Chants homophobes en L1 : La LFP est-elle vraiment à la ramasse sur la sensibilisation des supporteurs ?
FOOTBALL•La question des chants homophobes a refait surface dans les stades de France après le Classique PSG-OM avec, en toile de fond, la question du travail des instances et des clubs auprès de leurs supporteursAymeric Le Gall
L'essentiel
- Lors du dernier Classique PSG-OM, des chants à caractère homophobe ont été entonnés par le public du Parc des Princes pendant près d’un quart d’heure.
- Depuis, des chants similaires ont retenti dans les tribunes lors de Lille-Reims et de Rennes-Nantes.
- Souvent critiquée, la LFP a pourtant mis en place une véritable politique pour sensibiliser les clubs et les supporteurs, mais il reste encore beaucoup de travail.
Une équipe du PSG qui roule sur l’OM, un air entraînant tiré du film les Bronzés - « Bienvenue à Galaswinda, darladirladada » - accompagné des paroles insultantes et tirées d’un autre âge - « Les Marseillais c’est des pédés » - et tout un Parc qui se prend au jeu et reprend le chant à tue-tête, voilà le cocktail explosif qui aura remis la question de l’homophobie dans les stades de foot sur le tapis il y a deux semaines de cela. Dans la foulée, les mêmes insultes ont été proférées à Lille contre les Lensois, et encore la semaine dernière, dans une moindre mesure, à Rennes contre Nantes.
Quatre ans après le coup de gueule de la Ministre des sports de l’époque, Roxana Maracineanu, et l’arrêt de plusieurs matchs, il faut croire que rien n’a vraiment changé. Autre époque, autre ministre, cette année c’est Amélie Oudéa-Castéra qui a repris le flambeau et exhorté les instances du football français à taper fort pour sanctionner les auteurs de ces chants, quitte à remettre la question de l’arrêt des matchs sur le tapis.
La ministre a d’ailleurs rencontré le collectif Rouge Direct, celui par lequel le scandale est arrivé après la publication sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant le virage Auteuil reprendre pendant un quart le fameux chant en question. Ses membres en ont profité pour lui faire part de leur avis sur la question et les solutions envisagées pour rendre les stades « gay-friendly ».
« Elle est décidée à reprendre en main les choses, que ce soit au niveau des sanctions, de la judiciarisation des plaintes ou des arrêts de match. On sent qu’un cap a été franchi, salue Julien Pontes, porte-parole du collectif. On lui a vanté le modèle de Premier League, avec des directeurs de sécurité des clubs qui travaillent avec la police et des associations LGBT. Ils entendent les chants, identifient les auteurs, il y a des peines individualisées, condamnations, interdiction de stade, terminé. Elle était tout à fait convaincue. »
Allier sanction et sensibilisation
S’il semble porter la ministre en estime, on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne la Ligue de football professionnel (LFP). « Il y a une très grande malhonnêteté de la LFP sur les questions d’homophobies. Des chants comme ça, on en entend chaque week-end dans tous les stades. Mais rien ne bouge à la Ligue et il y a toujours une omerta sur ce sujet. » Contactée par 20 Minutes, l’instance se défend de tout immobilisme, rappelant que « tout chant ou banderole discriminant sont recensés par les délégués de match, puis portés à la connaissance de la Commission de Discipline ». « Sur la saison 2022/2023, ce sont ainsi 202 sanctions qui ont été prises par la Commission de Discipline sur 175 matchs (22 %) ». Avec, à la clé :
- 106 rappels à l’ordre
- 61 amendes avec sursis
- 34 amendes fermes
- 1 fermeture de tribune
« Tout au long de la saison, la LFP organise des ateliers de sensibilisation à la lutte contre les discriminations, et notamment contre l’homophobie, dans tous les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2. Aux côtés d’associations (LICRA, Foot Ensemble, Panamboyz & Girlz United, Ovale Citoyen, SOS Homophobie), la Ligue se rend dans les clubs professionnels pour y rencontrer les joueurs professionnels, les membres du staff, les dirigeants, mais aussi les supporteurs », poursuit la Ligue dans le communiqué.
Depuis que cette initiative, unique en Europe, a vu le jour, 39 ateliers ont été organisés dans dix-sept clubs différents et douze autres sont prévus dans les prochaines semaines dans cinq autres clubs (Annecy, Reims, Ajaccio, Troyes, Auxerre). « Ces ateliers de lutte contre les discriminations ont été intégrés en tant que critère pour obtenir la Licence Club », précise la Ligue, qui organise par ailleurs chaque année une journée dédiée à la lutte contre l’homophobie.
