OLYMPISME« Pierre de Coubertin n’était pas du tout favorable à des Jeux à Paris »

JO Paris 1924 : « Pierre de Coubertin n’était pas du tout favorable à des Jeux à Paris »

OLYMPISMEPierre de Coubertin est considéré comme le père fondateur des Jeux olympiques modernes mais ses positions ne faisaient pas l’unanimité auprès de ses pairs, même s’il a toujours œuvré avec sa forte conscience patriotique
Laure Gamaury

Laure Gamaury

L'essentiel

  • A un an des Jeux olympiques de Paris 2024, retour sur le personnage emblématique des Jeux modernes : le baron Pierre de Coubertin.
  • Considéré comme le père fondateur, il a pourtant eu un parcours semé d’embûches pour faire entendre ses positions, et a notamment échoué à s’opposer à l’attribution des Jeux de 1924 à la capitale française.
  • « Il a passé un pacte pour accorder les Jeux de 1924 à Paris, expose Patrick Clastres, historien et spécialiste du baron de Coubertin. Il a accepté d’accorder cette édition à la capitale française en échange d’un bail jusqu’au congrès de Prague en 1925 à la tête du CIO ».

A un an des Jeux olympiques de Paris 2024, 20 Minutes et Retronews, le site de presse de la BNF, vous replongent cent ans en arrière avec les Jeux de 1924. Aujourd’hui, c’est Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux modernes, qui est à l’honneur.

Dans un an s’ouvriront les Jeux 2024 à Paris, soit un siècle tout pile après les dernières olympiades dans la capitale française. A cette époque, le baron Pierre de Coubertin, considéré comme le père fondateur des Jeux olympiques modernes, était encore en vie pour imprimer sa patte sur un événement qu’il ne souhaitait pourtant pas, à l’origine, donner à la France.

« Pierre de Coubertin n’était pas du tout favorable à des Jeux à Paris parce qu’il était en conflit avec les présidents des fédérations internationales, eux-mêmes membres du Comité olympique français, rappelle Patrick Clastres, historien et professeur à l’université de Lausanne, qui a rédigé sa thèse à Sciences po Paris sur le célèbre baron. Il était considéré par ces derniers comme un obstacle à démocratiser le sport international. » Quel était donc le lien qui l’unissait aux JO de 1924 ? Quelle place cette compétition a-t-elle prise dans la vie de Pierre de Coubertin ?

L’évolution de la vision de Pierre de Coubertin

Dans un article de L’Avenir, daté du 19 novembre 1924, un journaliste revenait sur la genèse des Jeux modernes, étroitement liés à leur père fondateur. « C’est en 1893 que le baron Pierre de Coubertin, dans un banquet que présidait Jules Simon, annonça son intention de rénover les Jeux olympiques. Son intention, il la réalisa en 1894, au cours d’un congrès international tenu à la Sorbonne. On sait les résultats prodigieux de son initiative. Les Jeux olympiques ont, en trente ans, accompli une œuvre gigantesque de propagande en faveur de l’éducation physique et sportive et mis en contact de fraternisation – en dépit des incidents nés dans l’ardeur des rivalités – la jeunesse de cinq continents. »

Mais la réalité était moins romanesque, d’après Patrick Clastres qui évoque comment Pierre de Coubertin en est arrivé à les faire renaître. « C’était un aristocrate, hanté par l’idée de la concorde sociale et de la paix internationale. A l’âge de 20 ans, il a découvert l’éducation sportive donnée aux jeunes garçons britanniques et a souhaité l’adapter à l’élite française. » D’ailleurs, dans Le Siècle du 13 juin 1894, il ne parlait que de l’aspect de « fête pacifique et internationale que revêtaient les réunions d’Olympie », qu’il souhaitait transposer à ses propres Jeux. « C’était une trêve générale ; toute hostilité était suspendue. Des représentants de tous les peuples de la Grèce se trouvaient rassemblés, apprenaient à se connaître et à s’apprécier. Voilà ce que nous voudrions faire de nos Jeux olympiques. » Pas de trace d’universalité, et pour cause. « Pierre de Coubertin n’a jamais pensé le sport pour tous, affirme encore Patrick Clastres, en tout cas pas avant 1910-1912 et de façon limitée, passant par les associations sportives des élites. »

Le sport pour tous, vraiment ?

