Ligue 1 : Une baisse générale (et durable) des salaires des joueurs est-elle inéluctable ?
FOOTBALL•Alors qu'une réunion se tiendra le 12 janvier prochain entre l'UNFP et certains présidents de Ligue 1, la question de la baisse des salaires des joueurs est déormais au centre des débatsA.L.G avec C.C
L'essentiel
- Avec la crise économique liée au Covid-19 et au fiasco Mediapro, le football français pourrait perdre entre 500 et 800 millions d'euros selons les sources.
- La situation est telle que près d'un tiers des clubs professionnels seraient menacé dans leur survie à court ou moyen terme.
- Pour sauver le foot français, la question de la baisse des salaires des joueurs prend chaque jour un peu plus d'ampleur.
Inimaginable il y a encore quelques années voire quelques mois, quand l’argent coulait à flots dans les veines du football français, perfusé par les revenus des droits télé, les recettes billetterie et les sousous du mercato, la baisse des salaires des joueurs n’est aujourd’hui plus un tabou pour personne. C’est même désormais une évidence pour la grande majorité des gens du milieu, alors que se tiendra le 12 janvier prochain une réunion entre l’UNFP – le syndicat des joueurs pros – et certains présidents de Ligue 1 à l’origine de cet appel à l’aide. Tout le monde en est conscient, donc, à commencer par les principaux intéressés. Interrogé avant la trêve sur le sujet, Paul Baysse, le défenseur des Girondins de Bordeaux et membre du comité directeur de l’UNFP, montrait l’exemple.
« On sait bien que les clubs sont en difficulté avec la crise sanitaire et l’affaire avec Mediapro n’arrange rien. Ce n’est pas simple et on est conscient de la situation. Au mois de juin dernier, on avait déjà été sollicité pour baisser nos salaires et tout le monde était favorable à ça pour aider le club. Si on doit en passer par là, on sera tous solidaires. Je pense que tout le monde est prêt à faire des efforts financiers. On est tous dans le même bateau », déclarait-il, suivi depuis par son coéquipier Laurent Koscielny. « On connaît tous le contexte. Tout le monde va sûrement devoir en passer par là. On va tous devoir se serrer la ceinture. » Plus à l’est, à Reims, Xavier Chavalerin pense aussi collectif : « Si on doit le faire pour sauver les clubs et les personnes qui travaillent pour nous au quotidien comme les femmes de ménage ou ceux qui lavent nos affaires, on le fera ».
« Mediapro c’est la goutte d’eau »
Ces discours empreints de solidarité détonnent de la part de footballeurs volontiers taxés de nombrilisme et pointés du doigt pour leur déconnexion au monde réel. C’est qu’en plus de la crise du Covid qui a vidé les stades et les caisses des clubs, l’ouragan Mediapro a fait office de seconde lame dévastatrice, au point que la survie pure et simple de certains clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 est aujourd’hui en jeu. Sur la chaîne L’Equipe lundi soir, l’économiste du sport Pierre Rondeau estimait à la louche qu’un tiers des clubs pro français pourraient fermer boutique à court ou moyen terme si rien n’était fait d’ici là.
« « Mediapro c’est la goutte d’eau mais disons que le vase était déjà très, très rempli, avance Christophe Lepetit, responsable des études économiques au CDES de Limoges. D’autres clubs en Europe, et parmi eux des très grands comme le Barça par exemple, ont commencé à s’engager sur la voie de la réduction de salaire. Ce qui veut dire que, même sans la crise Mediapro, très probablement les clubs auraient dû se mettre à la table des négociations avec les joueurs pour envisager une telle mesure. » »
La fameuse table des négociations. Une expression qu’on a plus l’habitude d’entendre dans nos JT au moment où Philippe Martinez déboule furax à l’Elysée pour sauver les emplois chez Continental. Mais elle montre bien l’urgence de la situation. « Ça risque d’être un printemps meurtrier s’il n’y a pas d’aménagements économiques dans le modèle des clubs », prévient le député LREM Cédric Roussel, coprésident du groupe d’économie du sport à l’Assemblée Nationale, qui planche très sérieusement sur la mise en place d’un salary cap à l’échelle française, voire européenne.
