JO de Paris 2024 : De la vidéosurveillance sans reconnaissance faciale, vraiment ?
SURVEILLANCE•Avant un usage massif du dispositif de vidéosurveillance algorithmique pendant les Jeux cet été, une première expérimentation pour paramétrer les logiciels est menée sur deux concerts à l'Accor Arena de BercyLaure Gamaury
L'essentiel
- La vidéosurveillance algorithmique (VSA) est testée pour la première fois à l'occasion d'un concert à Bercy, en amont de son déploiement pour les JO de Paris cet été, mais n'est pour l'instant pas encore opérationnelle.
- Le logiciel de Wintics peut déjà transformer des vidéos en données statistiques, mais avec la loi JO il pourra aussi envoyer des alertes en temps réel. La Quadrature du Net juge que c'est l'une des technologies les plus dangereuses jamais déployées, mais le gouvernement se veut rassurant sur l'encadrement prévu.
- La question de la biométrie et des caractéristiques physiques identifiables se pose, même si la reconnaissance faciale est exclue. La société Wintics parle d' « algorithme de reconnaissance d'images entraîné à reconnaître des silhouettes, un peu comme des ombres chinoises ».
Et un premier test pour la vidéosurveillance algorithmique (VSA), un ! Alors qu’elle doit être déployée à grande échelle pour toute la durée des Jeux olympiques et paralympiques de Paris cet été, elle participe à son premier test event à l’occasion du concert de Depeche Mode à l’Accor Hotel Arena de Bercy ce mardi. Six caméras dotées de la solution de Wintics, l’entreprise parisienne qui a remporté plusieurs lots pour les JO, ont été déployées autour de la salle, sur la voie publique par la préfecture de police de Paris.
Déjà mise en place dimanche pour un autre concert du même groupe, la VSA n’est pour l’heure pas encore opérationnelle, le ministère de l’Intérieur ayant précisé que les caméras seront utilisées pour « tester et paramétrer les solutions logicielles » dans des conditions réelles et non pas pour « détecter des évènements » ni pour « des interpellations ». Pas encore, aurait-il dû préciser.
« Le socle technologique est déjà largement éprouvé à des fins statistiques, expose Matthias Houllier, codirigeant de Wintics. La nouveauté qu’on va tester dans le cadre des JO c’est quand la statistique dépasse un certain seuil, une alerte est envoyée ». Pour faire simple : la technologie existe déjà mais la finalité évolue dans le contexte JO. Au point de réveiller les craintes sur la reconnaissance faciale, un procédé pour l’heure interdit, mais qui ne peut s’empêcher de surgir dans le débat quand on parle de caméras dopées à l’intelligence artificielle.
En quoi consiste la solution de Wintics ?
Chez Wintics, le logiciel qui a remporté deux appels d’offres du ministère de l’Intérieur, pour les collectivités et dans les transports, est en service depuis 2017. Mais jusqu’ici utilisé pour « transformer des vidéos en données statistiques », précise Matthias Houllier, qui prend l’exemple du comptage sur les pistes cyclables. « Pour que la Mairie puisse quantifier l’usage du vélo, mesurer l’impact des aménagements cyclables, mieux réguler les feux tricolores même, on a installé notre logiciel sur leur réseau de caméras de vidéosurveillance, donnant sur les pistes cyclables ».
Oui, mais voilà avec la loi JO, adoptée au printemps 2023, et notamment l’article 7, cette solution logicielle passe dans une autre dimension, puisqu’elle pourra désormais envoyer des alertes en temps réel aux opérateurs de sécurité, si les seuils et normes prédéfinis sont dépassés. Mais seulement dans huit types d’évènements :
- Le non-respect du sens de circulation
- Le franchissement d’une zone interdite
- La présence ou l’utilisation d’une arme
- Un départ de feu
- Un mouvement de foule
- Une personne au sol
- Une densité trop importante
- Un colis abandonné.
« L’idée c’est d’augmenter les capacités de l’opérateur humain mais pas de le remplacer », formule comme un vœu pieu le boss de Wintics. « Un sujet très chaud » , pour Hélène Lebon, avocate spécialisée en droit de la protection des données personnelles. « La Cnil notamment, a régulièrement alerté le législateur sur la nécessité de strictement encadrer ces pratiques, les systèmes de reconnaissance faciale étant dangereux pour les libertés des citoyens ».
La question de la biométrie
La loi, c’est fait. Mais qu’encadre-t-elle ? Car si tout le monde s’accorde à dire qu’il n’est pas question de reconnaissance faciale à proprement parler, la société Wintics affirmant d’ailleurs par la voix de Matthias Houllier « qu’on n’a jamais fait de reconnaissance faciale et qu’on n’en fera jamais », la question plus large de la biométrie se pose quand on identifie ne serait-ce que des silhouettes. Matthias Houllier, toujours, parle de son « algorithme de reconnaissance d’images entraîné à reconnaître des silhouettes, un peu comme des ombres chinoises ». Mais assure ne stocker « ni images, ni vidéos ».
Pas suffisant pour l’association La Quadrature du Net qui juge qu’une telle technologie est l’une « des plus dangereuses jamais déployées ». Le collectif qui avait, à l’adoption de la loi, publié un communiqué sur le sujet, considère que silhouettes, démarches, gestes, voire attributs physiques que la VSA peut capter sont autant de caractéristiques qui entrent dans la technologie de la biométrie, dont fait aussi partie la reconnaissance faciale. Plus mesurée, Me Hélène Lebon considère que « s’il y avait un projet de surveillance des JO via des systèmes de caméras à reconnaissance faciale, le Parlement n’aurait peut-être pas accepté de voter la loi et il y aurait certainement eu un recours devant le Conseil Constitutionnel ».
Les garde-fous supposés
Pour en revenir aux Jeux, on ne sait pas à l’heure actuelle combien de caméras équipées de la VSA seront déployées avant, pendant et après les JO, ni où, la place Beauvau se bornant à répondre qu’il était « trop tôt » pour donner un chiffre, tout en précisant néanmoins que le recours à la vidéosurveillance algorithmique fera l’objet d’un arrêté préfectoral, en précisant « la temporalité, la localisation et les motifs ».
Le ministère de l’Intérieur est conscient de la sensibilité du débat, s’attendant « à du contentieux mais sereinement ». « Une voie à la française est possible, martèle Matthias Houllier. Une voie qui réconcilie l’efficacité de la technologie tout en préservant les libertés individuelles fondamentales ». C’est ce que tend à prouver cette expérimentation grandeur nature, limitée dans le temps. Avant de faire l’objet d’une pérennisation ?
Amélie Oudéa-Castéra a déjà entrouvert la porte en septembre. Reste, après de la période définie par la loi JO, à éplucher le rapport d’évaluation rédigé par un comité d’experts, dont fait entre autres partie la Cnil. Et à trancher sur le dispositif de vidéosurveillance algorithmique. Mais ne sera-t-il pas déjà trop tard pour faire marche arrière ?
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