InterviewPour Huot-Marchand, c’était « impensable de ne plus pouvoir marcher »

Short-track : Pour Tifany Huot-Marchand, gravement accidentée, « c’était impensable de ne plus pouvoir marcher »

InterviewLa spécialiste française du short-track Tifany Huot-Marchand a eu un terrible accident en course en octobre 2022 qui l’a laissée paralysée. Depuis, elle se reconstruit à petits et grands pas
Propos recueillis par Antoine Huot de Saint Albin et William Pereira

Propos recueillis par Antoine Huot de Saint Albin et William Pereira

L'essentiel

  • Chaque jeudi, « 20 Minutes » reçoit un athlète qui rêve de podium en 2024 dans son émission Twitch LCTC. Cette semaine, Tifany Huot-Marchand est notre invitée.
  • Après un grave accident en octobre, qui l’a laissée paralysée, la short-trackeuse remarche et a pour objectif de revenir sur la glace pour le début de la prochaine saison.
  • La Bisontine de 28 ans raconte ses derniers mois de galère et son espoir de patiner, encore, au haut niveau

Une course, un accrochage et le fil d’une carrière qui bascule. Lors des demi-finales du 1.000 m, à Heerenveen (Pays-Bas), début octobre 2022, la spécialiste française du short-track Tifany Huot-Marchand a été bousculée alors qu’elle tentait un dépassement en milieu de virage. Résultat : fracture et déplacement de la vertèbre cervicale C5. Paralysée pendant quelques mois, et alors qu’on lui prédisait qu’elle ne pourrait plus marcher, la patineuse est sortie de l’hôpital, fin janvier, debout.

Cinq mois après son accident, Tifany Huot-Marchand s’est fixé pour objectif de revenir sur la glace pour le début de saison de short-track, sa « passion » qu’elle n’a jamais songé à arrêter, début juin. Elle nous a expliqué tout ça lorsque nous l’avons reçu dans notre émission Twitch, « Les croisés, tu connais », jeudi 16 février.




Aujourd’hui, quatre mois après votre accident, quel souvenir avez-vous de ce moment ?

Je me souviens de tout. Je n’ai pas eu mal et je n’ai rien senti, et c’est un peu le point positif de tout ça. L’impact a été super violent, ma tête a heurté mes genoux, j’ai tout de suite su que c’était super grave. Je suis un peu casse-cou, je suis déjà tombée un milliard de fois, mais je ne me suis jamais fait mal. Là, j’ai tout de suite su que ça allait être grave, parce que je suis sorti dans un endroit de virage où je n’étais jamais tombée auparavant. Normalement, on tombe en sortie de virage, et là je suis tombée en plein milieu du virage, et ça ne pardonne pas.

A l’hôpital, le chirurgien vous dit que vous n’allez pas pouvoir remarcher…

Au début, j’étais dans le déni, vu que je ne m’étais jamais fait de blessure grave. Je disais à mon coach : « Tu crois que je serai prête dans deux semaines », alors que j’étais totalement paralysée. Mais quand le chirurgien m’a dit que je n’allais probablement pas remarcher, ça a été un gros traumatisme. Je me suis mise à hurler et l’anesthésiste m’a endormi là-dessus. On se serait cru dans un film.

Quel a été le cheminement mental dans les semaines qui ont suivi ?

Déjà, quand j’étais sur la glace et que je ne pouvais plus bouger, je me disais dans ma tête que c’était impensable, que je ne pouvais pas être paralysée, que je ne pourrais plus jamais marcher. Même quand le chirurgien est revenu me voir le lendemain de l’opération, il m’a dit que si je remarchais, ça prendrait au moins un an. Mais dans ma tête, je me disais que ce n’était pas possible. J’ai encore des séquelles, mais ça va quand même bien mieux. Mais il a fallu refaire toutes les étapes, comme si je renaissais, comme réapprendre à marcher, à écrire.

Une fois arrivée dans le centre de rééducation, vous avez tenu une sorte de journal de bord…

En fait, je voulais voir les progrès jour après jour. Vu que j’étais paralysée, je ne pouvais pas écrire, mais je dictais à mon téléphone, merci Siri. C’était un peu un cahier d’entraînement. Alors, il y a eu des moments où ça stagnait pas mal, et c’était un peu plus difficile, mais ça fait partie de la rééducation. C’était vraiment dur, car je ne dormais pas beaucoup, que ce soit la journée ou la nuit. Et puis, je revivais l’accident sans cesse. Donc, qu’est-ce qu’on fait, pas grand-chose, puisqu’on est enfermé dans son corps. Du coup, ça cogite. Je ne sais pas trop comment j’ai tenu, peut-être en tentant de me fixer des objectifs.


