FOOTBALLLa Super Ligue est morte mais le football a-t-il pour autant gagné ?

Super Ligue : Le football a gagné, ok, mais il a gagné quoi au juste ?

FOOTBALLSi l'abandon de la Super Ligue est une formidable nouvelle pour les amateurs du foot européen, la nouvelle formule de la Ligue des champions annoncée par l'UEFA montre que le foot business a encore de beaux jours devant lui
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Les manifestations des supporters contre la Superl ligue ont finit par avoir raison de ce projet, au moins provisoirement.
  • Pour autant, le Real Madrid ne lâche pas l'affaire, et le nouveau format de C1 limite encore un peu plus les chances pour les petits clubs.
  • Un espace politique et revendicatife st né, mais il doit continuer son combat pour inciter l'UEFA et la FIFA à revoir certaines de leurs positions.

RIP petite Super Ligue partie trop vite. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « idée à la con », le pharaonique projet des magnats du football mondial pour privatiser ce sport, notre sport, aura fait pschitt, sous les vivats de supporters qu’on a trop longtemps pris pour des bonnes poires et qui cette fois-ci ont dit stop. C’est par un laconique communiqué de presse publié à 2h11 dans la nuit de mardi à mercredi que les membres de la Super Ligue ont acté, au gré des désistements successifs de leurs têtes de ponts britanniques, sinon l’annulation, du moins la suspension de leur bébé.

2h11, on disait donc. Sournoisement, presque sans faire de bruit, à la manière dont ces mêmes présidents de clubs avaient annoncé la naissance de leur projet secret. Les fans du continent n’ont d’ailleurs pas attendu si tard pour faire péter le champagne et craquer les fumis. A Londres, aux abords du stade Stamford Bridge de Chelsea, des centaines de supporters des Blues hurlaient leur joie au fur et à mesure que la rumeur de l’annulation passait dans les rangs. Sur Twitter aussi, ça y allait. En résumé, le message c’était « Hourra, le football a gagné ». Il a gagné, vraiment ?

Sachons raison garder

Autant il y avait de quoi se faire des cheveux blancs dimanche soir au moment de l’annonce du putsch des bourgeois, autant ce coup-ci on va peut-être éviter de déchirer notre chemise et de monter sur la table pour danser la polka. Entendons-nous bien, ce combat mené de toutes parts et par toutes les composantes de la société n’a pas été vain.

« « D’un côté c’est une victoire, on ne peut pas dire le contraire, parce que les supporters se sont mobilisés, sont descendus dans la rue pour lutter contre un changement radical dans le sport, salue Ronan Evain, le directeur général de l’association Football Supporters Europe (FSE). On a vu une unité sur un sujet qui touche à la gouvernance du football : unité politique, on a vu des joueurs et des entraîneurs monter au créneau, on a vu les médias, les diffuseurs aussi. Ça veut dire qu’il y a quand même une idée de bien commun et de nécessité de protéger le foot. » »

Et puis il faut bien dire ce qui est, voir le machiavélique Andrea Agnelli se faire taper sur les doigts par l’ensemble des dirigeants de clubs en Serie A ne manque pas d’un certain sel. Comme de voir l’état-major du Real Madrid en PLS à l’idée de se faire voler par l’arbitre en demi-finale de la toujours vivante Ligue des champions la semaine prochaine. Non, vraiment, on aura bien rigolé (jaune). Mais maintenant, on fait quoi ?

Car Aleksander Ceferin a beau être monté à la tribune mardi soir pour dénoncer, avec des trémolos dans la voix, « l’égoïsme » qui a remplacé « la solidarité », l’argent qui « est devenu plus important que la gloire, la cupidité plus importante que la loyauté et les dividendes plus importants que la passion », on a du mal à réprimer un rictus. Au vrai, on dirait qu’il récite l’un des nombreux pamphlets que l’on peut voir régulièrement fleurir sur les bureaux des associations de supporters à l’encontre de l’UEFA ou de la Fifa. UEFA et Fifa qui, il y a à peine 72 heures, étaient encore les grands méchants loups aux yeux des fans du continent. Et qui ne devraient pas tarder à le redevenir une fois cette Super Ligue enterrée au cimetière des abominations.

