MALAISEPeut-on encore apprécier la perspective des JO quand on est de gauche ?

JO Paris 2024 : Peut-on encore apprécier la perspective des Jeux quand on est de gauche ?

MALAISEFace à toutes les externalités négatives liées aux Jeux olympiques et paralympiques, certains soutiens qui se placent à gauche sur l’échiquier politique ont des scrupules
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Vous êtes pour les JO, vous êtes contre les JO et vous êtes satisfaits de l’être ? Très bien pour vous.
  • Ici la parole est aux soutiens contrariés par la manière dont les choses se passent.
  • Peut-on allier soutien aux JO et ses propres valeurs ?

Ils sont dans la majorité, celle des 72 % des Français qui soutiennent l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Mais mais… ils sont jamais contents, ces Français et ces Françaises. On en trouve qui ont des scrupules, un peu honte, voire qui changent d’avis. Il faut dire que ces derniers mois, les JOP ont pas tout fait pour se rendre populaires. Il y a eu les travaux, leur coût et puis l’affaire des jardins ouvriers d’Aubervilliers. Il y a eu les SDF qu’on vire dans d’autres régions pour faire place nette, pareil pour certains étudiants dans leur chambre du Crous. Il y a eu les bouquinistes qu’on prie de bien vouloir aller voir ailleurs pendant quelques semaines. Il y a le prix des places. Les lois sécuritaires exceptionnelles qu’on prévoit déjà de prolonger au-delà de l’évènement… La liste n’est pas exhaustive.

Les contraintes paraissent énormes pour une fête qui ne sera peut-être pas aussi populaire qu’annoncée. Dans l’appel lancé par 20 Minutes il y a quelques semaines c’est le coût environnemental et le prix des places qui revient le plus chez celles et ceux qui déchantent.

Ancien sportif de haut niveau ayant participé à de grandes compétitions internationales, Stéphane estime « qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis : je ne soutiens plus ce genre de méga manifestation extrêmement impactante pour notre planète. » « Je ne suis pas contre mais j’ai honte, quand je vois les difficultés que rencontrent une majorité de Français avec l’inflation », nous dit Michèle. « Initialement très contents de pouvoir faire vivre cela à nos enfants, de 10 et 7 ans en 2024, nous avons été déçus par les tarifs et les modalités d’organisation pour la billetterie », explique Coralie, qui indique pourtant bien vivre. Pour elle, les JOP, ça sera finalement devant la télé.

Unpopular opinion ?

La question au fond, c’est celle d’un conflit de valeurs : j’aime le sport, où j’aime surtout les JO, ce qu’ils représentent, mais je ne suis pas à l’aise avec ce qu’il se passe. Dit autrement ? J’ai envie de kiffer, mais je suis de gauche et légèrement emmerdé sur les bords par la situation. Valentin Socha s’en est ouvert il y a quelque temps sur les réseaux sociaux : « Ça devient de plus en plus une ''unpopular opinion'' d’aimer sincèrement les Jeux mais quand on voit ça, on peut comprendre pourquoi. C’est franchement désagréable, cet arrière-goût de compromission… », a-t-il posé sur Twitter en réaction à la demande du Crous à certains de ses étudiants de faire place nette en vue de l’évènement.

Pour ce designer graphique de 29 ans, les Jeux olympiques « c’est d’abord un souvenir de télé d’enfance ». Valentin parle « du contraste fou entre un évènement très concentré et le fait qu’il se passe énormément de choses. Même gamin on ressent ce qu’est un exploit, un record, l’enthousiasme des médias ». Aujourd’hui, il dit « adhérer aux valeurs des Jeux, à leur histoire, aux rituels, les cérémonies, aussi bien qu’aux performances ». Ça parle aussi à Benjamin Tubiana « pas du tout fan de sport » mais pour qui « les JO, c’est l’été, ce sont les vacances chez ma grand-mère ». Depuis, c’est le seul rendez-vous sportif qu’il suit. Ce responsable de la communication d’une association de 37 ans « a toujours été fasciné par les JO, notamment tout l’aspect esthétique autour ».

