FOOTBALLMauricio Pochettino, un « Espanyolista » à la vie, à la mort

Barça-PSG : Mauricio Pochettino, un « Espanyolista » anti-Barça à la vie, à la mort

FOOTBALLMauricio Pochettino retrouve mardi une ville de Barcelone qu'il connaît comme sa poche après avoir passé douze ans à l'Espanyol, comme joueur de devoir puis comme entraîneur de caractère
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Le Paris Saint-Germain se déplace à Barcelone mardi soir pour y disputer son huitième de finale aller de la Ligue des champions.
  • A cette occasion, l'entraîneur parisien Mauricio Pochettino va retrouver une ville qu'il connaît bien pour avoir passé douze ans à l'Espanyol.
  • Ainsi, au fil des années s'est nouée une relation quasi amoureuse entre l'entraîneur argentin, le club et ses supporters.

En entamant la descente vers Barcelone avec l’avion privé du PSG qui le conduit, lui et ses troupes, vers leur rendez-vous européen de mardi, Mauricio Pochettino a probablement jeté un rapide coup d’œil au Camp Nou, théâtre du futur 8e de finale face au Barça. Ce n’est certainement pas là en revanche que son regard s’est attardé, mais plutôt à quelques kilomètres plus dans les terres, sur le quartier de Sarria, où trônait fièrement il y a 23 ans le stade de l’Espanyol Barcelone.

Et il s’est peut-être souvenu de cette « triste soirée » de septembre 1997, comme il le raconte dans son autobiographie, la veille de la démolition du stade de Sarria. Il avait alors demandé la permission au gardien du stade de se faufiler avec sa femme et un ami proche et fouler une dernière fois la pelouse qui l’a vu naître aux yeux du foot européen. « Je n’ai pu contenir mes larmes », racontera-t-il à Guillem Balague, l’auteur de sa biographie.

« Ça ne faisait que trois ans qu’il était au club mais cette histoire montre bien qu’entre lui et l’Espanyol, c’est beaucoup plus profond qu’une banale relation professionnelle », convient Javier De Haro, journaliste espagnol qui se targue aujourd’hui de compter parmi les amis de l’Argentin. « Les stades ne sont pas que pierres et pelouse, il y a un esprit, une âme, quelque chose de plus fort qui s’en dégage, embraye Balague. Et Mauricio avait ressenti ça avec le stade de Sarria. Pour lui c’était comme si on allait lui enlever un être cher, comme pour à peu près tous les supporters de l’Espanyol. » S’il a pu ressentir ça, c’est qu’il est « l’un des leurs, tout simplement », explique Edu De Batlle, journaliste suiveur de l’Espanyol.

Pochettino, un Perico à la vie, à la mort

Ce quartier, ce stade, cette équipe, c’est un peu chez lui. « Entre Mauricio Pochettino et l’Espanyol, c’est une histoire d’amour qui durera toujours », nous confie De Haro, le commentateur espagnol, 28 saisons de couverture de l’actualité des Pericos au compteur. « Il a joué pour ce club, il a entraîné ce club, il a passé en tout douze ans à l’Espanyol, c’est une petite vie, poursuit-il. Ses enfants sont nés à Barcelone. C’était encore un gamin quand il est arrivé à l’Espanyol et on a tendance à dire que toutes les étapes importantes de sa vie, l’adolescence, sa construction en tant que footballeur d’abord puis entraîneur ensuite, tout cela il l’a vécu ici. L’Espanyol, c’est sa maison, c’est tout pour lui. »

La Pochette au duel avec Anelka lors d'un Espanyol-Real en avril 2000.
La Pochette au duel avec Anelka lors d'un Espanyol-Real en avril 2000.  - CHRISTOPHE SIMON / AFP

Débarqué d’Argentine alors qu’il n’a que 22 ans, Mauricio Pochettino fait immédiatement corps avec l’identité de ce club. Mieux, il en devient presque immédiatement le plus fidèle représentant, le leader, le capitaine. « Sur le terrain c’était un guerrier et en dehors c’était un chef de vestiaire. Il a tout de suite gagné le cœur des supporters car il s’est toujours montré proche d’eux », explique Guillem Balague, supporter de l’Espanyol depuis le berceau. Mais sept ans après son arrivée, l’histoire d’amour se frotte à la dure réalité des finances du club. Javier de Haro : « C’était une période compliquée d’un point de vue économique et le club n’a eu d’autres choix que de le vendre au PSG ».

Mais en 2004, quand le club se retrouve très mal embarqué en championnat et confie les rênes de l’équipe à Luis Fernandez, celui-ci pense immédiatement à Pochettino pour guider un vestiaire en mal de chef de meute. Devenu quelqu’un dans le paysage footballistique de l’époque, Pochettino aurait pu gentiment éconduire l’Espanyol. Mais ce n’est pas le genre. « Ils m’ont accueilli à bras ouverts, ils attendaient de moi que je fasse le lien dans une équipe divisée et avec beaucoup de problèmes. J’ai accepté le défi, j’étais prêt pour ça. Cette responsabilité m’a fait me sentir important », dira-t-il plus tard. « Il est allé voir le président de Bordeaux de l’époque [Jean-Louis Triaud] pour lui demander de le laisser repartir à l’Espanyol et sauver l’équipe de la relégation. Il a vu ça comme un devoir, il ne pouvait pas laisser le club qu’il aimait descendre en deuxième division. A l’arrivée il est revenu et on s’est sauvé. »

La victoire au Camp Nou et le maintien

C’est au terme de cette deuxième aventure en bleu et blanc que Pochettino raccrochera les crampons, après une conférence de presse lors de laquelle il pleurera devant les journalistes mais aussi sa famille, présente pour ses adieux. « Je crois que j’ai pleuré car j’ai vu mon fils pleurer. Ou peut-être pas. J’ai pleuré parce que j’ai pleuré. J’ai dû sortir de la salle pour prendre l’air », relate-t-il dans son livre. Mais l’histoire ne s’arrêtera pas là pour autant. Lors de la saison 2009-2010, alors que le club est à nouveau très mal engagé en Liga, les dirigeants pensent à lui pour diriger l’équipe.