Le salaire, première variable d’ajustement
« Dans la partie « dépenses » des clubs, le poids de la masse salariale est très important dans la plupart des clubs français [grosso modo, selon les clubs, entre 40 et 70 % des charges proviennent des salaires]. Donc mécaniquement c’est aussi là qu’il faut aller chercher les économies, analyse le député des Alpes-Maritimes. On entend beaucoup de bonnes intentions ces dernières années, le temps est venu de passer aux actes. » Très bien, mais comment ? Car si tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut sauver le soldat Ligue des Talents, la réunion de jeudi n’accouchera au mieux que de ce que l’on appelle un accord-cadre. Or celui-ci n’aura absolument aucune valeur juridique contraignante pour les joueurs.
« Si accord il y a, embraye Christophe Lepetit, il faudra ensuite que chacun, dans les clubs, fasse un effort et que les dirigeants négocient au cas par cas pour passer la crise. » Car avec un salaire moyen à 94.000 euros et un salaire médian estimé à environ 35.000 euros, les disparités sont immenses au sein d’un vestiaire. Invité à réfléchir à voix haute lors d’un premier article sur le sujet que nous avions publié en avril dernier, Olivier Delcourt, le président dijonnais, expliquait le casse-tête mathématique.
« Ça devrait être proportionnel en fonction des salaires. A Dijon, le plus petit salaire dans le vestiaire doit être autour de 5000 euros, le plus important autour de 100 000. Les deux ne peuvent pas être mis dans le même panier, disait-il. Et puis les joueurs gagnent beaucoup par rapport au reste de la société, mais ils ont un niveau de vie en conséquence. » « Ils ont des emprunts, des investissements, des charges, enchaîne Lepetit. Ils ont signé des contrats, ce sont des salariés à qui l’on doit des sommes, ils peuvent dire "ok, je suis d’accord pour faire un effort maintenant pour passer le cut, mais j’aimerais récupérer mon argent plus tard." »
Repenser le modèle économique dans sa globalité
C’est aussi l’une des grandes questions du moment : ces réductions salariales s’inscriront-elles dans le temps où s’agit-il simplement d’un one shot histoire d’écoper le navire ? L’horizon incertain sur le front de la pandémie et de la vaccination, combiné à la probable « très forte décote des droits TV à venir », dixit Lepetit, nous incitent plutôt à pencher pour la première option.
L’économiste du CDES, toujours : « Si on réfléchit à plus long terme, il faut repenser globalement la régulation du football professionnel et il faut rendre le secteur à la fois plus solide et plus durable. Mais cette régulation ne peut pas être axée uniquement sur un simple plafond salarial qui ne résoudrait rien du tout s’il était mis en place tout seul. Il faut une régulation globale au niveau mondial ou au moins européen, une régulation du marché du travail, du marché des transferts, une régulation financière et une régulation salariale. C’est comme ça qu’on améliorera le système et non en faisant des petites retouches ici ou là. »
A prendre ou à laisser ?
Avec, à la clé, une profonde refonte du paysage footballistique européen qui pourrait ressembler à ça : la fin des contrats longs, des effectifs drastiquement réduits par la fin de l’empilement des joueurs sous contrats et, peut-être, une forte hausse de la courbe du chômage des joueurs. C’est ce que nous confiait récemment un agent bien installé en Ligue 1 : « Pour moi on va vers une explosion énorme du nombre de chômeurs dans le football. Tous les joueurs ne le voient pas aujourd’hui mais ça va être très chaud. On va revenir à des effectifs de 23 joueurs avec 4 ou 5 qui seront payés entre 5.000 et 10.000 euros. »
Reste alors l’exil ? « Même pas, tranche Lepetit. La crise ne touche pas que la France et les clubs étrangers ne proposeront plus de gros contrats à tour de bras. A part les tops joueurs qui resteront en position de force dans la négociation salariale, 80 %, voire 90 %, des joueurs vont subir ces négociations et n’auront pas trop le choix que d’accepter. Parce qu’ils ne savent pas véritablement s’ils auront la possibilité de retrouver un autre club et à quelles conditions. Sur cette masse de joueurs là, peu auront un réel pouvoir de négociation et il faudra très certainement accepter cette baisse de revenus. »