Affaire Le Graët-Zidane : On en termine quand avec cette fin de règne insupportable du président de la FFF ?
FOOTBALL•Noël Le Graët n’en finit plus de créer un sentiment de malaise au sein de la Fédération française de footballAymeric Le Gall
L'essentiel
- Le président de la FFF a choqué l'opinion publique une fois de plus par ses déclarations irrespectueuses à l'encontre de Zinédine Zidane, encore échaudé dans sa volonté de prendre les rênes de la sélection tricolore.
- Noël Le Graët, pourtant sur la corde raide depuis que la ministre des Sports a commandité un audit sur les pratiques de la FFF, n'en multiplie pas moins les sorties de routes médiatiques. Jusqu'à quand peut-il tenir ?
Quelle mouche sous LSD a piqué Noël Le Graët pour qu’il aille gratuitement déverser au tractopelle un monceau d’immondices sur l’idole Zinédine Zidane, dimanche soir, à une heure de grande écoute, sur les ondes de RMC ? Invité à s’exprimer sur la prolongation de Didier Deschamps à la tête de l’équipe de France, au lendemain du très bon parcours des Bleus à la Coupe du monde au Qatar, le président de la Fédération française de football s’est lancé dans one man show aussi navrant qu’abjecte au moment d’évoquer le cas de Zidane, successeur désigné de DD sur le banc tricolore quand celui-ci acceptera de céder son trône.
Après avoir expliqué avec le tact qu’on lui connaît qu’il n’en avait « rien à secouer » que Zidane puisse être amené à se rabattre sur la sélection du Brésil après la prolongation en Bleu de DD, NLG a poursuivi en affirmant que si le Z l’avait appelé il n’aurait « même pas décroché » son téléphone. Des propos d’une violence inouïe à l’égard de l’icône du football français dont le seul tort aura été de se déclarer intéressé pour prendre le relais de Deschamps sur le banc de l’équipe de France.
Jusque-là, pourtant, Le Graët n’avait jamais fait montre d’une quelconque animosité envers l’ancien coach du Real Madrid. Il n’y a pas si longtemps que cela, il expliquait même sur RTL avoir « de très bons rapports avec Zidane à titre personnel », ajoutant que « si Didier Deschamps arrêtait et si j’étais encore en place, la première personne que je verrais [pour le remplacer], c’est Zidane, bien sûr ». Une politesse qu’on devinait de façade ces dernières semaines, quand ZZ, sentant le poste lui échapper de nouveau, prenait ses distances avec les Bleus, refusant par exemple d’assister à la finale France-Argentine sur l’invitation de la 3F et se contenant du strict minimum sur les réseaux sociaux. Mais une politesse quand même.
Des dérapages de plus en plus réguliers
Dès lors, comment comprendre cette sortie au bazooka du Breton, au moment même où la FFF traverse une zone de turbulences après les révélations de So Foot sur les supposés comportements déplacés de Le Graët à l’égard de certaines employées de la Fédé, et alors que la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a lancé un audit interne dont les conclusions sont attendues à la fin du mois ? Ballotté de toute part, en conflit ouvert avec sa directrice générale Florence Hardouin, Le Graët semble prendre tout cela à la rigolade, sûr de son influence et de son pouvoir, lui qui n’hésitait pas à moquer publiquement la ministre des Sports en laissant entendre qu’il en avait maté des plus costaudes.
Agé de 81 ans, l’ancien maire de Guingamp n’a plus le moindre filtre quand il s’agit de s’exprimer publiquement. Noël Le Graët n’est pas en roue libre, il est la roue libre. Au fil des mois, à force de dérapages tout aussi déplacés les uns que les autres, NLG est devenu le fameux tonton gênant de la France du foot, celui qui nous fait pleurer du sang à chaque fois qu’il donne son avis sur tel ou tel sujet sportif ou sociétal.
Du racisme qui « n’existe pas dans le football » aux fameux « coups de peinture » qu’il suffirait de donner dans les taudis qui servent de logement aux travailleurs migrants au Qatar avant le Mondial, NLG ne cesse de rendre la vie dure aux membres du service de communication de la FFF. Dimanche soir, ceux-ci ont dû tomber à la renverse en entendant leur patron dans l’émission « Bartoli Time » sur RMC. Du reste, plus grand monde ne semble avoir de prise sur le boss de la 3F, si ce n’est sa femme, qui a bien tenté de le raisonner alors qu’il divaguait en direct à la radio. « Ma femme me dit “Noël, calme-toi !” », dira-t-il en rigolant comme si la situation prêtait à la légèreté.
