JO 2022 : Les Jeux d'hiver les plus écologiques de l'histoire, vraiment ?
OLYMPISME•Malgré les promesses de durabilité du CIO, l'impact environnemental de la compétition pose problème à un certain nombre d'observateurs et d'athlètesAymeric Le Gall
L'essentiel
- Le CIO prétend que les JO 2022 seront les plus écologiques de l'histoire, malgré l'utilisation d'une neige 100% artificielle.
- La Chine a dédruit plus de 1000 hectares de zones naturelles pour faire de la place aux nouvelles installations.
- La problématique environnementale risque de remettre en cause la légitimité des JO d'hiver à long terme, alors que le réchauffement climatique réduit le nombre de villes candidates.
Dans son discours inaugural de lancement des JO 2022, lors de la 139e session du Comité International Olympique, jeudi, à Pékin, son président Thomas Bach n’a pas pu s’empêcher de mettre un petit tacle à son homologue de la FIFA Gianni Infantino et son projet de Coupe du monde biennal. Si les deux principaux mastodontes du sport mondial semblent en désaccord sur la manière de gérer leurs calendriers respectifs, ceux-ci se rejoignent sur un point : celui d’organiser leurs compétitions dans des pays politiquement, socialement et écologiquement discutables. Un Mondial de foot au Qatar sous 40° dans des stades climatisés d’un côté, des Olympiades dans une région de la Chine où les hivers sont secs et où il ne neige quasiment pas de l’autre.
100 % de neige artificielle, une première
Sur les deux principaux sites où auront lieu les épreuves de plein air, à Zangjiakou et Yanking, on parle en effet de 2 à 3 centimètres de neige par mois à tout casser. On le confirme, depuis notre arrivée, lundi, pas un seul flocon à l’horizon. Conséquence, la neige sur laquelle les athlètes réaliseront leurs exploits sera 100 % artificielle, une première dans l’histoire des JO. Or il se trouve qu’utiliser de la fake neige n’est pas sans conséquences sur la consommation d’énergie et, en bout de chaîne, sur l’environnement. Pourtant, le CIO nous l’assure, la main sur le cœur, ces Jeux de Pékin seront « les plus verts de l’histoire » ou ne seront pas. Un discours de rigueur à une époque où le réchauffement climatique menace notre planète (et notre espèce) à court, voire très court terme.
Pour étayer ses promesses, celui-ci a publié un rapport de durabilité de 130 pages dans lequel les organisateurs se targuent de « réduire et compenser les émissions de carbone, protéger les écosystèmes locaux et offrir des avantages à long terme aux communautés et aux économies locales. » En mettant en avant la construction d’immenses champs d’éoliennes et de panneaux solaires ou l’utilisation de véhicules transportant les athlètes, journalistes et bénévoles roulant à l’électricité ou à l’hydrogène, la Chine assure que l’alimentation des Jeux sera uniquement d’origine renouvelable. Voilà pour la version officielle à destination du grand public. Comme souvent, quand on gratte un peu la première couche de vernis, on se rend compte que la vérité est un brin différente.
« C’est du greenwashing à l’état pur ! »
Géographe spécialisée en hydrologie à l’Université de Strasbourg, Carmen De Jong étudie depuis de nombreuses années les impacts environnementaux des stations de ski à travers le monde. Elle a notamment participé à des conférences sur les problèmes de crue dans l’Empire du Milieu. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est intéressée de très près à la construction des sites olympiques dans les régions de Zangjiakou et Yanqing. Et son constat est sans appel : « Ces Jeux olympiques sont à mon sens les moins durables qui soient. C’est une aberration écologique ». Mais avant d’entrer dans les détails, elle tient d’abord à dire un mot sur ce fameux rapport qu’elle a scruté à la loupe dès sa publication en décembre dernier.
« « C’est du greenwashing à l’état pur, s’étrangle-t-elle. Mais ça ne me surprend absolument pas, c’est un peu une coutume au CIO. Ses rapports sont généralement très longs car on y détaille par le menu des mesurettes mais, la vérité, c’est qu’ils font fi de tous les grands problèmes. Pas une ligne par exemple sur les millions de tonnes de Co2 émis lors de la construction des hôtels, des routes, des parkings et des villages olympiques. Ils listent une centaine de petites mesures de compensation mais ça ne vaut rien si, à côté, on détruit 1000 hectares de zones naturelles comme ça a été le cas à Yanqing et Zangjiakou ». »
Pour bien se rendre compte de ce qui a été réalisé par la Chine pour accueillir ces Jeux « les plus verts de l’histoire », il suffit de jeter un œil au cliché aérien des régions de Zangjiakou et Yanqing entre 2017 et aujourd’hui. C’est bien simple, cinq ans en arrière il n’y avait rien. Carmen De Jong : « Ils ont délocalisé des villages entiers, détruit des terrasses agricoles qui étaient la base de la vie pour les agriculteurs locaux et ils ont et planté des milliers de conifères pour récréer un paysage alpin totalement artificiel ». Et de jolies pistes de ski à perte de vue, donc.
