Ligue 1 : « L’ambiance ne s’invente pas, elle se vit ! »... Les bandes-son de supporters ont du mal à trouver leur public
FOOTBALL•Depuis quelques semaines, certains clubs de L1 ont tenté l’expérience des ambiances sonores préenregistrées pour pallier l’absence des supporters en cette triste période de huis closA.L.G avec D.P, F.L, A.M et T.G
L'essentiel
- Déjà en cours dans certains championnats européens, la diffusion de bandes-son avec des chants de supporters a fait son apparition en Ligue 1 ces dernières semaines.
- Mis en place pour mettre un peu d’ambiance malgré les huis clos dans les stades, ce système divise profondément les acteurs du foot français.
Cachez ce silence que l’on ne saurait entendre. Vous avez sûrement remarqué ces dernières semaines que les clubs de Ligue 1 – pas tous – ont fini par céder aux sirènes des ambiances préfabriquées, version rires enregistrés des séries AB de notre enfance, pour masquer la tristesse des rencontres à huis clos. Si ce phénomène n’a rien de nouveau chez nos voisins européens, la Bundesliga et la Premier League ayant mis en place ce système en fin de saison dernière au moment du restart, la France et la LFP ont mis plus de temps avant d’autoriser les clubs à tenter l’expérience. Attention, on ne parle pas là d’un fond sonore mis en place uniquement pour les téléspectateurs, mais bien des sonos du stade crachant en direct les chants de leurs supporters.
A Strasbourg, l’initiative du Racing ne passe pas auprès des ultras
En Ligue 1, Strasbourg est le premier club à s’y être essayé. C’était le 6 novembre à l’occasion de la réception de l’OM au stade de la Meinau. La direction du club n’ayant pas souhaité donner suite à nos demandes d’entretien, on se tourne du côté des UB90, le principal groupe ultra du club alsacien, pour avoir un premier retour d’expérience. Sans surprise, celui-ci est salé. Extraits :
« « Lors de la réception de Marseille, le Racing a cru bon de diffuser dans les enceintes de la Meinau une bande-son d’un semblant d’ambiance, ce qui nous a passablement agacés (…). L’histoire récente du Racing montre à quel point l’ambiance si particulière de la Meinau ne saurait être reproduite, sans l’âme de ses milliers d’amoureux. Nous tenons à nous dissocier de ce type d’initiative qui a été prise par le club contre notre gré et malgré notre prise de position claire et négative à ce sujet. L’ambiance ne s’invente pas, elle se vit ! » »
A Marseille, cela s’est fait en concertation avec les ultras du Vélodrome à en croire un porte-parole du club : « Dès le confinement, nous avons réfléchi à des solutions, notamment en étudiant tout ce qui se faisait ailleurs dans le monde, explique-t-il. Nous avons bien évidemment largement consulté avant de mettre en place ce dispositif : les groupes de supporters ont donné leur accord pour que nous utilisions leurs chants (enregistrés lors d’un match l’année dernière) ». De son côté, André Villas-Boas a également soutenu l’initiative. « J’en ai parlé avec les joueurs, ils préfèrent quand il y a ces sons. Après, ça ne fait pas une grande différence, le stade est vide de toute façon. Mais je préférerais l’avoir pour tous les matchs, moi j’aime beaucoup même si ça ne remplace pas les supporters et leur ferveur », a-t-il confié en conférence de presse après la victoire contre Nantes samedi.
Beaucoup de travail en amont pour des résultats pas toujours probants
Un discours qui tranche avec celui de Christian Gourcuff, son adversaire ce jour-là. « Je trouve ça très désagréable et je préfère quand il n’y a rien. Je me suis d’ailleurs fait la réflexion pendant le match. En plus, le son est en décalage avec ce qu’il se passe pendant le match, ce n’est vraiment pas une réussite », notait-il après la défaite des Canaris au Vélodrome. Des critiques que l’on retrouve également chez nos journalistes maison. A Strasbourg, Thibaut Gagnepain parle d’un « medley peu réussi car souvent à contretemps ».
