FOOTBALLZidane est-il vraiment si mauvais tacticien qu'on veut bien le dire ?

Real-Liverpool : Zidane est-il vraiment si mauvais tacticien qu'on veut bien le dire ?

FOOTBALLDepuis qu'il est sur le banc du Real, Zizou se traîne la (mauvaise) réputation de n'être qu'un meneur d'hommes incapable de prendre la moindre bonne décision tactique
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • L’entraîneur du Real Madrid a beau avoir tout gagné avec les Merengue, celui-ci ne jouit toujours pas d’une réputation de tacticien solide.
  • Pourtant, cette saison, Zidane a dû faire avec les nombreuses blessures et méformes de ses joueurs tout en restant compétitif.
  • On l’a ainsi vu adapter à maintes reprises ses systèmes tactiques en fonction de forces qu’il avait sous la main.

Les vrais savent. Interrogé avant Liverpool sur les pleurnicheries de Kylian Mbappé au PSG, Zinédine Zidane est venu sobrement rappeler au joueur que ce n’était ni plus ni moins que la rançon de la gloire. « Plus vous êtes fort, plus vous serez critiqué (…), a rappelé l’entraîneur français. Ici [au Real], nous le savons ». C’est vrai que question critiques, « Chichou » se pose-là.

Le bonhomme a beau présenter un palmarès à faire coudre des bouches aux plus grands haters de Castilla La Mancha, Zidane se traîne toujours une réputation de tacticien de pacotille juste bon à manager des égos et à coucher sa compo en fonction des noms ronflants qu’il a à sa disposition. En Espagne, cela porte même un nom. Pour les antis-Zizou madrilènes qui sévissent sur Twitter, le champion du monde français est surnommé « El Alineador », « l’aligneur ».

Aux origines du petit sobriquet

Ça ne date d’ailleurs pas d’hier puisque, après enquête minutieuse, il apparaît que la première occurrence de ce sobriquet voit le jour dès 2016, année où Zidane prend pour la première fois en mains les destinées de la Casa Blanca. « Beaucoup de supporters madrilènes ont tendance à sous-estimer les succès de leur équipe. Au fond, je crois que ça a toujours été le cas avec la plupart des entraîneurs madrilènes ces 20 dernières années, essaye de comprendre Pablo Parra, journaliste espagnol pour Marcador, la radio du célèbre journal Marca. Je suis parfaitement d’accord pour dire qu’il faut être exigeant et critique avec cette équipe mais si et seulement si c’est nécessaire. »

Pour ceux-là, Zidane ne se bornerait donc qu’à aligner ses soldats sûrs dans un schéma tactique inamovible (le 4-3-3 pointe basse) aux mécanismes robotiques. Samedi, pourtant, le Marseillais a battu Eibar (2-0) en ressortant du chapeau un 3-5-2 que l’on avait déjà vu par le passé, notamment lors du 8e de finale aller de C1 contre l’Atalanta. Et à l’arrivée, pour le journal As, « le Real a montré l’une de ses plus belles versions de la saison ». Surtout, Zizou a réussi à redonner vie samedi à un Marcelo qu’on pensait définitivement perdu pour le foot, ce qui n’est pas donné à tout le monde. « Avec ce système il a trouvé la meilleure manière d’utiliser Marcelo qui, disons-le, n’a jamais su défendre », applaudit François Miguel Boudet, du site Furia Liga, spécialisé dans le championnat espagnol.

Dans le 3-5-2 de Zidane contre Eibar, Marcelo retrouve une ultime jeunesse.
Dans le 3-5-2 de Zidane contre Eibar, Marcelo retrouve une ultime jeunesse.  -  Oscar J Barroso/Shutterstock/SIPA

« Marcelo et Isco ne sont pas des joueurs qui peuvent passer 90 minutes à faire des aller-retours entre l’attaque et la défense, embraye Parra. Alors il s’est adapté à ça en faisant tourner et en mettant trois défenseurs centraux afin de positionner Marcelo plus haut et en donnant plus de liberté à Isco. A l’arrivée ça a très bien fonctionné. Cette saison, Zidane a changé au moins cinq fois de schéma de jeu, son équipe est très, très solide tactiquement et, surtout, il a su prendre de bonnes décisions en cours de match. »

