FootballBenzema après Ronaldo... L’Arabie saoudite révolutionne-t-elle le foot ?

Benzema, Ronaldo en attendant Messi… L’Arabie saoudite est-elle en train de révolutionner le foot ?

FootballKarim Benzema va quitter le Real Madrid pour rallier l’eldorado saoudien
Nicolas Stival

Nicolas Stival

L'essentiel

  • Après Cristiano Ronaldo et en attendant peut-être Lionel Messi, Karim Benzema doit signer un énorme dernier contrat en Arabie saoudite, avec le club d'Al-Ittihad.
  • Le Real Madrid a annoncé ce dimanche le départ du Français.
  • Le royaume propose des salaires exorbitants, qui défient toute concurrence.

L’Espagne a dû se faire une raison. Karim Benzema va quitter la Liga et rejoindre son ancien compère Cristiano Ronaldo, arrivé cet hiver à Al-Nassr, dans l’eldorado saoudien. Un contrat gargantuesque de deux saisons l’attend au club d’Al-Ittihad, récent champion national, comme l'a confirmé ce dimanche la chaîne de télévision d'Etat saoudienne Al-Ekhbariya. Il inclurait un salaire de 100 millions d’euros net par an.

Ce départ semblait encore inimaginable mi-mai, juste après l’élimination sèche du Real Madrid en demi-finales de « sa » Ligue des champions, par Manchester City. Certes, l’ancien avant-centre des Bleus, désormais 35 ans, n’a pas réalisé la saison de sa vie après un exercice 2021-2022 en apesanteur qui lui a permis de décrocher le Ballon d’or, son rêve d’enfant. Mais KB9 affiche tout de même 18 buts en Liga avant la dernière journée, ce dimanche (seul Lewandowski a fait mieux) et le président madrilène Florentino Perez n’avait aucune envie de se séparer de l’un de ses joueurs préférés, fidèle au club depuis 2009.

« Des propositions que l’on ne peut pas refuser »

« Benzema a un arbitrage financier à faire, observe Luc Arrondel, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’économie du football. Comme on dit, il y a des propositions que l’on ne peut pas refuser. » Et celle provenant du royaume dirigé d’une main de fer par le prince héritier Mohammed ben Salmane, en fait partie.

Très attaché à la Maison-Blanche, le tout frais lauréat du trophée UNFP du meilleur joueur français à l’étranger est une légende dans un club légendaire, aux 14 Ligues des champions. Benzema en a gagné cinq et affiche 25 trophées avec le Real. Seul Marcelo fait aussi bien. On pouvait raisonnablement penser que KB9 en glanerait au moins un de plus d’ici l’été 2024, et trônerait seul sur l’Olympe madrilène. Mais les sirènes de Riyad ont été plus fortes que cette envie d’Histoire ou que la fameuse « clause Ballon d'or », qui incluait une prolongation automatique d’une saison après obtention du trophée.



En rupture avec Manchester United, Cristiano Ronaldo n’y avait pas davantage résisté en janvier. Selon le magazine Forbes, le Portugais de 38 ans est le sportif le mieux payé du monde en 2023, avec 124 millions d’euros de revenus, entre contrat et partenariats commerciaux. CR7 devance son éternel rival Lionel Messi qui pourrait le doubler s’il cédait à son tour à la cour effrénée de l’Arabie saoudite. La Pulga (36 ans le 24 juin) fait déjà la pub de l’office du tourisme du pays, et son récent aller-retour non autorisé Paris-Riyad a d’ailleurs accéléré la fin d’une union sans passion avec le PSG…

Une somme sans précédent de 400 millions d’euros par an est évoquée pour le champion du monde argentin (qui pourrait être accompagné de ses vieux potes du Barça Sergio Busquets et Jordi Alba). Toujours au rayon Ballon d’or, le nom de Luka Modric (37 ans) continue de circuler, même si le Croate est supposé prolonger au Real. Loin de certains Ehpad à la française, la Saudi Pro League se transforme peu en peu en maison de retraite ultra-luxueuse pour stars mondiales en bout de route, au point de révolutionner le foot mondial.