Le Graët s’excuse officiellement
Lundi matin, alors que les réactions indignées se succédaient à la chaîne, de Kylian Mbappé à Franck Ribéry en passant par le Real Madrid ou la ministre des Sports, une unanimité contre soi presque admirable en si peu de temps, le Costarmoricain a publié un communiqué en catastrophe. « Je tiens à présenter mes excuses pour ces propos qui ne reflètent absolument pas ma pensée, ni ma considération pour le joueur qu’il était et l’entraîneur qu’il est devenu », affirme le patron du football français, essayant de mettre ça sur le dos des intervieweurs, qui n’ont eu qu’à se baisser pour ramasser les horreurs à la chaîne.
« J’ai accordé un entretien à RMC que je n’aurais pas dû accorder, car il cherchait la polémique en opposant Didier à Zinédine Zidane, deux monuments du football français. J’admets avoir tenu des propos maladroits qui ont créé un malentendu. Zinédine Zidane sait l’estime immense que je lui porte, comme tous les Français ». Cet acte de contrition, qui ressemble plus à un coup de pistolet à eau pour éteindre un feu de forêt, suffira-t-il à calmer le jeu ? Il est permis d’en douter. D’autant que les propos de Le Graët à l’encontre de Zidane ne sont pas les seuls à avoir choqué dans les dix grosses minutes d’interview accordées à l’ancienne joueuse de tennis reconvertie animatrice à RMC.
Accusé anonymement par d’anciennes et actuelles employées de la FFF de textos graveleux et autres propositions tendancieuses pouvant s’apparenter à du harcèlement sexuel, l’ancien président d’En Avant de Guingamp, qui est d’ailleurs auditionné ce lundi dans le cadre de l’audit interne, n’a pas pu s’empêcher de glisser un petit mot doux à Marion Bartoli, l’invitant à l’appeler personnellement quand elle le veut.
Un président devenu trop gênant
Enfin, au détour d’une question sur la fin de son mandat à la tête de la Fédération, fin 2024, NLG a déclaré le plus tranquillement du monde qu’il en discutait en tête à tête avec Didier Deschamps et que son successeur « sera désigné très rapidement ». Si celui-ci s’est rattrapé en précisant « il y aura une élection, ce n’est pas une désignation », il a tout de même laissé entendre qu’il aurait son mot à dire et qu’il jouerait un rôle dans ce processus, ce qui amène grandement à s'interroger sur sa conception de la démocratie à la Fédération.
Après avoir fait croire à tous ses affidés qu’il lâcherait la barre après trois mandats, NLG caressait encore récemment dans Le Monde des envies de « tenir dix ans de plus » afin de laisser son fauteuil directement à Didier Deschamps. C’était dit sur le ton de la plaisanterie, mais à voir DD annoncer lui-même sa prolongation lors du congrès de la FFF samedi à côté d’un Le Graët silencieux et immobile, la perspective ne semble même pas si folle dans l’esprit du dirigeant breton.
Reste à savoir si ce énième dérapage – si tant est qu’on puisse le nommer ainsi tant ce type de discours fait partie intégrante du fonctionnement normal du personnage – ne risque pas de précipiter sa chute plus tôt que prévu. A en croire les bruits de couloirs au ministère de Sports, on signerait des deux mains pour que l’homme en poste depuis 2010, au lendemain du fiasco de Knysna, passe le témoin rapidement.
D’autant que si le pouvoir politique n’a pas la possibilité de destituer unilatéralement le président de la FFF, ce que la Fifa apprécierait par ailleurs moyennement, NLG ne peut plus se targuer de bénéficier du soutien inconditionnel d’Emmanuel Macron, déjà échaudé par l’attitude du « menhir » pendant le Mondial. Certaines sources évoquent auprès de l’AFP un « sentiment de ras-le-bol » au sommet de l’Etat, « une sensation d’accumulation » de « mots inacceptables ».
Légitimement plébiscité en mars 2021 avec 73,02 % des suffrages, Le Graët peut pour l’heure s’appuyer sur le soutien des grands électeurs qui l’élisent sans discontinuer depuis 2011. Mais il n’est pas exclu que la pression des dernières heures ne l’oblige à s’en aller de lui-même. Après tout, même Bernard Laporte, qui semblait prêt à abandonner jusqu’à la dernière feuille de vigne de sa dignité pour rester en poste, a fini par se rendre à l’évidence.