire de dopage impliquant des nageurs chinois

JO 2024 – Natation : « Un sujet sensible »… A Paris, l’ombre de l’affaire de dopage impliquant des nageurs chinois

remousPlusieurs nageurs chinois présents à Paris sont au cœur d’une mystérieuse histoire de dopage dans laquelle l’AMA et l’agence américaine s’opposent frontalement
Qin Haiyang arrive pour la finale du 100m brasse aux JO de Paris, le 28 juillet 2024.
Qin Haiyang arrive pour la finale du 100m brasse aux JO de Paris, le 28 juillet 2024.  - CHINE NOUVELLE/SIPA
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • En avril dernier, le New York Times et la chaîne allemande ARD ont révélé que 23 nageurs chinois avaient été contrôlés positifs avant les JO de Tokyo, mais tout de même autorisés à y participer par l’AMA.
  • Onze d’entre eux sont présents à Paris, parmi lesquels les stars Zhang Yufei ou Qin Haiyang, qui faisait partie des adversaires de Léon Marchand sur le 200m brasse.
  • Ce scandale qui n’a pas encore levé tous ses secrets a plané sur les athlètes concernés lors des premiers jours de compétitions, sans que ce soit non plus un sujet de conversation prioritaire.

A Paris La Défense Arena,

De notre point de vue de Français, c’est une affaire qui semble lointaine, occupés que nous sommes à raconter les exploits de Léon Marchand. Mais en élargissant un peu la focale, on peut dire que la natation a vécu en coulisses des débuts de Jeux olympiques un peu contrariés par les remous d’une mystérieuse affaire de dopage impliquant une vingtaine de nageurs chinois, dont onze sont présents à Paris.

Le biais occidental sur les nageurs chinois

En lice ce mercredi matin sur les séries du 200m papillon, sa distance de prédilection sur laquelle elle a été sacrée à Tokyo en 2021, Zhang Yufei en fait partie. Elle a mis elle-même les pieds dans le plat dimanche, après les séries du 100m papillon. La quadruple médaillée olympique a fait part de son inquiétude sur la façon dont elle et ses collègues seraient traités pendant la compétition.

« Tout le monde devrait juste examiner les faits concernant notre équipe, sans "lunettes déformantes", a-t-elle défendu. Je crains que les athlètes et les médias étrangers ne soient partiaux, et je me sens lésée. » Le précédent Sun Yang, l’homme qui « pissait violet », n’aide sûrement pas.

L’histoire qui se joue cette année remonte à avril dernier. Dans une vaste enquête publiée conjointement, le New York Times et la chaîne allemande ARD affirment que 23 athlètes chinois ont été contrôlés positifs à la trimétazidine, une substance interdite améliorant la circulation sanguine, quelques mois avant les Jeux de Tokyo à l’été 2021. Ils ont tout de même pu y participer, avec la bénédiction de l’Agence mondiale antidopage (AMA), qui a accepté sans trop chercher à comprendre – d’après l’enquête – les explications de l’agence chinoise (Chinada). Selon cette dernière, les nageurs ont été victimes d’une contamination alimentaire dans un hôtel où ils avaient séjourné.

Michael Phelps s’en mêle

Ces révélations font grand bruit aux Etats-Unis, où on ne plaisante pas avec ce sport grand pourvoyeur de médailles olympiques. Les Américains dominent sans partage la natation mondiale et ils ne comptent laisser personne déséquilibrer l’ordre établi. C’est pourquoi leur agence nationale antidopage (Usada) est quasiment partie en croisade contre l’AMA, qu’elle accuse d’avoir étouffé l’affaire et plus globalement de ne jamais agir en toute transparence.

S’engage alors une bataille de mots, l’instance internationale fustigeant les « mensonges » de l’Uasada, qui agirait « pour des motivations uniquement politiques ». La légende Michael Phelps s’en est mêlée, appelant en fin de semaine passée à un grand coup de balai « pour rendre l’organisation indépendante et efficace ». « Toutes les tentatives de réforme de l’AMA ont échoué, il y a toujours des problèmes systémiques profondément ancrés qui s’avèrent préjudiciables », a attaqué l’homme aux 23 titres olympiques devant une commission du Congrès de son pays.