De l’eau, encore de l’eau, toujours de l’eau
« Ce qui est pervers, poursuit la géographe, c’est que ce ne sont pas seulement les pistes de ski qui sont enneigées, mais aussi toutes les routes à côté pour permettre aux véhicules comme les dameuses d’y accéder. Et aussi pour faire de jolies images pour les télévisions du monde entier. On peut donc vraiment parler d’un immense gaspillage en eau ». En cause, un sol si sec que la neige ne colle pas sans qu’on l’y aide. Comment ? Devinez ! En y injectant de l’eau, encore de l’eau et toujours de l’eau, pour le faire geler. Or, on le sait, ces régions souffrent déjà d’une pénurie de cette ressource vitale. Avant les Jeux, Pékin et ses environs ne pouvaient déjà compter que sur 300 m3 d’eau par an et par habitant, soit moins du tiers de l’approvisionnement recommandé par les normes de l’ONU.
Comme l’eau n’est que très peu disponible dans le coin, « elle doit donc être acheminée et pompée depuis très loin » nous dit la spécialiste en hydrologie. Et celle-ci d’ajouter : « Je viens d’apprendre que pour Yanqing, ils acheminent l’eau depuis 60 km (avec 1.700 mètres de dénivelé), alors que jusqu’ici on nous disait qu’elle venait de 7 km. Or ça coûte énormément d’électricité de pomper l’eau en altitude. »
Et les athlètes, ils en pensent quoi de cette neige en canon et du choix de Pékin comme ville hôte ? Ceux-ci sont comme souvent tiraillés entre leur conscience écologique sincère et leur attachement aux Jeux d’hiver. Cofondatrice avec son frère, sa sœur et quatre de ses amis de l’association Ecoglobe, qui essaye de sensibiliser sur la nécessité de réduire notre empreinte carbone au quotidien, la snowboardeuse Chloé Trespeuch se sent particulièrement concernée par cette question.
« On n’a pas notre mot à dire sur le choix de la ville hôte, mais disons que je suis contente que les Jeux de 2026 aient lieu dans un vrai pays de neige, dans des conditions naturelles. Là, on a choisi de les faire à Pékin, on doit s’adapter, on n’a pas le choix. Pourtant on a envie de faire bouger les choses par rapport aux décisions du CIO, qui ont un impact réel sur les questions environnementales. » A l’inverse, Martin Fourcade, en pleine campagne pour intégrer le CIO, a défendu le choix de la Chine ces derniers jours, au risque de décevoir une bonne partie de son fan-club qui aimait en lui sa liberté de conscience et d’expression.
A quand des JO d’Hiver à Doha ?
A terme, ces agissements ne seront pas sans conséquences sur l’environnement de la région. Car, si les organisateurs assurent que cette eau ne contient pas de produits chimiques et pénétrera naturellement dans le sol lors de la fonte, l’universitaire affirme tout le contraire. « Le sol étant désormais très imperméable sur les pistes de ski du fait des passages répétés des dameuses, cela va engendrer une forte érosion et des glissements de terrain. Ça va aussi changer la qualité de l’eau car il y aura beaucoup plus de sédiments dedans. »
Etrangement (non), rien de tout cela ne figure dans le rapport présenté par le CIO et le comité olympique chinois. Le risque (encore un !), c’est que Thomas Bach et son organisation ne s’en servent comme d’un argumentaire béton pour pousser encore plus loin les choix loufoques des villes organisatrices. Fin janvier, Martin Müller, de l’institut de géographie et durabilité de l’université de Lausanne, reconnaissait auprès de l’AFP qu’on « était à une bifurcation », dans un contexte de raréfaction des villes candidates à l’organisation des JO d’hiver.
« Est-ce qu’on accepte le principe de ne mettre que de la neige artificielle ? C’est une question politique qui élargirait le nombre de villes candidates, mais aussi une question complètement éthique et écologique », dit-il. Son propos résonne d’autant plus aujourd’hui qu’une récente étude vient de montrer qu’avec l’avancement actuel du réchauffement climatique, il sera de plus en plus difficile de trouver une ville avec suffisamment de neige et de glace pour accueillir les futurs Jeux. Vu la manière dont les choses avancent, poursuit Müller, « le prochain pas, c’est de dire : on n’a plus besoin des montagnes, on peut construire un truc artificiel au Qatar, par exemple. » Après tout, on y climatise bien des stades de foot.