Mondial de hand : Moins gueulard, plus à l'écoute des filles, comment Olivier Krumbholz est devenu un coach cool
HANDBALL•En 20 ans de service auprès des Bleues, Olivier Krumbholz a su se renouveler pour gagner avec des générations différentesWilliam Pereira et Antoine Huot de Saint Albin
L'essentiel
- Olivier Krumbholz compte une vingtaine d'années à la tête de l'équipe de France de handball, avant un quart de final décisif contre la Suède au Mondial.
- Grand artisan du succès des Bleues, le sélectionneur a su se renouveler au fil des années pour répondre aux attentes de ses joueuses.
Scène symbolique samedi, au palais des sports de Granollers. L’équipe de France féminine de handball joue à se faire peur contre des Serbes accrocheuses, et ne mène que d’un but à l’approche de l’épilogue. Olivier Krumbholz, prend ses responsabilités de coach et le temps mort qui va avec, puis se tourne vers l’une des taulières, Grâce Zaadi.
- « Qu’est-ce que tu veux faire ? »
- « On va refaire la même chose, sauf que Méline [Nocandy] va mettre le temps fort à gauche ».
Peu importe le sens de cette formule énigmatique, l’important est ailleurs : la France marque, gagne, et Krumbholz a une fois de plus démontré qu’il savait être autre chose qu’un sergent Hartman au bord du terrain. Bien sûr, il arrive que le naturel reprenne le dessus, et que résonnent dans les gymnases les vociférations d’un manager à l’ancienne. Mais elles se font plus rares au fil du temps. « Je suis quelqu’un qui évolue, comme tout le monde, avouait-il après la médaille d’or olympique de Tokyo. Je suis moins exubérant. »
L’ancien Krumbholz
Moins à cause de l’usure supposée par 63 ans à torturer ses cordes vocales que grâce au travail d’introspection entrepris pendant son break de trois ans, entre son éviction post-JO 2012 ratés et son retour en 2016. Philippe Bana, président de la fédération française de hand :
« Les trois ans d’arrêt lui ont permis de réfléchir, de penser, de regarder que le handball pro n’est plus le même. Les joueuses qui jouent dans les plus grands clubs de Champion’s League, elles connaissent leur job, il faut un autre modèle où il amène à la fois lui-même des solutions, car les joueuses sont plus exigeantes, et en même temps un modèle de coopération. Quand il revient au printemps 2016, il le fait avec cette idée d’aider les joueuses à gagner. » »
Il y a tout de même, dans ce changement, l’idée d’une condition requise pour valider un retour qui ne pouvait se faire à l'identique. « On m’a un peu imposé, à juste titre, d’essayer d’être un peu moins bouillant dans mon coaching », dira ainsi l’intéressé.
Pour comprendre les bienfaits du nouveau Krumhbolz, il faut replonger dans l’ancien. Un management moins souple, plus vertical, avec des décisionnaires, des exécutantes et des exigences démesurées, bref, le monde de l’entreprise mais avec des cages et un petit ballon. Le sélectionneur reconnaîtra d’ailleurs « avoir parfois poussé trop loin » les athlètes dans leurs derniers retranchements. « Avant 2013, on suivait à la lettre ce qu’il demandait, résume Blandine Dancette, néo-retraitée après 12 ans en bleu. Tout le monde adhérait quand même au projet. Il y avait des résultats, donc forcément on écoutait. »
Perturbé par un niveau de jeu décevant et des états de forme disparates en début de tournoi à Tokyo – cf le cas Lacrabère – le sélectionneur des Bleus s'est un temps laissé rattraper par ses démons interventionnistes, au travers de temps morts improbables et d’instructions en tous genres balancées dans des gymnases vides que son débit vocal seul parvenait à meubler. Il faudra une réunion de crise salutaire au sein du groupe bleu pour lui redonner un peu de tranquillité sur le banc.
« Elles ont tenu une réunion seulement entre elles, raconte Bana, où elles disent : " Il y en a marre, il faut qu’on se bouge le cul ". Le lendemain, elles écrasent le Brésil. » Avec un détail oublié en cours de route dans le récit du patron de la FFHB : à la fin de ladite réunion, Krumbholz sera prié de baisser d’un ton à la demande d’Estelle Nze Minko et pour le bien de l’équipe. Celui-ci encaisse sans en faire un foin, comme il l’expliquera après la finale à Tokyo. « Je suis quelqu’un d’ouvert, je suis à leur service au travers de ma compétence, mais aussi au travers de mon comportement et de ma sensibilité. J’ai donc tenu compte de leur demande. En même temps, elles ont fait des efforts sur des choses très importantes. »
Et le nouveau
C’est dans cet accord tacite que réside l’essence du management 2.0 prôné par le sélectionneur français. Manon Houette, 104 sélections, illustre par l’exemple. « Lui et le staff ont une grosse analyse en amont sur la vidéo, sur l’étude des joueuses, etc. Et ils nous proposent avant les matchs des choix : " Sur cette phase de jeu, on vous propose de faire ça, est-ce que vous êtes d’accord avec nous, est-ce qu’on peut en discuter ? " C’est dans cette démarche-là que tout se fait au quotidien. » «On peut tout se dire, renchérit Dancette. Même sur le terrain, quand on ne comprend pas une situation, on a le droit de dire " moi, je la verrais plutôt comme ça ". Et on fait des tests. Des fois, ça fonctionne, d’autres fois un peu moins bien. Mais on s’adapte en fonction de la vision de chacun. »
Tout ce beau monde laisse entendre que ce fonctionnement moins rustre n’aurait de raison d’exister si ce groupe de joueuses n’avait pas atteint un niveau d’exigence à peine croyable, et ne comptait dans ses rangs de fortes leaders de vestiaire comme Grâce Zaadi, Estelle Nze Minko ou Alisson Pineau. Bana, toujours :
« Tout de suite après les JO, on s’est réunis pour s’engueuler, pour se dire ce qui n’allait pas. Ces joueuses, elles viennent nous voir pour nous dire : " On veut tout gagner, on veut tout réussir, on ne supporte pas la moindre erreur ". Il y a une sorte d’exigence réciproque. Ce n’est pas juste une bonne bande de copines avec des gentils dirigeants et de gentils entraîneurs. Ce sont des gens qui se poussent sur le chemin de la performance. » »
Ces gens ont déjà tout gagné et auraient pu en rester là, surtout Olivier Krumbholz, qu’on se souvient avoir trouvé trop peu enthousiaste à Tokyo pour un homme obnubilé par ce rêve olympique qui se refusait jusqu’alors à lui. Sans olympiade parisienne à l’horizon, 2021 avait tout pour être l’aboutissement d’une carrière en équipe de France. Le succès après lequel on raccroche pour se calfeutrer dans un coin ensoleillé. « Pour lui, conclut Philippe Bana, 2024 est quelque chose de très important. Il y a une forme de consécration et d’accomplissement. Il est né pour l’équipe de France et il veut aller au bout de la route. » En laissant le siège conducteur de temps en temps.