FOOTBALLPourquoi la « compo PlayStation » de Deschamps ne fonctionne pas

Equipe de France : Est-ce que c'en est terminé de la « compo PlayStation » de Deschamps ?

FOOTBALLLe sélectionneur avait décidé d’aligner le quatuor Mbappé-Coman-Griezmann-Giroud face à l’Ukraine, mais les Bleus ne se sont pas procuré beaucoup d’occasions
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • L'équipe de France n'a pu faire mieux qu'un triste match nul contre l'Ukraine mercredi pour sa première rencontre de qualification à la Coupe du monde 2022.
  • L'équipe de départ, tournée vers l'offensive, avait pourtant fière allure, mais les Bleus n'ont jamais su emballer la rencontre.
  • Ce n'est pas la première fois qu'ils souffrent face à des petites équipes qui jouent très regroupées en défense... et que Deschamps rappelle qu'il ne suffit pas d'empiler les talents pour faire de grands matchs.

Il n’est pas rare d’entendre Didier Deschamps avouer, en souriant, qu’il ne comprend pas toujours les codes qui animent son jeune groupe de joueurs. Le sélectionneur est de l’ancienne génération, comme il le répète, et n’est pas très porté sur les réseaux sociaux. Sur les consoles de jeu non plus, d’ailleurs, mais ça ne l’empêche d’y faire référence de temps à autre.

Mercredi soir encore, interrogé sur sa composition d’équipe à quatre attaquants – Mbappé et Coman sur ailes, Griezmann derrière Giroud dans l’axe –, le sélectionneur a débriefé ainsi le triste match nul de l'équipe de France face à l’Ukraine : « J’avais déjà fait cette animation contre la Moldavie, il y a deux ans. On n’avait pas fait une bonne première période non plus. Ce n’est pas la PlayStation. »

Tu résisteras à la tentation

Sous entendu, ce n’est pas en empilant des joueurs offensifs aux notes supérieures à 90 que l’on va forcément gagner des matchs. Il avait déjà utilisé cette formule, dans un entretien en longueur accordé au Figaro au sortir du sacre mondial en 2018, pour répondre à ceux qui critiquaient le style de jeu de son équipe. Mais il a beau très bien le savoir, DD reste un être humain, et quand vous savez que votre adversaire va jouer à 10 derrière, la tentation est forte de prendre plus de risques que d’habitude pour multiplier ses chances. Et puis c’est bien ce qu’on attend tous, non ?

Sauf, on l’a vu au Stade de France, que ce n’est pas si simple. Pourquoi ? Adrien Rabiot et Lucas Hernandez, préposés à la conférence de presse du jour, ne nous ont pas beaucoup aidés. Selon eux, les difficultés des Bleus ont surtout tenu au style de (non) jeu des Ukrainiens, qui n’ont jamais montré de failles dans leur bloc bas très resserré.

Et on défend à combien?
Et on défend à combien?  - FRANCK FIFE / AFP

Le joueur de la Juventus a été un poil plus loin, quand même. « On s’attendait à ça, mais même quand on le sait, ce n’est pas facile, rappelle-t-il. Au-delà du système, c’est surtout ce qu’on y a mis, nous, sur le terrain. On aurait dû rentrer dans ce match avec plus de dynamisme et de rythme. Avec le potentiel qu’on a, on doit pouvoir s’adapter. »

L’ex-coach de l’OL Alain Perrin, contacté par nos soins, voit quant à lui deux explications principales :

