footballDoit-on forcément prolonger Didier Deschamps sans aucune forme de débat ?

Equipe de France : Doit-on forcément prolonger Didier Deschamps sans aucune forme de débat ?

footballLe mérite du sélectionneur est inattaquable, mais il n'empêche sans doute pas de discuter de certains aspects de son management à l'heure d'apprendre pour combien de temps il va rempiler
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • Le contrat du sélectionneur des Bleus devrait être prolongé dans les prochains jours, jusqu'en 2024 ou 2026.
  • Si le bilan de Deschamps est innataquable, la durée de son mandat possible (14 ans) suscite quelques crispations.
  • Pourtant, le débat n'a pas vraiment eu lieu après la Coupe du monde.

On va le dire tout de suite, comme ça c’est fait : Avec son bilan, Didier Deschamps mérite évidemment de rester à la tête de l’équipe de France si c’est ce qu’il souhaite. Comment en serait-il autrement quand on parle d’un sélectionneur qui a emmené les Bleus deux fois d’affilée en finale de Coupe du monde, qui plus personnage central du football national depuis trente ans. Seulement, doit-on lui accorder cette prolongation, qui va se décider dans les tout prochains jours, sans autre débat que celui sur la durée de son contrat ? Est-ce que la réussite de ces dernières années réduit au silence toute sorte d’opposition, même mineure ? Après tout, on peut aussi saluer les résultats obtenus tout en s’interrogeant sur la manière, et ce dont sera fait l’avenir. Une problématique de riches, on en convient.

Quelques voix s’élèvent en ce sens, tout de même. Christophe Dugarry a été le premier, avec un point de vue défendable mais forcément brouillé par sa proximité avec Zinédine Zidane, qui a affiché à plusieurs reprises son attrait pour le poste. « Quand tu perds, tu dois des explications, tu dois un débat, au moins sur la préparation de match, disait l’ancien attaquant dans L’Equipe fin décembre. Il y a une analyse à faire sur le jeu, et sur ces 80 minutes qui font partie des plus catastrophiques de l’équipe de France de ces cinquante dernières années, un jour de finale de Coupe du monde. »



« Le jeu », cette éternelle querelle de clochers quand on parle des Bleus de Deschamps, entre adeptes de l’efficacité (Regragui avait bien résumé les choses pendant le Mondial) et défenseurs d’un minimum syndical d’esthétisme. Au passage, qui a vu la façon dont Zidane a remporté ses Ligues des champions avec le Real Madrid sait que l’arrivée de la nomination de l’ancien numéro 10 ne réglerait pas cette question. Au-delà de ça, on peut également parler du choix des joueurs, avec tous ces centraux et le manque de latéraux qui ont réduit les options, ou l’absence d’un milieu créateur avec un peu de volume capable de faire souffler Griezmann.

Les TAB, cailloux dans la chaussure

Un autre élément pouvant fournir matière à réflexion, qui constitue sûrement le seul reproche que l’on peut faire à Deschamps sur la Coupe du monde, est la manière dont les Bleus ont abordé la séance de tirs au but fatidique. Le sélectionneur considère depuis toujours que cela ne sert à rien de se préparer à cet exercice spécifique, car le contexte émotionnel à l’entraînement et en match avec 120 minutes dans les pattes n’est pas du tout le même. Il l’a encore répété durant le Mondial quand il a été interrogé sur le sujet à partir des 8e de finale.