« Ça fait vraiment bizarre la première fois de se prendre dans les oreilles des chants de supporters à fond la caisse alors que le stade, et quel stade, est entièrement vide devant nous, appuie Adrien Max, qui couvre l’OM pour 20 Minutes. C’est vrai qu’il y a un léger décalage entre les actions sur le terrain et l’engouement des supporters sur la bande-son, alors que les réactions des supporters sont censées être spontanées. » « Mais je préfère quand même quand il y a un peu d’ambiance, confie-t-il. Il faudrait juste que la diffusion du son soit plus travaillée, mais c’est normal que tout ne soit pas encore parfait, forcément c’est tout nouveau. »
Tellement nouveau que selon le porte-parole de l’OM, « il a fallu travailler pour trouver et former un technicien capable de “jouer” un match de façon réaliste, car c’est un métier qui n’existe pas ! Le plus dur étant effectivement de coller au plus près des faits de jeu (but, déception si tir raté, etc.). » L’autre reproche fait aux Marseillais après le match contre Nantes est le volume sonore, beaucoup trop fort à en croire Christian Gourcuff. « Il faut que cela soit assez fort pour être audible par les joueurs, mais pas trop non plus pour ne pas gêner la production TV. Ça demande donc beaucoup de tests et de réglages à effectuer » en amont, admet-on volontiers du côté de l’OM.
Un casse-tête pour les nouveaux DJ par intérim
Justement, comment cela fonctionne-t-il d’un point de vue technique ? Pour le savoir, on a posé la question à Hugo Georgel, responsable des contenus et des relations presse au RC Lens, qui s’est vu confier la lourde tâche de créer l’ambiance sonore diffusée pour la première fois contre Nantes le 25 novembre.
« Ça m’a pris une journée pour monter tout ça. J’ai récupéré les signaux internationaux sans commentaires des diffuseurs qu’on récupère à chaque fin de match à domicile. J’ai cherché des chants de supporters issus des cinq-six matchs où il y avait eu le plus d’ambiance l’an dernier à Bollaert. J’ai enlevé tous les sifflets du public, les insultes, le bruit des joueurs qui tapent dans le ballon, les consignes des entraîneurs. C’est ça qui prend le plus de temps. Puis, j’ai tout mixé en stéréo pour que ça s’entende de la même façon un peu partout dans le stade. C’est un peu comme pour une recette de cuisine. Tu assembles un peu le truc et tu essaies de faire un gâteau qui ressemble à quelque chose. »
Un retour des jauges dans les stades avant Noël ?
La mouture finale a plu au coach lensois Franck Haise. « Il trouvait que c’était quand même plus sympa que du vide, note le nouveau DJ par intérim de Bollaert. Ça donne quand même de l’ambiance et ça permet d’occuper l’espace sonore surtout quand le match est ennuyeux. » Un avis que les Nantais ne partagent pas forcément, eux qui par deux fois ont été les cobayes de cette nouvelle expérience, à Lens et à Marseille. Au Vélodrome, « un bruit insupportable », dit-t-on au club. A Bollaert ? « Une espèce de musique de fond trop basse, comme un train qui passe tout le temps ».
Norman Noisette, le président de Lens United, la fédération de tous les groupes de supporters Lensois, comprend que son club puisse tenter le coup, mais pour lui « ça représente tout ce qu’on déteste dans le foot, ça contribue au fait qu'il soit en train de devenir 100 % télévisuel ». Qu'il se rassure, l'ambianceur du stade Bollaert aussi « espère qu'on ne l'utilisera pas trop cette technique dans la saison, ça voudra dire que le public est de retour au stade. » Aux dernières nouvelles, la ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, poussait pour un retour du public avec une jauge à 25% à partir du 15 décembre mais rien n'a encore été tranché à l'Elysée.