  • L’apport moindre des latéraux : « Ils ont peut-être moins de liberté avec des joueurs comme Coman et Mbappé devant eux. En tout cas, on ne les a pas beaucoup vus. J’ai été déçu par Lucas Hernandez, notamment. La qualité de technique, au niveau des centres, n’était pas là. Face à ces adversaires, c’est vital, il ne faut pas se rater dans cet exercice, savoir la mettre bien pour passer le premier rideau. Et il faut de l’impact athlétique dans la surface. »
  • Le profil de Mbappé, qui crée des embouteillages dans l’axe : « Coman a bien tenu son rôle, mais Mbappé ne joue pas vraiment comme un ailier, on le sait. C’est le problème des joueurs censés être sur le côté et qui rentrent. Lui, il aime prendre les espaces, et là il n’y en avait pas, ou repiquer. Or, s’il repique, ça augmente encore la densité dans l’axe et ce n’est pas une bonne chose du tout. Même s’il y a une défense renforcée en face, vous devez pouvoir trouver de la vitesse, de la percussion, par des unes-deux, pour transpercer la ligne. Ce n’est pas en venant à l’intérieur, à l’arrêt, que l’on peut faire ça car vous aurez tout de suite une grosse pression adverse sur le dos. Sans vitesse, on ne peut pas s’en sortir face à ces équipes. »

Tout cela n’est pas nouveau. Les Bleus ont traditionnellement du mal dans ce genre d’opposition à sens unique. On se souvient tous des vilains 0-0 face à la Biélorussie et au Luxembourg lors de la phase de qualifications pour la dernière Coupe du monde. Il y a également le précédent face à la Moldavie, donc, que rappelait Deschamps mercredi. La France, avec le même quatuor offensif, l’avait difficilement emporté après une première période infâme.

Voilà ce qu’avait dit Giroud à l’époque : « Le problème, avec des équipes comme celle-ci, très regroupées, qui mettent beaucoup d’impact dans les duels, c’est qu’il faut savoir donner les solutions en profondeur. Pas venir uniquement dans les pieds. C’est ce que le coach a souligné à la mi-temps, il voulait plus de mouvements de la part des quatre offensifs. »

Pas plus ouvert face au Kazakhstan et à la Bosnie

On ne peut pas dire qu’on ait beaucoup progressé dans ce domaine, donc. Mais pour Alain Perrin, la solution n’est pas forcément à aller chercher dans la composition d’équipe.

« « Il faudrait presque accepter de jouer moins haut, pour laisser croire à l’adversaire qu’il peut sortir, jouer un peu, explique-t-il. C’est un peu contre-nature, et il faut faire attention à ne pas déjouer complètement, mais il faut se garder un peu d’espace pour attaquer. Donc se forcer à récupérer le ballon pas trop haut, autour de la ligne médiane. Si on le récupère à 30 mètres des buts adverses, on ne se défait jamais de cette densité. » »

En résumé, plus on domine, plus il est difficile de se créer des occasions. Vous avez dit paradoxal ? Didier Deschamps et Guy Stéphan planchent sûrement sur la question, en tout cas. Car face au Kazakhstan dimanche, puis à la Bosnie trois jours plus tard, les Bleus ne devraient pas voir beaucoup d’adversaires venir dans leur camp non plus. Même si ces deux équipes ont bien moins d’expérience que l’Ukraine.

« Cette équipe n’est pas faite pour ce genre de match »

Le sélectionneur a déjà annoncé qu’il allait procéder à de nombreux changements à Astana pour retrouver de la fraîcheur. Sans être dans sa tête, on miserait cher sur la présence de Lucas Digne au poste d’arrière gauche, par exemple. Et pourquoi pas sur celle de Lemar devant lui, en habitué du poste, avec Coman reconduit de l’autre côté.

« La solution dans ces matchs-là se trouve sur les côtés, a répété Rabiot jeudi. Il faut écarter, utiliser les dédoublements, aller centrer. » « Et tirer de loin, ajoute Perrin. On peut marquer, ça peut être dévié, provoquer un corner ou un penalty, être contré et profiter à un attaquant. Mais plus globalement, j’ai l’impression que cette équipe n’est pas faite pour ce genre de match. Le registre de nos joueurs ne colle pas bien avec ça. » Au moins, on n’aura pas ce problème cet été à l’Euro, vu le groupe qui nous est tombé dessus.