« Il faut démultiplier ces échanges »
Yoann Lemaire, président de l’association de Foot Ensemble, anime lui-même ces ateliers à travers la France. Pour lui, ces rencontres ont plus de valeur et de chance de faire avancer le schmilblick que des fermetures de tribunes ou des arrêts de match qui, comme on a pu le voir en 2019, sont plus faits pour calmer l’opinion, la classe politique et le gouvernement que pour tenter de véritablement régler le problème.
« On a fait ça à Lens, la salle était pleine. Je ne dis pas qu’on a révolutionné le bazar, mais c’était passionnant », explique ce footballeur amateur, tout en précisant que les chants homophobes « ne sont pas uniquement le fait des groupes ultras ou des supporteurs en virage et que les autres tribunes, dont les loges, n’échappent pas à la problématique ». « Je vois plus d’homophobie quand je vais dans un vestiaire de foot que quand je rencontre des associations de supporteurs », ajoute-t-il, avant d’en revenir à sa rencontre avec les Lensois.
« D’abord ils mordent mais après il y a une vraie discussion. Ils ont toujours ce discours de '' on ne pleut plus rien dire '', ils expliquent qu’ils ne sont pas homophobes, que certains de leurs membres sont homos. Ça tourne beaucoup autour des questions lexicales des chants. Ils admettent que le terme 'pédé' ou 'tapette' n’ont plus leur place au stade, mais ils estiment que le mot 'enculé' n’est pas homophobe. On essaye de leur parler et de les convaincre que c’est toujours mieux de mettre l’ambiance sans humilier, insulter et mépriser. Je ne dis pas que ça marche ni que ça ne marche pas, je dis que ça plante des graines et qu’il faut démultiplier ces échanges. »
Leader d’un groupe ultra d’un autre club, Cédric* a participé à l’un des ateliers dirigé par Lemaire. Il raconte : « La première réaction des associations ça a été de se dire '' fait chier, on va nous faire la morale pendant une heure '', mais la façon dont Yoann Lemaire a abordé le sujet a vraiment permis d’instaurer un dialogue intelligent et respectueux. Il n’est pas arrivé en moralisateur et ça a vraiment permis de libérer la parole, parfois avec des gens qui ne se pensaient sincèrement pas en faute en chantant ça. » Pour lui, « il y a un travail d’éducation et de sensibilisation à faire dans les tribunes pour changer certaines mauvaises habitudes et bannir certains propos, comme le terme pédé, qui n’a plus sa place dans les chants car il peut choquer et blesser les personnes homosexuelles. »
La LFP ne peut pas porter seule ce combat
Pour Julien Pontes, visiblement en guerre contre les « associations complices de la LFP », comme il les appelle, celles-ci ne sont bonnes qu’à donner bonne conscience à la Ligue à travers du « pinkwashing ». « Yoann Lemaire, c’est la voix de son maître, il est au service de la LFP et prend la parole dans les médias pour dire que des efforts sont faits. Mais il se passe quoi concrètement ? Il n’y a rien qui change ». Un discours offensif qui fait bondir l’intéressé.
« Ils ont dépassé une limite en disant qu’on faisait du '' pinkwashing ''. Je suis scandalisé. Moi, je travaille à l’usine et je fais ces ateliers de manière bénévole. Je passe toutes mes vacances et mes congés à parcourir la France. C’est facile de critiquer dans la presse et de faire le tour des plateaux de télé pour dire qu’on ne fait rien, mais quand il faut se lever à 4h du matin pour aller à Metz ou à Bastia, il n’y a plus personne. C’est minable. » »
Critiquée de tous les côtés, la LFP n’a pas souhaité répondre aux accusations de Julien Pontes. Elle prend pourtant à sa charge les frais liés aux ateliers et ne rechigne jamais quand il faut sortir le chéquier. Yoann Lemaire : « Là ils envoient trois assos à Ajaccio, qui a demandé à faire un atelier, ils ont pris les billets pour tout le monde, ils vont rémunérer la journée de congé posée par chacun des intervenants. C’est facile de dire '' ils font rien ''. A un moment donné, la LFP, ils organisent un championnat, ils ne sont pas experts en homophobie. C’est aux clubs de mettre plus de moyens humains et financiers et d’ouvrir encore plus leurs portes aux associations. »
Et aussi, peut-être, aux supporteurs de faire l’effort de se mettre à la page de l’époque pour que toute personne puisse venir voir un match de foot sans se voir insultée à cause de son orientation sexuelle. Et notre supporteur de conclure, en faisant la comparaison avec les questions liées au racisme dans les stades : « Je trouve que les tribunes se sont vachement assainies. Dans les années 90 c’était courant d’entendre « bamboula », « retourne dans ton arbre », c’était banalisé. Aujourd’hui plus personne n’oserait s’exprimer ainsi. Je pense aujourd’hui qu’on en est là sur la question de l’homophobie, avec 15 ou 20 ans de retard, certes, mais la prise de conscience est enclenchée ».