Mondial de handball: Armures, débrief tendu et mecs «bien équipés», on a parlé à l'homme qui a passé un an avec les Experts
HANDBALL•Manuel Herrero, qui bosse pour «Les nouveaux explorateurs» sur Canal, a passé l'année 2016 dans l'intimité de l'équipe de France...Propos recueillis par Nicolas Camus
Un an passé dans l’intimité des Experts. Manuel Herrero, fils de Daniel, l’emblématique ancien rugbyman, a été choisi par Claude Onesta pour témoigner de la vie de groupe de l’équipe de France de handball à partir de l’Euro 2016, en Pologne. Celui qui raconte depuis plus de dix ans l’impact que peut avoir le sport à travers le monde dans l’émission « Les nouveaux explorateurs », sur Canal +, a cette fois baladé sa caméra au milieu des pros. Le résultat final prend la forme d’une web série, disponible sur la plateforme « Comme une maison bleue ».
Des vidéos produites à l’initiative de la Fédération, pour la Fédération, mais pour la réalisation desquelles, assure-t-il, Herrero a eu une totale liberté. Les Experts, eux, ont joué le jeu à fond. On s’est dit que ça valait le coup de lui demander ce qui l’avait marqué dans cette année passée au sein de la meilleure équipe du monde.
Comment vous êtes-vous retrouvé embarqué avec les Bleus ?
Au départ, il y a la rencontre avec Claude Onesta sur le tournage du documentaire « Coach » [diffusé début 2016 sur Canal +]. On a bien accroché, on a eu une vraie rencontre humaine. Il était assez content de ce qu’on avait fait avec lui. Il m’a invité à venir deux-trois jours sur un match de qualification, le contact était vraiment bon alors il m’a proposé de les accompagner sur une durée plus longue. Il y avait une volonté de Claude et de la Fédération de reprendre la main sur l’image de l’équipe, de proposer un vrai truc soigné sur l’aventure des JO et, en fonction de comment ça allait se passer, à montrer à l’occasion de ce Mondial en France.
Quel était le but de cette série ?
Ils recherchaient un lien direct avec le public, sans passer par le filtre d’un média traditionnel. Et ils appréciaient mon regard, qui n’est pas celui d’un journaliste sportif. Ils ne voulaient pas un truc purement sportif et j’avais le type d’approche humaine qui leur correspondait. Ils avaient confiance en moi, et c’est hyper important. Il y a un côté clanique, tu ne rentres pas si facilement que ça dans cette équipe.
A quoi vous attendiez-vous avant de plonger dans leur monde ?
L’idée d’arriver dans univers que je ne connais pas, ce n’est pas apeurant pour moi. C’est une chance. J’y suis allé avec mon regard, la volonté de raconter des choses via le sport. Je connaissais un peu la culture hand. On y a tous joué, il y a ces valeurs d’éducation, de partage, c’est un sport scolaire dans le côté noble du terme. Et puis j’avais déjà rencontré quelques joueurs avant. Je savais que c’était des bons gars, bien éduqués, assez accessibles. On a beaucoup échangé avec Claude avant, il m’a expliqué sa philosophie, ce qu’il avait essayé de mettre en place. Ce que j’ai trouvé à l’intérieur de ce groupe m’a plu mais ça n’a pas été une surprise.
Quels sont les moments qui vous ont particulièrement marqués ?
Il y a toujours des « climax » un peu dramatiques. L’annonce de la composition du groupe qui part aux JO, par exemple. T’as vu les mecs faire des efforts « animal », surhumains, en montagne et tout, ils se sont vidés, et à la fin des mecs partent et d’autres pas. Franchement, c’est dur à voir. La difficulté d’entendre ton nom ou pas dans une liste… C’est terrible. On est forcément sensible à ça, tous ceux qui ont fait du sport, quel que soit le niveau, connaissent ça.
Vous avez pu filmer tout ce que vous vouliez, même des moments plus compliqués ?