N’oublions pas que Gianni Infantino cherche depuis des années à nous refourguer sa Coupe du monde des clubs 2.0. Un Infantino qui, de source proche du dossier Super Ligue, « aurait encouragé la création de cette Super Ligue avec l’espoir qu’elle débouche sur un Mondial des clubs organisé par la Fifa qui aurait permis à cette dernière de reprendre la main sur l’UEFA ». Ennemi avant-hier, alliés hier, les deux entités et leur président respectif ne tarderont pas à se tirer à nouveau dans les pattes dans les mois à venir.

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Ce sera donc le choléra, hip, hip, hip, hourra

Eric Champel, journaliste spécialiste des instances du football et auteur de FIFAGATE : Comment le Qatar a fait exploser le système Blatter, nous remet vite les pieds sur terre. Et nous rappelle à quel point cette alliance de circonstances entre l’UEFA et les supporters est contre-nature et donc, de fait, pas appelée à durer. « L’UEFA a trouvé un allié qu’elle n’attendait plus : le peuple, les supporteurs de football. Alors qu’il s’agit d’une compétition qui exclut une grande majorité de petites nations et de petits clubs, c’est le peuple du football, les supporters, porteurs de valeurs, qui ont sauvé une compétition qui est déjà une Ligue fermée même pas accessible au grand public autrement que par des chaînes payantes. » Le plus dur ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.

Même réalisme froid du côté de Jean-Baptiste Guégan, enseignant spécialiste en géopolitique du sport et auteur de Géopolitique du sport, une autre explication du monde : « Tout le monde pense qu’on vient de remporter une victoire sur le football de l’argent alors qu’en vérité c’est lui qui a triomphé. On échappe à la peste mais on n’évitera pas le choléra. L’échec de la Super Ligue n’empêche pas l’UEFA d’imaginer une Ligue des champions de plus en plus fermée et portée sur l’argent. La nouvelle formule va être encore plus portée sur la rentabilité et la redistribution entre gros clubs. Là les gros clubs vont encore voir leurs quotes-parts augmenter et je ne suis pas sûr que ça favorise les championnats et les équipes secondaires. » Pire, nous dit-il, « la Fifa et l’UEFA vont se servir de l’émotion suscitée par cette tentative de putsch pour faire accepter ce projet qui est très loin du football populaire que l’on aime ».

« Le combat de ne fait que commencer »

Alors quoi, tout ça pour ça ? Pas forcément. Ronan Evain dresse les combats à venir : « Je suis heureux de voir que l’action collective a marché mais aussi inquiet parce que ce qu’il vient de se passer confirme tous les problèmes fondamentaux de la structuration du football européen : la distorsion de compétitions, la concentration de l’argent et du pouvoir dans les mains d’un nombre très limité de clubs et l’absence d’un vrai régulateur au niveau européen. Ce que ça montre tout ça, c’est qu’on a besoin d’une UEFA forte qui joue son rôle de régulateur, qu’on a besoin que les fédérations jouent aussi leur rôle de contre-pouvoir, parce que tout ceci a manqué au foot européen ces 30 dernières années. Le football traverse une crise sans précédent qui ne peut pas déboucher sur un retour à la normale parce que ça a mis en lumière les failles du système. »

Pour l’économiste du sport Jean-Pascal Gayant, « il y aura du bon s’il y a une réflexion collective et une volonté des autorités politiques de se coordonner et de mettre tout le monde autour de la table pour instaurer une vraie régulation du football moderne. » « Espérons que les leaders politiques aient pris conscience de la spécificité du spectacle sportif et qu’ils mettent en place des dispositions légales et réglementaires qui puissent être adaptées », poursuit-il. Pour ça, encore faudrait-il que le droit européen le permette, ce qui est loin d’être gagné comme on vous l’expliquait dans un précédent papier.

Tout n’est pas à jeter cependant car, comme le souligne Jean-Baptiste Guégan, un espace politique ou revendicatif est né de cette mobilisation aussi puissante que spontanée des supporters de tout le continent. Les douze salopards l’ont appris à leurs dépens. « Il y a une ligne rouge qui a été tracée, admet-il. Les clubs savent désormais que s’ils continuent à vouloir traiter les supporters uniquement comme des consommateurs, ils seront confrontés à des mobilisations collectives qui peuvent aussi s’avérer très efficaces politiquement. »

Les fans de Chelsea ont d’ailleurs prévenu leur direction que malgré la victoire de mardi soir, ils n’avaient « aucune confiance » en eux. Finalement, comme souvent quand il s’agit des supporters, c’est l’association FSE qui a mieux résumé la situation après la disparition de feu la Super Ligue : « Le combat de ne fait que commencer ».