JO Paris 2024 : Comment la science aide les nageurs français à se préparer pour les Jeux
natation•La Fédération française de natation s’appuie sur les travaux de chercheurs dans le cadre du projet NePTUNE, lancé début 2020
Nicolas Camus
L'essentiel
- Initiée en 2018, l’alliance entre la natation et la recherche scientifique a vraiment pris de l’ampleur avec le lancement du projet « NePTUNE », l’un des 12 retenus par l’Agence nationale de la recherche et le CNRS dans le cadre du programme prioritaire de recherche (PPR) « Sport de très haute performance », au tout début de l’année 2020.
- L’objectif est de fournir aux entraîneurs et nageurs français des outils afin d’optimiser la performance, grâce à une analyse très fine des mouvements des athlètes et de leur incidence sur la vitesse de nage, dans le but d’être le mieux armé possible lors des JO de Paris 2024 (et après).
- Aujourd’hui, l’un des domaines où la recherche est la plus avancée concerne les départs et les virages, les deux moments stratégiques où des médailles se gagnent lors des sprints. Maxime Grousset, quintuple médaillé mondial sur 50m et 100m (nage libre et papillon), est un exemple particulièrement parlant de l’apport de ces recherches.
La photo a eu sa place sur les murs de l’Insep, au Palais des Congrès et au Musée de l’Homme, à Paris. On peut même parler de fresque tant elle en impose. Elle représente le départ d’un nageur, image par image, de son plongeon à sa remontée à la surface de l’eau, annoté par tout un tas d’indications qui semblent un peu barbares au premier regard. Ce nageur n’est pas n’importe qui : il s’agit de Maxime Grousset, quintuple médaillé mondial dont deux fois sur 100m nage libre, en train de peaufiner son départ avant les championnats du monde de Fukuoka en juillet dernier.
Une image admirable par son esthétique, mais pas que. Elle illustre également à la perfection le travail mené depuis quatre ans maintenant par la Fédération française de natation dans le domaine scientifique pour accompagner ses nageurs. Et les préparer au mieux dans la perspective des Jeux olympiques 2024.
L’alliance entre natation et recherche scientifique a un peu tardé à arriver, en France, comparé à ce qui se fait depuis un petit moment chez les Anglo-Saxons. Mais elle est en train de rattraper son retard à grandes enjambées. Initiée par le plan « Sciences 2024 », lancé en 2018, cette connexion a vraiment pris de l’ampleur avec le lancement du projet « NePTUNE », l’un des 12 retenus par l’Agence nationale de la recherche et le CNRS dans le cadre du programme prioritaire de recherche (PPR) « Sport de très haute performance », au tout début de l’année 2020. Son objectif ? Fournir aux entraîneurs et nageurs français des outils afin d’optimiser la performance, grâce à une analyse très fine des mouvements des athlètes et de leur incidence sur la vitesse de nage.
20 caméras installées le long du bassin de l’Insep
Prenons l’exemple des sprinteurs (50m et 100m), population qui a le plus à gagner à décortiquer chaque geste, quand on sait que leurs courses se jouent au centième de seconde. L’essentiel des recherches s’est concentré sur le départ et les virages, les deux moments qui font la différence car à très haut niveau, les athlètes nagent sensiblement tous à la même vitesse. L’entraîneur Michel Chrétien, à la tête du groupe « natation course » à l’Insep, s’est beaucoup impliqué dans ce projet avec ses ouailles, et notamment sa tête de pont, Maxime Grousset. « L’une des premières questions qu’il nous a posée est : "Quand est-ce qu’il faut déclencher les ondulations après l’entrée dans l’eau ?" », raconte Rémi Carmigniani, chercheur à l’Ecole des Ponts ParisTech et responsable de ces deux aspects stratégiques du projet.
Les scientifiques ont alors filmé plusieurs départs de Grousset, grâce aux 20 caméras installées tout spécialement pour ce programme le long du bassin de l’Institut national du sport (10 à la surface, 10 sous l’eau, tous les 5 mètres). En comparant les données de vitesse, de fréquence et d’amplitude, ils ont pu déterminer, avec le concours de son entraîneur, le timing optimal, mêlant bonne profondeur et bonne vitesse au moment de déclencher. Est venue ensuite la question de la longueur de la coulée.
Moins de coulées, plus de vitesse ?
