« Ça brûle, le corps n’obéit plus »… L’aviron où l’éloge de la souffrance

JO de Paris 2024 : « C’est dur, ça brûle, le corps n’obéit plus »… L’aviron où l’éloge de la souffrance

On rameSur une course de 2.000 mètres, les rameurs et rameuses traversent des états physiques et psychologiques extrêmes
Antoine Huot de Saint Albin

Antoine Huot de Saint Albin

L'essentiel

  • Aux Jeux olympiques de Paris, l’aviron français a pour objectif de ramener au moins deux médailles.
  • Pour cela, rameurs et rameuses tricolores devront aller au bout de leurs souffrances, finissant souvent les 2.000 mètres de course au-delà des 200 pulsations par minute.
  • « Souvent, pendant la course, il faut se répéter que c’est toujours possible de faire un pas de plus et de se dire qu’on ne va pas mourir parce que, pour le moment, on n’est jamais mortes », illustre Claire Bové.

Il vous est sûrement arrivé, un jour de grande détresse, de passer quelques minutes sur LinkedIn. Avant de désespérer de l’être humain pour les dix prochaines générations, vous avez vu passer ce commercial pondre une leçon de vie, avec un parcours « inspirant », dans un post pompeux qui se conclut par un « No pain, no gain ». Pas de souffrances, pas de bénéfices.

Rires nombreux au bassin olympique de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), où se disputent les épreuves d’aviron des Jeux de Paris. Car, pour parler de souffrance, rameurs et rameuses sont plutôt bien placées. Sans pour autant qu’il y ait la gloire au bout. 2.000 mètres de course et un peu plus de six minutes de souffrance ultime, bien résumés par Sébastien Vieilledent, directeur technique national de l’aviron, médaillé d’or en deux de couple en 2004 à Athènes :

« Ça a beau être Paris 2024, ici en France, une course d’aviron ça va être la même. Elle fait toujours 2.000 mètres, il y a un bip de départ et un bip d’arrivée. Ça fera toujours mal au bout de deux minutes de course, ça fera encore plus mal au bout quatre minutes de course et c’est celui qui voudra le plus fort et qui sera le mieux préparé qui gagnera. »

Pour mieux comprendre ce qui habite rameurs et rameuses durant ces deux kilomètres de procession, on a demandé à Laura Tarantola, Claire Bové (médaillées d’argent aux JO de Tokyo en 2021), Ferdinand Ludwig et Hugo Beurey, présents à Paris en deux de couple poids légers, leurs sensations tout au long de la course. Où il est question de vision qui se referme, de pulsations intenses, de dépassement et de mort.

Le départ, « à fond au bout de trente secondes »

Sur une course d’environ six minutes, le départ est prépondérant pour propulser le hors-bord. « Sur une course d’aviron, ce qui est compliqué, c’est qu’il y a la période du départ, qui est de trente secondes, raconte Hugo Beurey. Après, au bout de trente-quarante secondes, tu es à fond, tu es déjà au maximum de ce que tu peux faire. Le but, alors, c’est de tenir le plus longtemps possible. C’est de l’endurance de force, ça se rapproche un peu du 800 m en athlé. »

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S’ils arrivent à « gérer » lors des séries ou des demi-finales pour garder un peu de jus, Beurey et Ludwig ont souvent comme stratégie de « faire un gros départ. On va dire qu’à l’entrée du premier 250 m, c’est là qu’on va prendre notre rythme de train jusqu’au 1.000 m ». « L’objectif, de toute façon, c’est d’être à fond du point A au point B, d’être capable de tout bien faire jusqu’à la fin et d’avoir encore de la lucidité », reprend Laura Tarantola.