Le baron de Coubertin échangeait d’ailleurs à ce propos avec le journaliste du Petit Journal, dans l’édition du 24 mars 1924. « Les Jeux olympiques ne sont pas des championnats du monde. Ils sont plus. Nous les entourons d’une certaine religiosité athlétique pour que l’idée vive. Il faut en effet se méfier des caprices de la foule. » Pierre de Coubertin avait son idée bien à lui, ce qui lui a coûté bien des misères avec ses pairs, les présidents pour la plupart français des fédérations internationales. « C’étaient des républicains qui considéraient cet aristocrate comme un monarchiste infect. A l’époque, il était président du CIO, dont les membres se cooptaient entre eux. Il n’y avait pas d’élection », développe l’expert.

Et le baron de Coubertin a d’ailleurs été mis de côté pour l’organisation des Jeux de 1924, il les a seulement présidés en tant que patron du CIO, comme il le sous-entendait dans l’article du Petit Journal du 24 mars 1924. « Pour Paris, je tiens à dire ma reconnaissance à mes collaborateurs du Comité français pour leur zèle et leur ardeur, mais je regrette que l’on n’ait pas adopté mon projet d’un stade provisoire au Champ de Mars. » Ce qu’il a mal vécu. « En fait, il a passé un pacte, on dirait aujourd’hui un deal, pour accorder les Jeux de 1924 à Paris, expose Patrick Clastres. Il a accepté d’accorder cette édition à la capitale française en échange d’un bail jusqu’au congrès de Prague en 1925 à la tête du CIO, dans lequel il était au moment de la désignation du pays hôte, en 1920-1921, mis en minorité. »

Coubertin, le patriote

Réaffirmé dans ses fonctions à la tête du Comité international olympique, il a ensuite adhéré à cette candidature française. « Une fois ce pacte scellé, Pierre de Coubertin apparaîtra comme le patron du CIO qui a donné les Jeux à la France et l’assumera comme tel, affirme l’historien. Mais dans un premier temps, il y a eu un véritable marchandage. Ce n’était pas sa volonté première. »

Pierre de Coubertin était néanmoins un patriote, « il était ravi de servir les intérêts français, précise Patrick Clastres. En 1924, contrairement à 1900 où il avait été totalement évincé des Jeux et de toute festivité, il était bien présent, a prononcé un discours mais n’a peut-être pas été honoré comme il aurait pu l’être », poursuit-il. « Et pour cause, au printemps 1924, le cartel des gauches est arrivé au pouvoir en France, le gouvernement n’aura donc aucune envie de lui accorder de faveur particulière, contrairement au précédent d’Union sacrée. » Satanée politique qui poursuivra Pierre de Coubertin jusqu’au bout et fera fondre progressivement son vœu pieux de neutralité.

Impossible d’échapper à la politique

« Même s’il n’a jamais œuvré pour un retour de la monarchie, Pierre de Coubertin a souffert de son image, analyse Patrick Clastres. Il était bien plus respecté à l’international. » Comme il le qualifie dans sa thèse, le baron était en fait « d’extrême centre, critiqué par la droite monarchiste autant que par la gauche laïcarde. Et il vivait et évoluait dans un pays qui connaissait une discorde prolongée, le rendant de plus en plus discrédité et esseulé. » Il s’est d’ailleurs installé à temps partiel en Suisse dès 1917 alors que le siège du CIO était à Lausanne depuis 1915, avant d’y vivre définitivement après sa retraite en 1925 et jusqu’à sa mort en 1937.

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En ne voulant pas entrer dans le jeu des partis politiques, Pierre de Coubertin a pris les critiques de plein fouet. « Il se considérait au-dessus de la mêlée mais subissait autant que le CIO aujourd’hui, les tensions et conflits internationaux, compare l’historien. L’an prochain à Paris, il y aura soit les Russes, soit les Ukrainiens, impossible d’avoir les deux. D’ailleurs Thomas Bach le dit lui-même : "Quelle que soit la position adoptée par le CIO pour 2024, elle sera mauvaise" », ajoute Patrick Clastres. Il évoque les Autrichiens et les Allemands non invités à Anvers en 1920, le cas de l’Allemagne tenue à l’écart en 1924. « Pierre de Coubertin ne voulait pas que le CIO apparaisse comme une institution qui exclut. » Au point d’accepter les invitations de Hitler pour les Jeux de 1936 ? « C’est une autre histoire », conclut Patrick Clastres.