Tifany Huot Marchand lors des JO de Pékin en 2022.
Tifany Huot Marchand lors des JO de Pékin en 2022. - WANG Zhao / AFP

Au centre de rééducation, vous avez raconté qu’il y avait beaucoup d’humour entre les patients…

C’était vraiment de bonnes vannes, dans le style humour noir. Moi, au début, je n’osais pas trop, mais je voyais que c’était full humour tout le temps. J’étais dans un centre spécialisé dans les traumatismes médullaires, donc il y avait des gens qui avaient fait un AVC, beaucoup d’accidentés de la route, vélo contre camion par exemple, et des accidents de sport, mais aucun sportif.

Quelles sont les séquelles de cet accident, encore aujourd’hui ?

Là, j’ai repris pas mal de musculation, donc c’est cool. Après, j’ai de la spasticité, mon pied trépigne tout seul. On a l’impression que je bats la musique, mais pas du tout. Et j’ai de la raideur, donc je vais partir faire une formation de yoga à Bali pour essayer de contrer ça. Puis, après, ça va s’améliorer petit à petit. Les raideurs, c’est au niveau du cou, mais aussi tout le côté droit, l’épaule, le bras. C’est pas mal difficile à gérer, parce que je n’ai jamais été comme ça.

« Pour l’écriture, par exemple, ça va être une étape importante, car je veux être prof des écoles plus tard et là, j’écris à deux à l’heure. Il y a eu la tentation d’écrire de la main gauche, car la droite a été paralysée deux mois, mais j’ai quand même beaucoup de mal. Par contre, il y a beaucoup de choses aujourd’hui que je fais de la main gauche, comme prendre un verre. » »

Aujourd’hui, votre grand objectif, c’est d’être au départ de la saison, qui commence en juin. Mais, est-ce qu’il y a eu un moment où vous avez songé arrêter ?

Oui, j’ai pour objectif de retrouver l’équipe de France en juin, puis les compétitions, qui commencent fin octobre, début novembre, avec comme grand objectif les JO 2026 à Turin, mais aussi le marathon de Paris en 2024. Mais, non, je n’ai pas eu du tout envie d’arrêter, au contraire. Quand on trouve sa passion, tu n’as pas envie d’arrêter. Pour moi, le short-track, c’est comme l’école. L’entraînement, ce sont les cours, et la compétition, la récré. Et moi, ce que je préfère dans ce sport, c’est la compèt.


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Est-ce que vous avez un peu d’appréhension à l’idée de remettre les patins et vous retrouver dans quelques mois en compétition ?

Il doit y avoir une décision collégiale entre médecins qui doit se faire pour savoir si je peux reprendre ou pas. Et, justement, un des points abordés, c’est la peur, l’appréhension, tout le côté psycho. Pour le moment, je n’y pense pas. Je fais du foot, dans l’équipe de ma sœur. Je suis un peu nulle, mais il y a du contact et, du coup, c’est pas mal pour préparer un peu le retour. Moi, de toute façon, je n’ai pas envie de reprendre pour dire, c’est bon, j’ai repris, et d’être nulle, car ça va me saouler. J’ai envie de faire un retour et d’être au même niveau qu’avant, voir mieux.

Vous avez reçu beaucoup de remerciements de la part de personnes en situation de handicap…

Quand j’ai commencé à partager toute mon histoire sur les réseaux sociaux, j’ai eu vraiment beaucoup de messages de personnes en situation de handicap ou de leurs proches qui me disaient que ça leur donnait beaucoup de forces, que ça les aidait, notamment quand je prenais la parole dans les médias. Ça m’a énormément touché, d’autant plus que, au début de l’accident, j’essayais de m’identifier à quelqu’un [qui aurait connu pareille situation].

Est-ce que, en étant handicapée, le regard des gens a changé ?

Oui, et ça m’a fait énormément de mal. Je me suis dit que c’était affreux, le regard des gens sur les personnes en situation de handicap. J’aimerais pouvoir leur venir en aide. Et, de la même façon, mon regard sur le sujet a évolué. Rien n’est adapté pour les fauteuils. Et, tant qu’on ne se retrouve pas dans la situation, c’est un peu « Oui, c’est dommage, mais c’est comme ça ».