La croyance populaire veut qu’elle doit être la plus longue possible, au plus près des 15 mètres réglementaires, car on avance plus vite sous l’eau qu’à la surface. « Et bien non, ce n’est pas vrai pour tous les nageurs, nous apprend Rémi Carmigniani, dont l’une des spécialités est la mécanique des fluides. Certains n’avancent pas plus vite sous l’eau. On dit en général que c’est le cas parce qu’il y a moins de résistance, car on ne fait pas de vague. Mais dès que vous entrez en mouvement ce n’est plus le cas, donc c’est plus compliqué que ça n’y paraît. »
Après analyse des départs de Grousset, le chercheur a conclu que dans son cas, il était plus performant avec des coulées de 12 mètres, lui qui avait l’habitude d’être plus proche des 14. Lors de la discussion qui a suivi, le nageur a opposé que ça l’obligerait à effectuer un coup de bras en plus, ce qui générerait de la fatigue supplémentaire et pourrait nuire à sa fin de course sur un 100m. « On avait convenu, selon son ressenti, de faire 12 mètres sur 50m et 14 sur 100m, reprend le scientifique. Et au final, quand il fait vice-champion du monde du 100m nage libre [à Budapest en 2022], il sort à 12. »
Le même constat a été fait pour Laurent Chardard, double champion du monde de paranatation, venu effectuer des tests début janvier. « Cette approche scientifique est super intéressante, relate-t-il depuis les Canaries, où il se trouve actuellement en stage. Ce n’est pas miraculeux, l’essentiel reste l’entraînement derrière, mais ça nous permet d’entrer véritablement dans le détail sur des points très précis, et si tout est bien réalisé c’est ce qui te fait passer devant l’autre au final. »
Dans la perspective du grand rendez-vous de l’été prochain, les observations effectuées lors des dernières compétitions internationales sont plutôt encourageantes. « La causalité est difficile à établir, mais on est plutôt passés du bon côté que du mauvais, estime Robin Pla, le Conseiller technique national (CTN) en charge de l’accompagnement scientifique de l’équipe de France. On a plus souvent été 3e que 4e, ou plus souvent finaliste qu’aux portes de la finale. C’est exactement ça qu’on cherche, ce basculement du bon côté. »
Manaudou et Marchand sur le pont
Tous les travaux engagés, que ce soient sur les coulées, la notion de résistance-force (avec les chercheurs de Rennes), les coûts énergétiques de la nage (avec les chercheurs de Rouen) ou l’analyse de course (avec l’équipe de chercheurs de Lyon), contribuent au final à gonfler ces fameux gains marginaux, nerfs de la guerre dans le sport du 21e siècle.
Les nageurs sont de manière générale assez curieux en la matière. Florent Manaudou, très friand de datas, est déjà passé une fois dans les mains des chercheurs du projet NePTUNE et a prévu une nouvelle visite dans les prochains mois. Superstar annoncée des JO à venir, Léon Marchand a lui profité de sa venue à Rennes lors des championnats de France en juin dernier pour prendre quelques mesures « forces et résistances de la nage » au laboratoire M2S (mouvement, sport, santé), associé au projet.
Au-delà de la préparation aux JOP, cette « scientifisation » de l’approche de la natation doit surtout servir aux générations futures. Car finalement, entre le Covid qui a enfermé tout le monde dès le lancement du programme et l’année 2021 consacrée aux Jeux de Tokyo, le temps a manqué pour remplir toutes les tâches initialement prévues dans le cahier des charges.
« Ce qui est fait à l’Insep sur les coulées, du point de vue technologique, de l’utilisation de l’intelligence artificielle, c’est unique au monde à ma connaissance. On a construit des super outils, mais qui sont difficiles à utiliser au quotidien », dévoile le CTN. Dit autrement, il faut simplifier le processus d’analyse pour que les entraîneurs puissent l’utiliser en autonomie, sur tout le territoire.
NOTRE DOSSIER JO PARIS 2024Les chantiers d’après-JO sont identifiés : transférer les connaissances, les méthodes et les outils aux dirigeants fédéraux et aux entraîneurs, former des techniciens, étendre les tests aux jeunes nageurs, délocaliser le tracking vidéo réalisé à l’Insep à d’autres pôles France, ou encore améliorer l’analyse de la performance en eau libre. Tout ça demandera de l’argent, évidemment. Le projet NePTUNE, qui était financé à hauteur de 1,56 million d’euros dans le cadre de ce PPR, prendra fin officiellement en novembre 2024.