Ça faisait un petit moment que Pochettino, en quête de réponses sur sa vie d’après, traînait autour du club. Peu à peu, il était même devenu l’entraîneur adjoint de l’équipe féminine. Alors, quand la proposition arrive sur la table, celui-ci envoie valser les oiseaux de mauvais augure qui lui affirment en privé qu’il va flinguer sa carrière d’entraîneur s’il accepte le job. « Même s’il n’avait aucune expérience, il n’a pas hésité parce que, encore une fois, il fallait sauver le club. En fait à chaque fois que le club lui a demandé de revenir, il était là », note Javier De Haro.

Mauricio Pochettino et Pep Guardiola lors du derby barcelonais en 2012.
Mauricio Pochettino et Pep Guardiola lors du derby barcelonais en 2012.  - EFE/SIPA

Pour son premier match en tant qu’entraîneur, en 2009, la Pochette et ses troupes arrachent un nul (0-0) au Camp Nou en coupe avant de revenir quelques semaines plus tard pour ce qui reste encore aujourd’hui comme la dernière victoire de l’Espanyol chez l’ennemi juré. « Pour Mauricio, gagner là-bas [2-1] avec deux buts de son ami Ivan De La Peña restera comme l’un des plus grands souvenirs, l’une des plus grandes joies de toute sa carrière. » On touche d’ailleurs peut-être là à l’essence de l’amour que vouent les fans de l’Espanyol à Pochettino : c’est qu’il a compris dans le début ce que c’était que d’être de ce club.

Javier de Haro : « Jouer contre le Barça quand on est de l’Espanyol, c’est jouer contre le pouvoir. Le Barça, c’est comme la pensée unique. Nous, supporters de l’Espanyol, on sait ce que c’est que souffrir de l’ombre du géant, tu n’existes pas pour eux et quand ils parlent de toi c’est en mal. Et Mauricio a bien intégré tout ça, il le ressent au plus profond de lui. » « L’Espanyol, c’est un club et des supporters qui se sentent marginalisés par l’ombre immense que lui fait le Barça. Et Mauricio est arrivé avec sa mentalité et nous a fait comprendre que nous n’étions inférieurs à personne », s’enthousiasme Balague.

L’Espanyol marqué par le décès de Daniel Jarque

Et quand il a fallu être au chevet de l’équipe à l’été 2009, après le décès tragique de Dani Jarque (26 ans) qu’il venait de nommer nouveau capitaine, là encore Pochettino s’est montré à la hauteur du défi malgré la peine qui était la sienne. « A ce moment-là, je pense que si Mauricio n’avait pas été l’entraîneur, ça aurait pu tourner au désastre, avance le commentateur espagnol. Il n’était plus simplement l’entraîneur de l’équipe mais aussi le psychologue, l’ami vers qui on se tourne quand on a besoin de parler. Il a essayé de tout prendre sur lui et à l’arrivée cet épisode malheureux a encore renforcé ses liens avec le club. »

Avec sa mentalité de combattant et sa naïveté de jeune entraîneur, Pochettino impulse un style offensif à une équipe et un club qui eux-mêmes ne croyaient plus beaucoup en eux. « Tout dans son discours, dans sa manière de s’exprimer, dans ce qu’il a proposé sur le terrain en donnant leur chance à de jeunes joueurs, tout ça a créé l’image d’une équipe qui, même si elle savait qu’elle ne jouerait pas les premiers rôles, dégageait quelque chose de particulier. Et ça se sentait aussi dans les principes de jeu, aller de l’avant, avoir la possession du ballon, ce sont des choses qu’on avait rarement vues par le passé et aujourd’hui encore ça nous manque, confie Guillem Balague. Il nous a fait croire à quelque chose de différent, de grand, de fort. Quand il est parti, il a laissé un grand vide. »

Barcelone, lieu de « retraite spirituelle » pour la Pochette

Aujourd’hui encore, quand son emploi du temps le permet, il aime revenir à Barcelone pour « apprécier la lumière » si particulière de la ville. Il n’a d’ailleurs jamais lâché la maison qu’il possède là-bas. « C’est comme une retraite spirituelle », écrit-il dans son bouquin. Quant à entraîner un jour le Barça​ ? Celui-ci a maintes fois répété qu’en tant qu’espanyolista, il verrait cela comme une forme de « trahison personnelle » et qu’il préférait aller « travailler dans [sa] ferme en Argentine que d’aller entraîner certains clubs ». Si le journaliste Edu de Batlle pense qu’il a dû regretter cette sortie depuis, son ami Javier De Haro, lui, veut croire à ces valeurs. « Pour moi c’est un homme de principes et si un jour il devait entraîner le Barça, la déception des supporters serait immense. Ce serait la chute d’un Dieu. En revanche je pense qu’il reviendra entraîner l’Espanyol un jour. »