Pour le coup, les faits lui donnent tort. Hugo Lloris n’a pas sorti un arrêt, ni même été proche d'en réussir un, et cela fait deux fois d’affilée, après l’Euro 2021 face à la Suisse, que les Bleus se crashent dans l’exercice. Ne pas avoir tiré les leçons de l’Euro est une erreur. « On a été très faibles là-dessus, ça a fait bizarre à tout le monde », relève l’entraîneur Jean-Marc Furlan, qui connaît bien le sélectionneur pour avoir passé ses diplômes avec lui. Lui est plutôt un adepte de la préparation. Il explique sa méthode :

« Je fais souvent des petits jeux à l’entraînement, et parfois dans la saison quand il y a match nul, je les fais terminer par des tirs au but. Ça me permet de voir qui sont les plus à l’aise, ceux qui savent changer au dernier moment en fonction du gardien, etc. Toute l’année, je suis attentif à ça, et si jamais on doit en passer par là en match, je n’ai pas besoin de mon staff pour décider des tireurs, je les ai déjà repérés. » »

Cela lui avait servi par exemple en fin de saison dernière avec Auxerre. Lors des barrages, les Bourguignons avaient battu Sochaux puis Saint-Etienne aux tirs au but pour accéder à la Ligue 1. « Ceux qui les mettaient en match sont les mêmes que ceux qui les mettaient à l’entraînement, note Furlan. Donc c’est utile. » Le staff des Bleus, professionnel jusqu'au bout des ongles, ne peut pas continuer à traiter ce sujet par-dessus la jambe.

« Est-ce que 10 ans ça ne suffit pas ? »

Autre aspect, s’il poursuit bien jusqu’au championnat d’Europe en Allemagne, cela fera 12 ans que Didier Deschamps est à la tête de Bleus. Une éternité à l’échelle du football, un vrai règne. Avec en creux, selon le prisme d’où on veut observer la chose, l’idée d’une certaine confiscation du pouvoir. « Dix ans, c’est long, c’est vrai, admet Furlan même s’il souhaite voir son camarade de promo poursuivre. C’est un poste très important. Pour tous les Français, le sélectionneur de l’équipe de France de foot, c’est le projecteur, tout là-haut. Est-ce que 10 ans ça ne suffit pas ? La question se pose en tout cas, c’est évident. »

DD cumule aujourd’hui 138 matchs sur le banc des Bleus, précédent record de Raymond Domenech (79) explosé depuis belle lurette. De quoi faire et défaire des carrières internationales selon les choix d’un seul homme. « L’important, c’est l’équipe de France, elle est au-dessus de tout », a toujours dit l’intéressé. « On ne peut pas dire qu’elle appartient à tout le monde et la garder pendant douze ans », avait indirectement répondu Dugarry dans son interview. Sauf, peut-être, quand on a des résultats qui font sortir des millions de personnes dans la rue.


Des supporters français dans un bar parisien lors de la finale contre l'Argentine, le 18 décembre 2022.
Des supporters français dans un bar parisien lors de la finale contre l'Argentine, le 18 décembre 2022. - JEANNE ACCORSINI/SIPA

Sidney Govou, lui, n’est lui pas connu pour être particulièrement proche du double Z. Interrogé par So Foot quelques jours après la finale, il reconnaissait lui aussi aspirer au changement, en mettant l’accent sur le prochain renouvellement du groupe avec les départs dans un futur plus ou moins lointain des grognards de DD. « Je trouve que le changement de génération à venir mérite un changement de management et donc d’entraîneur. Si j’étais proche de Deschamps, je lui dirais d’arrêter », observait l’ancien de l’OL.

Ces éléments entreront-ils en considération au moment de finaliser les discussions entre Didier Deschamps et Noël Le Graët ? Probablement pas. La seule préoccupation du président de la FFF est pour l’instant de trouver un compromis entre son souhait de ne pas s’engager au-delà de la fin de son mandat en 2024 et celui de l’ancien coach de l’OM d’avoir la main jusqu’en 2026. La réunion entre les deux hommes le 29 décembre en Bretagne n’ayant pas été concluante, NLG doit selon L’Equipe rencontrer ce vendredi Jean-Pierre Bernès, l’agent de Deschamps, espérant une avancée avant le comité exécutif de la FFF un peu plus tard dans la journée et l’assemblée fédérale samedi. Pas le moment de parler de la préparation de Lloris pour les séances de pénos.