La mi-course, le rendez-vous des stratèges

Savez-vous qu’en aviron, chaque pays a sa petite spécialité. La French touch, c’est de partir et finir fort. Alors, au moment d’arriver aux 1.000 m, le deux de couple est un peu plus dans la gestion physique, comme l’assure Hugo Beurey. « Nous, en France, on fait des courses où on part haut, à 1.000 m, on redescend un peu et le 3e 500, on remonte. Il y a des autres nations qui partent doucement et qui montent au fur et à mesure. Les Irlandais, les Norvégiens, ils courent tranquilles et d’un coup, au 1.000 m, ils rattrapent tout le monde. Ils partent de vraiment loin. Nous, on est plutôt à travailler le coup par coup, en longueur. On a cette qualité aussi, on rame plus bas que les autres mais avec beaucoup plus de déplacement. »

Les 500 derniers mètres, « le grain de folie »

Le point de passage au troisième 500 m est « là où la course recommence », rapporte le DTN. Là, où l’organisme commence à pousser le bouchon un peu plus loin. Dans la coque, les rôles sont bien répartis. Le rameur à la nage (l’arrière du bateau) est chargé d’imposer le rythme pendant que son coéquipier tente de donner des indications sur la situation de course et se calque sur le tempo donné par le/la partenaire.

Claire Bové, Laura Tarantola aux JO de Tokyo.
Claire Bové, Laura Tarantola aux JO de Tokyo. - Nickios Saff/Penta Press/Shutter

« Ce sont deux ou trois mots techniques, indique Beurey. Des fois, des repères de stratégie. On gère, là, on attaque. Sur le dernier 500, ce sont des grains de folie, on enclenche. Par contre, la technique, ça ne compte plus. » « On fait notre course par rapport à nous-même pour être à fond de A à Z tout le temps, ajoute Claire Bové. Mais il faut être même plus qu’à fond pour être devant les autres. »

« On se transcende, mais ça passe par le plaisir de la glisse, le fait qu’on ait confiance en nos corps. Souvent, pendant la course, il faut se répéter que c’est toujours possible de faire un pas de plus et de se dire qu’on ne va pas mourir parce que, pour le moment, on n’est jamais mortes. »

Le finish, presque sous assistance respiratoire

Les derniers 250 mètres sont matérialisés par l’enchaînement de bouées rouges dans le bassin de Vaires-sur-Marne, ce qui permet aux athlètes de bien savoir où ils en sont. Enfin, en principe. « Pendant la course, j’ai une vision périphérique, mais cette vision se transforme en un petit point noir vers l’arrivée, raconte Ferdinand Ludwig. Souvent, à la fin, on n’entend plus ce qu’il y a autour. Il n’y a plus de bruit dans l’effort, et on attend que le klaxon d’arrivée pour s’arrêter. On évite d’être en apnée, c’est dangereux. Je dirais qu’on finit à plus de 200 pulsations par minute. »

Pour vous situer, nous, simples mortels, allons jusqu’à 160 pulsations/minute pour monter, visage dégoulinant de sueur, cinq étages à pied. Loin de ces machines de guerre. « Même si ça fait mal, qu’on se dit que ce n’est pas possible d’aller plus loin, on peut toujours aller plus loin, jusqu’à ce qu’on tombe dans les pommes, même si on n’a jamais franchi cet état, ajoute Claire Bové. On a ce moment où ne sent plus notre corps, où il n’obéit plus. C’est dur, ça brûle de partout. Il y a ce moment où on se transcende, où on est tellement ensemble, tellement hypnotisées par notre geste, on ne sait plus ce qu’on fait, mais on sait qu’on va vite, on voit qu’on va vite et on a l’impression qu’on peut en mettre encore plus, on ne sent plus notre corps. »

Même tétanisé, le corps, à force d’entraînement et de répétition des efforts, passe en mode automatique et est encore capable de fournir des efforts. « Sur les 250 derniers mètres, on sait qu’il reste 20 coups à donner, on sait qu’on peut compter ces 20 coups si c’est dur et qu’il faut se focaliser dessus, conclut Bové. On ne se pose pas de question jusqu’au bip de l’arrivée. Juste d’entendre l’autre dire quelque chose, on sait que notre corps va réagir à ce signal-là et qu’on ne va pas réfléchir. Quand on sent l’autre partir, on part aussi. » Pour mieux atterrir sur le podium quelques minutes plus tard. Rincés, mais médaillés.