Désenchantement

Quand en 2017 Paris est définitivement désignée pour l’édition 2024, évidemment c’est la bonne nouvelle. « Je ne suis pas très chauvin, mais j’avais de l’enthousiasme et de la curiosité à l’idée de pouvoir vivre ou observer cet évènement à Paris », décrit Benjamin. Comme Valentin, il avait aussi hâte de voir ce que le pays ferait de ces Jeux : « Je me suis tout de suite demandé quels Jeux on voulait faire à Paris, quelque chose qui nous rassemble, quelle image on voulait donner de la France ? Le postulat de base, des Jeux dans la ville, je le trouvais exemplaire. »

Alors forcément, quand il s’agit de rogner sur les jardins partagés d’Aubervilliers pour la construction des sites, la promesse en prend un coup. Plus récemment, ce sont les lois sécuritaires dans la perspective des JO qui l’inquiète particulièrement. « Après Pékin où on a déplacé des gens de force, ou Athènes où on a dépensé des sommes folles pour construire des trucs qui ne servent à rien, je me disais qu’en France on ferait des choix plus intelligents. Finalement, c’est la douche froide de voir qu’on ne fait pas mieux », juge Benjamin.

Des gens de gauche bien emmerdés

On aura compris qu’on parle à des gens concernés aussi bien par les problèmes sociaux qu’environnementaux, et qui ont du mal à dealer ça avec leur passion pour un évènement dont les externalités semblent, jusque-là en tout cas, sacrément négatives. A ce titre, on trouve aussi quelques politiques, comme Manon Aubry. La députée européenne insoumise est une vraie sportive, pratique le water-polo, elle a même joué en première division nationale.

Plus jeune, elle était en sport étude natation avant de passer au triathlon. Last but not least, elle est du genre à vous faire remarquer que, elle, son vélo n’a pas de moteur électrique. Le décor est planté : pour les JO de 2024, elle va passer ses quinze jours devant sa télé ou pas loin. Sauf qu’elle est dans un parti pas franchement pro-JO. Aux municipales de 2020 à Paris, la candidate du parti, Danielle Simonnet, a carrément fait campagne contre.

Naïveté et trahison

Manon Aubry est elle aussi dans un conflit intérieur entre le coût écologique et financier, la place des sponsors, le prix des places… Mais refuse néanmoins d’opposer ces côtés négatifs à « la grande fête populaire » que peuvent être les Jeux olympiques. « J’aurais aimé que le comité d’organisation vienne avec une stratégie politique autour du sport populaire. Car c’est un outil formidable de mixité sociale ! » La députée européenne donne l’exemple des piscines pour développer la pratique de la natation, notamment en Seine-Saint-Denis, où un enfant sur deux ne sait pas nager. Certes, la piscine olympique de Saint-Denis, principal héritage des JOP sur le territoire, servira aux scolaires après 2024. Mais dans un département de 1,6 million d’habitants, ça reste léger.

Globalement, on sent chez les personnes interrogées un sentiment d’exclusion, de dépossession : « Ce truc que je voulais observer, je me dis finalement que ce n’est pas du tout pour moi alors que ça se passe chez moi, décrit Benjamin. J’ai vraiment l’impression qu’on va juste prendre notre ville et la donner, elle et ses équipements à d’autres personnes, pendant quelques mois. Mais Paris ce n’est pas juste un décor, c’est une ville avec des habitants, des citoyens dedans. » « Amertume, tristesse, naïveté », pour Valentin qui lui aussi avait sous-estimé les externalités négatives. « Je me sens trahi sur la promesse et sur l’esprit des Jeux, en tout cas de ce qu’on m’en a dit et de ce que j’en ai compris. »

Que fera tout ce beau monde le 26 juillet 2024 ? Ils seront là, malgré tout. En « se raccrochant à l’idée que je vais vivre un événement que je ne vivrai sans doute plus dans ma vie », explique Valentin, qui a envie « de vivre ça à fond, de se faire un maximum de souvenirs ». Benjamin, moins enthousiaste, attend de voir, en tout cas il sera chez lui, dans la proche banlieue parisienne : « Plein de potes me disent qu’ils vont partir mais pas moi. Je veux quand même essayer d’avoir des places, même pour des petits trucs. Mais je ne mettrai pas 150 euros pour aller voir des séries de badminton ! »

Manon Aubry ira voir des matchs de water-polo avec son club : « On en a acheté en pack, et on se fait un tarif social entre nous… Ces prix, c’est pas normal. Et encore nous, on est des amoureux du water-polo. Mais pour les autres, c’est 60 euros pour, concrètement, voir des éclaboussures dans une piscine quand même ! »