Les Etats-Unis, eldorado des années 1970

« Ce qui est nouveau, c’est le montant que l’on peut verser à ces joueurs-là, c’est la politique dispendieuse de l’Arabie saoudite pour le sport et le foot en particulier, comme on l’a aussi vu avec le rachat de Newcastle [en octobre 2022], indique Luc Arrondel. Mais il n’est pas nouveau que des pays qualifiés d’exotiques achètent de grands joueurs en fin de carrière. On peut penser aux Etats-Unis dans les années 1970 avec Pelé, Beckenbauer, Cruyff, Gerd Müller, que des Ballons d’or. Dans les années 2010, la Chine a eu cette politique avec Carlos Tevez ou Ezequiel Lavezzi, avant de se désengager. »

L’ancien Parisien, aussi à l’aise une pinte à la main que ballon au pied, mais à des années-lumière du niveau du gratin planétaire, a pourtant touché davantage que les Messi et Ronaldo lorsqu’il cachetonnait du côté du Hebei China Fortune. En 2017, selon les révélations de Football Leaks, l’Argentin était le football le mieux payé au monde avec 50 millions d’euros par an, plus de deux fois plus que son compatriote ou que le Portugais à l’époque.


Cristiano Ronaldo, capitaine et vedette d'Al-Nassr.
Cristiano Ronaldo, capitaine et vedette d'Al-Nassr. - AFP

Mais c’est bien moins que les émoluments que l’Arabie saoudite offre désormais aux meilleurs trentenaires du monde. « Cela paraît beaucoup mais en fait, ce n’est pas grand-chose quand on a la surface financière de ces fonds souverains », reprend l’économiste, coauteur avec Richard Duhautois de la collection en trois volumes L’argent du football aux éditions Rue d’Ulm. Les Etats-Unis et la Chine ont fini par fermer le robinet, plus ou moins rapidement. Mais si Mohamed Ben Salmane le veut, la valse des pétrodollars ne se terminera pas de sitôt, tant ses puits de pétrole sont autrement fournis que nos nappes phréatiques.

« En attirant des joueurs très populaires, notamment sur les réseaux sociaux, le pays profite de l’image du foot pour atteindre d’autres objectifs, ce que faisaient déjà les Etats-Unis des années 1970, pour promouvoir leur championnat domestique et accueillir la Coupe du monde [qu’ils organiseront en 1994] », remarque Luc Arrondel. Pendant qu’on parle ballon, on ne parle pas d’autre chose. De journaliste assassiné par exemple… Le « sport washing » se porte bien, merci pour lui.

Et maintenant, la Coupe du monde

« Il s’agit de redynamiser le système économique basé sur la rente pétrolière, décryptait le chercheur en géopolitique Raphaël Le Magoariec pour 20 Minutes au mois de janvier, avant un match amical lucratif entre une sélection saoudienne menée par Cristiano Ronaldo et le PSG de Messi. L’Arabie saoudite veut créer un marché encore inexploité, celui du divertissement. Jusqu’à présent, c’était son "soft power" religieux qui était le plus dynamique au niveau international. Le pays s’accorde à un nouveau langage des relations internationales. »

Le royaume, qui a déjà récupéré entre autres un Grand Prix de Formule 1, se tire la bourre dans ce domaine avec ses voisins, les Emirats arabes unis (Manchester City) et surtout le Qatar (PSG), organisateur de la dernière Coupe du monde. Riyad vise le Mondial 2030, voire 2034, et a noué un partenariat avec la Confédération africaine (CAF) qui peut lui rapporter de nombreuses voix lors du choix du pays hôte.

Les Saoudiens vont-ils viser plus jeune ?

Cependant si les Saoudiens s’affairent dans l’arrière-boutique, ils n’oublient surtout pas de faire briller la vitrine, avec Ronaldo et maintenant Benzema, en attendant peut-être Messi. Au point de faire entrer, sans trop forcer, le business du foot dans une nouvelle ère et de contrarier les plans du meilleur club du monde, en lui chipant un avant-centre encore en bon état de marche.

Reste à savoir le pays est prêt à aller encore plus loin, en ciblant des joueurs plus jeunes également convoités par les plus grandes écuries européennes. Un derby de Riyad entre Al-Hilal et Al-Nassr avec Kylian Mbappé et Erling Haaland à la pointe de chaque équipe, on n’y est pas encore. Mais, pour finir sur un bon vieux cliché, « tout va très vite dans le football ». Et encore plus quand on n’a pas besoin de compter ses sous.