La guerre Chine-USA jusqu'aux podiums de ces JO (ici Zhang Yufei battue par deux Américaines en finale du 100m papillon le 28 juillet).
La guerre Chine-USA jusqu'aux podiums de ces JO (ici Zhang Yufei battue par deux Américaines en finale du 100m papillon le 28 juillet). - Oli Scarff

Très impliqués dans cette histoire, les athlètes américains sont quasiment les seuls à faire entendre leur voix sur ce sujet à Paris. Exemple avec Katie Ledecky, une des meilleures nageuses de l’histoire, qui disait ceci à la veille de son entrée en lice :

« Nous, sportifs, voulons de la transparence et des réponses aux questions qui restent en suspens. Nous sommes ici pour nager, pas pour tester nous-même des gens. On espère que ceux qui font les tests suivent bien leurs propres règles. On attend des changements dans le futur, pour que vous n’ayez plus à nous poser la question. » »

Plus remonté encore, Caeleb Dressel. Engagé pour défendre ses trois titres olympiques (50m et 100m nage libre, 100m papillon), le sprinteur a expliqué lors de sa première conférence des JO que selon lui, l’équité n’existait pas en natation. « Je ne pense pas qu’ils [la Fédération internationale] nous aient donnés assez de preuves pour défendre la manière dont l’affaire a été gérée », a-t-il argumenté. Ça ne l’a pas empêché le lendemain de décrocher avec le relais 4x100m nage libre le huitième titre olympique de sa carrière, en attendant les réjouissances individuelles.

Parfois, la tension s’invite jusque dans les bassins. Dès la première journée de compétition, samedi, le 100m brasse a été l’occasion d’un face-à-face musclé entre Adam Peaty et Qin Haiyang, épouvantail de la discipline après ses trois titres mondiaux l’an dernier à Fukuoka (50, 100 et 200m). La veille, ce dernier avait dénoncé un complot européen et américain visant à déstabiliser l’équipe chinoise. « Ils se sentent menacées par nos performances ces dernières années, et veulent nous toucher psychologiquement, avait-il dit. Mais nous n’avons pas peur. »

Qin Haiyang à côté de ses pompes

Deuxième temps des séries, alors que Haiyang se classait neuvième, Peaty s’est dit préoccupé à la sortie du bassin. « C’est toujours dans votre esprit. C’est normal, vous voulez avoir autour de vous en course des gens qui vivent selon les mêmes valeurs, a-t-il lâché, sans avoir besoin de nommer son adversaire. Je pense que nous savons tous de quoi je parle. Mais je ne vais pas en dire plus à ce sujet. On a un job à faire ici, et on ne peut pas laisser ça nous obscurcir l’horizon. »

Depuis lundi, l’ombre semble un peu dissipée. Les résultats mitigés des Chinois pour l’instant y sont sans doute pour quelque chose. Zhang Yufei a bien gagné deux médailles, mais pas du métal espéré (bronze sur 100m pap' et relais 4x100 nage libre). Et ses adversaires n’en ont pas rajouté après les courses. Qin Haiyang, de son côté, se trouve dans le creux de la vague. Septième de la finale du 100m brasse dimanche, il ne s'est même pas qualifié pour celle du 200 mardi, alors qu’il était censé être l’un des plus grands rivaux de Léon Marchand sur la distance.

NOTRE DOSSIER JO PARIS 2024

Y a-t-il un lien ? En tout cas, la préparation des athlètes chinois a été pesante. Selon World Aquatics, ils ont été testés en moyenne 21 fois chacun depuis le 1er janvier, contre six fois pour les Américains et quatre pour les Australiens, les Britanniques et les Français.

Pour tenter d’en savoir un peu plus, on a entrepris d’attendre Haiyang dans la zone mixte de la piscine ce mardi. En vain. Un confrère chinois nous a fait comprendre que ça ne servait à rien. Lui-même ne voulait pas s’étendre sur l’affaire, évoquant simplement un « sujet sensible ». Pour eux comme pour les athlètes. Le roi Léon croisera dans sa quête d’or un autre nageur concerné, à partir de jeudi, en la personne de Wang Shun. Ce dernier avait profité de son autorisation de courir lors des JO de Tokyo pour remporter le titre sur 200m quatre nages.