Bien sûr. Un mois après l’Euro [terminé à la 5e place], il y a eu un débrief assez musclé. Tu y vas, tu te fais discret, tu te mets dans un coin, hop un clin d’œil aux mecs pour dire que t’es là mais c’est tout. La confiance que tu as, elle se mérite. Si on te la donne, en retour il faut être humain. Moi, le résultat sportif, je m’en tape un peu. Ce que je trouve beau dans cette équipe est son mode de fonctionnement, sa façon d’intégrer les jeunes, de rester en alerte, vigilants. Ils sont capables de se dire des choses dures sans se gueuler dessus. En tout cas, ils ont été d’une transparence absolue. Et moi, la seule limite que je me suis fixée, c’est de ne jamais montrer quelque chose qui pourrait nuire à l’image individuelle. Mettre quelqu’un en difficulté, profiter d’une situation, trahir en quelque sorte, ça non.
Qu’est-ce qui ressort de ce groupe, quand on le voit évoluer de l’intérieur ?
Je dirais… la manière dont ils prennent soin les uns des autres. Ils sont dans un projet collectif sur lequel tout le monde peut s’exprimer. Ils sont actionnaires d’un projet, tous ensemble, ça les rend solidaire. Il y a cette phrase que Claude Onesta répète souvent : « Les hommes importent plus que les médailles ». C’est ça la base. Il y a cette considération de comment on doit se comporter, comment on grandit en tant que personne. L’équilibre entre tout ça est excellent, je trouve.
J’ai été marqué par des moments de bien être collectif, de partage, de symbiose. J’ai eu cette impression que ces mecs iraient au bout du monde ensemble. Moi je viens d’une famille de rugbyman, j’ai retrouvé ces moments de fusion dans les vestiaires, de transformation presque. Tu vois un mec ordinaire entrer et c’est une sorte de guerrier qui en sort, avec une armure, au service d’une cause bien plus grande que lui.
Est-ce que c’est facile de faire passer des émotions avec eux ?
Ce n’est pas propre à eux je pense. Ils sont accessibles, bien éduqués, depuis 13 ans pour les plus anciens avec un coach qui a su construire une sorte de république de l’équipe de France. Les hommes passent, la philosophie reste. C’est un socle sur lequel tu peux construire. Ensuite, tout le monde a une histoire, ça dépend juste de comment on leur fait raconter. J’ai pris le temps de construire un rapport de confiance, un rapport amical. J’ai commencé début 2016, mais j’ai attendu l’automne pour faire des interviews fleuve avec les mecs, en prenant le temps de s’asseoir pendant une heure ou plus. C’est plus facile dans ces conditions de leur faire sortir des trucs persos, sincères. Et c’est ça qu’on cherche.
C’est qui votre chouchou ?
Ah, c’est dur. J’ai de la tendresse pour tous… Sur le coté artiste, décalé, j’aime beaucoup Luc Abalo. Tu peux partager des choses avec lui, en dehors du hand. Tu peux parler d’expos, de peinture, de ciné. Mais tous, à leur façon, ils ont une profondeur, une épaisseur humaine assez exceptionnelle. Tu ne partages par les mêmes choses avec un Niko [Karabatic], un Titi [Omeyer], chacun a sa personnalité, ses contraintes, sa vie.
Ils sont tous aussi drôles qu'ils en ont l'air vu de l'extérieur ?
En tout cas ils ont en commun d’être intelligents. Ils sont tous bacheliers, ou presque, ce sont des mecs bien « câblés », bien « équipés ». Il y a cette façon de se parler dans l’équipe, là-dessus tu peux construire. Beaucoup ont de l’humour, mais surtout de la légèreté je dirais. Ils ne sont pas englués dans des trucs, ce sont des mecs normaux, qui tiennent à leur esprit et qui vont se faire des sorties à l’accrobranche parce que ça les fait marrer.
Mais ils ont bien des défauts, quand même, tous ces joueurs ?
Ça dépend, on parle des hommes ou du groupe ? Parce que les hommes, oui, bien sûr, ils ont des défauts, comme nous tous. Mais le but n’est pas de dire qu’untel est radin, qu'untel manque un peu d’humour ou je ne sais pas quoi. Moi ce qui m’a intéressé c’est la capacité de ces mecs, qui n’ont évidemment pas que des qualités, à vivre ensemble. A ce haut niveau de compétition, elle est très singulière je trouve. Et c’est ça qui est fort.