Zidane et la « machine froide » de l’an dernier

S’il est vrai que le 4-3-3 est sa valeur refuge, celle qu’il utilise 80 % du temps et devant laquelle il aime se réchauffer les mains quand il fait froid dehors, le Français a été capable depuis son retour sur le banc en mars 2019 de cibler les carences de son équipe et de développer différentes réponses tactiques quand les circonstances l’exigeaient. Cette saison, on a compté pas moins de cinq différents systèmes, allant du 4-4-2 à plat au 4-2-3-1 en passant par le 4-3-2-1 et donc le 3-5-2. Pour défendre le soldat Zidane, Pablo Parra rappelle que le maestro a su aller glaner une nouvelle Liga l’an passé en faisant jouer cette équipe à contre-nature. Pour les besoins de la cause, quitte à sacrifier parfois la beauté du geste. Comme un tacticien, en somme.

« « Il a fait de cette équipe un roc défensif très chiant à jouer. On a vu un Real incroyablement solide, avec des lignes resserrées, qui laisse très peu d’espace à ses adversaires et qui donnait l’impression d’être sûr de pouvoir toujours marquer un but de plus que son adversaire. Il a transformé le Real en une machine froide qui ne meurt jamais, qui ne lâche rien. C’est peut-être pas ce qu’on attend toujours du Real, mais Zizou a montré qu’il savait toujours tirer la quintessence des forces qu’il avait à sa disposition. » »

S’ils ne partagent pas entièrement l’analyse du journaliste madrilène (« Zidane a des limites tactiques, on le sait tous. Il le paye très cher en temps de crise lorsqu’il faut se rattacher à un projet de jeu »), les créateurs du célèbre compte Twitter Real Madrid FR lui reconnaissent a minima une jolie force de persuasion : « Là où les grands tacticiens adaptent leur équipe à leur projet de jeu, Zidane, lui, s’adapte à ses joueurs et aux moyens qu’il a. C’était d’autant plus significatif la saison dernière où il avait su convaincre ses joueurs qu’en l’absence de punch, ils devaient souffrir, apprendre à jouer avec plus de sérieux que de plaisir, avec plus d’équilibre derrière que de déséquilibre devant. »

« On l’étiquette ainsi comme un simple gestionnaire s’appuyant essentiellement sur la forme et la confiance de ses joueurs. Néanmoins, je pense qu’il y a des choses très intéressantes à dire à son sujet, embraye la bande de supporters français du Real. La permutation entre Modrić et Casemiro qui permet à ce dernier de se projeter dans la surface et réceptionner les centres. Ce qui fonctionne : Casemiro, avec 5 buts de la tête, est notre deuxième meilleur buteur en Liga. »

Casemiro est le deuxième meilleur buteur madrilène cette saison derrière la Benz.
Casemiro est le deuxième meilleur buteur madrilène cette saison derrière la Benz.  - JAVIER SORIANO / AFP

L’homme qui n’avait pas besoin de parler football pour le faire

Au fond, ce qui dérange surtout les antis, c’est le manque de passion du technicien français, il est vrai très avare de parole quand il s’agit de (vraiment) parler football devant les caméras. « Difficile d’en vouloir à ceux qui véhiculent cette image tant Zidane est le premier à le faire, constatent les membres de Real Madrid FR. Chaque contre-performance étant accompagnée de son lot de déclarations sur le manque d’intensité, de concentration, de travail, mais jamais rien concernant la tactique. » Une critique qu’El Lobo Carrasco, l’ancien footballeur Barcelonais devenu consultant pour El Chiringuito TV, balaie ainsi : « Zidane n’a pas besoin de parler de football, il est le football ».

Autrement dit, par l’auteur espagnol Albert Blaya Sensat, « Zidane est un personnage fascinant [qui] ne ressemble pas à un entraîneur. Ses discours sont monotones et simples, bien loin de ce que dégage Klopp et Guardiola. Il gagne et personne ne semble savoir pourquoi, sauf lui. » En attendant, l’incompris joue mardi soir une place dans le dernier carré de la C1 et est plus que jamais en course pour remporter le titre en Liga. Pas mal pour un branquignole qui aligne plus qu’il ne coache.