FC Nantes-Bordeaux : Le repreneur local en sauveur, mythe ou réalité pour le football français ?
FOOTBALL•De nombreuses personnalités locales se mobilisent autour des Canaris et des Girondins pour reprendre le destin de ces deux clubs à la dérive depuis plusieurs annéesClément Carpentier et David Phelippeau
L'essentiel
- Le FC Nantes (18e) accueille les Girondins de Bordeaux (15es) ce samedi (13h) à l’occasion de la 36e journée de Ligue 1 pour un match capital dans la course au maintien.
- Depuis plusieurs mois, des acteurs locaux se remuent pour essayer de redonner leur lustre d’antan à ces deux monuments du football français. Mais les difficultés à surmonter sont souvent très nombreuses.
- Les projets de repreneurs locaux doivent la plupart du temps s’associer à des investisseurs étrangers, ce qui pose la question de la gouvernance du club.
Tous les supporteurs de France et de Navarre adorent le détester. Pourtant, ils rêvent tous d’avoir leur propre Jean-Michel Aulas. Avoir cet entrepreneur local, fou de son club et capable de tout pour lui au point d’en faire une véritable institution et l’un des plus grands clubs français. Tout ça loin des pétrodollars et autres fonds d’investissement étrangers. En ce moment, à Nantes et Bordeaux, deux clubs en pleine crise sportive et institutionnelle, on en rêve encore un peu plus qu’ailleurs.
Les supporteurs, mais aussi les autorités locales, afin d’apaiser un maximum les tensions autour de ces deux monuments du football français en péril. Avant de se retrouver à la Beaujoire ce samedi (13h) pour un match capital dans la course au maintien, les Girondins (15e) comptent cinq points d’avance sur les Canaris, barragistes, à trois journées de la fin du championnat. En attendant le dénouement de cette saison, les institutionnels bordelais sont d’ores et déjà passés de la parole aux actes sur le sujet après l’annonce du désengagement de King Street, le fonds d’investissement propriétaire du club, il y a deux semaines.
Depuis la mairie et la métropole font en effet tout ce qui est possible pour peser sur le choix du futur repreneur. « Ça nous plairait d’avoir un gars du coin, confie un proche de l’édile écologiste Pierre Hurmic, ce serait plus simple car il connaîtrait tout l’environnement. » Mais ce dernier, s’il sort du chapeau, devrait aussi faire face à un certain nombre d’obstacles.
Une surface financière souvent bien trop juste
La première des données à prendre en compte est bien sûr économique. Acheter puis faire vivre un club de football de la dimension de Nantes ou Bordeaux en 2021 coûte extrêmement cher. On parle ici de plusieurs dizaines de millions d’euros rien qu’à l’achat, avant même de le faire tourner au quotidien. Dans la cité des Ducs, certains sponsors du club, qui sont des acteurs locaux, se sont fédérés depuis plusieurs semaines pour préparer l’après Kita. Celui qui est président du club depuis 2007 a même été prévenu de la bouche de l’un d’eux, Philippe Plantive, pour ne pas qu’il se sente trahi. Accompagné d’autres personnes dont l’ancien gardien de but nantais Mickaël Landreau, le dirigeant de l’entreprise Proginov (sponsor du FCN) travaille pour trouver d’autres investisseurs de la région.
Des grosses entreprises régionales ont été sondées. Aucune n’a pour le moment donné suite, les incertitudes concernant les droits TV et le sport sportif du FC Nantes n’aidant pas vraiment à la prise de risque. « Je me suis cassé le nez pour trouver un investisseur régional majeur », confiait ainsi Plantive à Ouest-France en mars. Les acteurs de ce « projet » de rachat, qui se sont déjà entretenus plusieurs fois avec la mairie de Nantes, se sont vite rendus à l’évidence que s’appuyer seulement sur des investisseurs locaux ne suffirait pas. « En réunissant nos économies, on pourrait réunir 10-15 millions, mais ce n’est pas suffisant pour racheter un club comme le FC Nantes [dont le déficit serait de l’ordre d’au moins 40 millions en fin de saison] », avouait toujours Philippe Plantive dans Le Courrier du Pays de Retz début avril. A ce jour, un pool de sociétés locales (avec à sa tête, toujours Philippe Plantive) aurait bien réussi à rassembler des fonds (entre 10 et 20 millions d'euros).
Un peu plus au sud, les dossiers dits « locaux » fleurissent depuis le départ annoncé de King Street. Mais de gros doutes subsistent sur la surface financière de la plupart de ces candidats sachant que les Girondins doivent composer, eux, avec un déficit de près de 100 millions d’euros. Il faut donc avoir les reins solides, très solides. Par le passé, les reprises par des locaux ont par exemple souvent eu lieu après un contexte de dépôt de bilan, comme à Strasbourg. Avant d’arriver à ce stade où la reprise ne coûte presque rien, c’est beaucoup plus rare de voir des investisseurs locaux reprendre un club.
Pour Luc Dayan, dirigeant français ayant participé à plusieurs rachats, « c’est possible avec des clubs de taille moyenne [Nicollin à Montpellier, Delcourt à Dijon, Chabane à Angers, Romeyer avec Caïazzo à Saint-Etienne…] ou de Ligue 2, mais beaucoup plus compliqué avec de très gros clubs. » « En France, ceux qui y sont allés seuls ont souvent perdu beaucoup d’argent. Je pense par exemple à Robert-Louis Dreyfus [Marseille] ou François Pinault [Rennes] », ajoute-t-il. Aujourd’hui, le constat est d’ailleurs sans appel : le PSG, l’OM, l’AS Monaco, l’OGC Nice ou encore les Girondins sont la propriété d’investisseurs étrangers.
Une tête de pont du cru avec des fonds étrangers ?
Pourtant, en France, il y a bien de très grandes fortunes et parfois bien implantées localement comme dans le vin en Gironde (Bernard Arnault ou les familles Dassault et Rothschild). Mais elles « ne prendront pas ce risque étant donné le contexte, l’instabilité de l’économie du football et le coût du club. Après, l’appel au rassemblement d’un François Pinault a le mérite d’exister », explique l’un des candidats au rachat des Girondins. Luc Dayan, lui, pointe une autre difficulté à ne pas négliger :
« En France, il y a un gros problème avec le système bancaire qui a peur du football. Il a une très mauvaise image. Il y a eu tellement d’escroqueries. Même si vous êtes très très riche, le banquier ou vos conseillers vont vous répondre : ''Mais vous êtes fous d’investir là-dedans !'' » »
Un ancien dirigeant des Marine et Blanc ajoute également que qu’il est « souvent beaucoup trop difficile d’assumer le côté politique et médiatique tout seul ». En revanche « voir des entrepreneurs locaux s’investir dans un consortium, c’est tout à fait possible ».
A défaut d’avoir un actionnariat 100 % local, le souhait de la mairie de Bordeaux serait de voir ce genre d’attelage mixte entre locaux et étrangers reprendre le club. Et c’est pour cette raison qu’elle surveille de très près certains dossiers qu’elle juge sérieux comme celui de Pascal Rigo, « le régional de l’étape » comme le qualifient les proches de Pierre Hurmic. Cet homme d’affaires français, qui a fait fortune aux Etats-Unis, souhaite s’appuyer sur des personnalités du coin dans son projet à l’image d’un Stéphane Martin (ancien président des Girondins), tout en réunissant autour de la table des investisseurs étrangers.
Même chose du côté des Canaris où Philippe Plantive et ses acolytes ont désormais en tête cette idée de gouvernance partagée avec un actionnaire majoritaire provenant d’un fonds étranger, qui aurait une surface financière beaucoup plus importante et qui accepterait de s’associer aux sponsors locaux déjà fédérés et aux supporteurs. Ils ont d’ailleurs pris langue avec de nombreux fonds internationaux, notamment américains mais selon les informations de 20 Minutes, aucun n’a (encore) donné son accord pour s’engager, sans doute refroidi par le flou qui entoure le foot en général et le FCN en particulier. La quête se poursuit...
La gouvernance, le danger
Autre difficulté de taille à surmonter pour un repreneur local, s’il est associé à d’autres investisseurs (du coin ou non), c’est la gouvernance. Pour tous les acteurs interrogés sur ce sujet, c’est la clé. « Toute la question du bon fonctionnement d’un club réside là-dedans, rappelle Luc Dayan, il faut que les actionnaires sachent rester à leur place. C’est primordial. » Et on ne parle même pas là de l’intégration d’un actionnariat populaire avec des socios comme le prônent certains candidats au rachat des Girondins de Bordeaux. Ce serait encore une difficulté supplémentaire à régler. Par exemple, si Pascal Rigo y réfléchit, il insiste bien sur le fait que cela ne peut s’effectuer que dans un second temps comme il l’a confié à Sud Ouest.
Pour l’un des potentiels repreneurs des Marine et Blanc, « c’est possible de réussir à gouverner » mais « cela dépend beaucoup du profil des investisseurs qui vous accompagnent car chacun doit comprendre tout de suite quelle est sa place dans le projet. » Comme il le souligne, « le risque c’est en effet que tout le monde donne son avis sur tout et sur la compo du dimanche pour caricaturer la chose ! Pour moi, c’est avant tout une question d’organisation donc ce n’est pas ingérable au bout du compte. » Pas ingérable mais bien plus complexe que si vous êtes seul aux manettes.