Chambrage, insultes… Mais que se dit-il vraiment sur un terrain de foot ?
FOOTBALL•Niveau insultes, « la mère, c’est l’outil de déstabilisation numéro un », raconte un joueurNicolas Camus, avec C.C., J.Lau., W.P. et D.P.
L'essentiel
- La commission de discipline de la LFP doit se prononcer mercredi dans l’affaire Neymar-Alvaro.
- Le Brésilien accuse l’Espagnol de lui avoir proféré des insultes racistes à plusieurs reprises lors du dernier PSG-OM.
- L’occasion de se demander ce qu’il se dit vraiment entre quatre yeux sur un terrain de football.
Deux joueurs qui se parlent mal, une caisse de résonance importante, et voilà que certains semblent découvrir que les joueurs ne s’échangent pas que des amabilités sur un terrain de foot. Oui, les insultes ont volé lors du dernier PSG-OM. Il appartiendra à la commission de discipline de la LFP, mercredi, de déterminer si Alvaro a dépassé les bornes en arrosant Neymar d’injures racistes. En attendant, c’est peut-être l’occasion de se demander ce qu’il se dit vraiment entre quatre yeux sur la pelouse.
Les insultes entre joueurs sont vieilles comme le foot. On ne dit pas que c’est une bonne chose. Juste que c’est comme ça. Mais comment perçoit-on tout ça de l’intérieur ? Et qu’est-ce qu’ils se racontent, au juste, les joueurs ? « Oh, beaucoup de choses !, lâche d’emblée José Saez quand on le branche sur le sujet. La majorité du temps, c’est du chambrage. Il y a des insultes, aussi… ça parle sur les mères, les pères, les sœurs. »
L’ancien capitaine de Valenciennes était plutôt du genre à mettre des tampons qu’à l’ouvrir, mais ça lui est arrivé. Comme tout le monde. « Un terrain, c’est une vraie cour de récré », résume un ancien arbitre. Et pas celle de l’école maternelle. Plutôt celle du lycée, où l’on s’insulte comme on se dit bonjour.
En fait, toute l’histoire est là. Si l’on observe de l’extérieur, on ne comprend rien, on trouve ça choquant. Quand on est dedans, on n’y fait même plus attention. « On le pense pas vraiment. Avec Florent Balmont [l’ancien milieu du Losc] on s’en est mis plein et on est très potes », illustre José Saez.
« Une culture qui tolère l’insulte »
« Le foot est un milieu extrêmement chambreur », pose l’ancien Nantais Charles Deniveau. Et l’insulte va souvent de pair. Elle est ancrée très profondément. « On peut toujours dire que ce n’est pas normal, que dans une civilisation avancée on n’a pas à se comporter comme ça. Mais eux ont une culture qui tolère l’insulte », note Tony Chapron, grand fan du sociologue Norbert Elias. L’ancien sifflet, qui en a entendu des sacrées au cours de ses quelque 450 matchs dirigés en pro, a lui-même été critiqué pour avoir usé du même langage envers les joueurs.
« Il faut se mettre au même niveau, défend-il. Au début, on essaye d’être poli, de faire attention, mais on se rend vite compte que c’est inaudible. Il m’est arrivé d’être virulent, c’est vrai, mais jamais insultant. Dès que c’est un arbitre qui dit « fermez-la », ça devient inacceptable. Alors que pendant ce temps-là les mecs se traitent de fils de pute. »
Joey Barton et ses « problèmes psychologiques »
Pas très fin, mais un grand classique du genre. « Niveau insultes, il y a celles sur la mère pour tout le monde. La mère, c’est l’outil de déstabilisation numéro un sur un terrain », raconte Hérita Ilunga, défenseur passé par Sainté, Toulouse ou Rennes. Parce que les gros mots servent avant tout à ça. Perturber, désarmer. « C’est assez courant, pour saper la confiance de l’adversaire ou le faire sortir du match », ajoute l’ancien Lensois Franck Queudrue.
Le latéral a joué pendant neuf ans en Angleterre. Il se souvient très bien du maître en la matière, un certain Joey Barton. « C’est le pire que j’ai rencontré dans ma carrière. Lui, clairement, il avait des problèmes psychologiques. Il n’arrêtait jamais. » Tous les membres de la famille y passent, les manières les moins élégantes de vous rappeler que vous êtes un petit Français aussi.
Sur ce point au moins, le foot n’a que très peu évolué avec le temps. Même si certains mots, et c’est heureux, bénéficient des (petites) avancées sociétales. « L’ambiance n’est pas plus délétère qu’avant, mais ce qui a changé, c’est la portée que l’on donne à certaines insultes », glisse un membre du staff médical des Girondins de Bordeaux, dans le circuit depuis 20 ans. Ce dernier fait référence au terme « enculé », qui a fait l’objet d’un vif débat en début de saison dernière.
« Le foot est le reflet de la société. L’agressivité est présente partout et les réseaux sociaux y participent », analyse Christian Gourcuff. Le coach nantais n’est pas un grand fan de la tournure prise par le milieu. « Ce qui est regrettable c’est que les responsables – médias, clubs – en jouent. Ils font monter la sauce. Il ne faut pas s’étonner après qu’il y ait des pétages de plomb. »
Le petit jeu des questions à la con
Mais il n’y a pas que la vulgarité sur un terrain de foot. Une autre méthode, qui ne nécessite pas forcément d’aller chercher dans les caniveaux de sa langue maternelle, a fait ses preuves. Un truc un peu pervers, à la limite du harcèlement moral. « Si t’as lu deux-trois dossiers dans la presse sur le mec que tu vas avoir en face de toi avant le match, t’appuies là ou ça fait mal pendant les 90 minutes, expose Ilunga. Ça fait partie du jeu. »
Il y a aussi le coup des questions à la con, totalement hors sujet, qui vous bouffent à petit feu. La meilleure anecdote à ce sujet a été racontée l’année dernière par Radamel Falcao au magazine These Football Times à propos d’un match entre la Colombie et l’Uruguay, disputé en 2013 :
« Je n’ai jamais pu me concentrer, à cause de José Maria Giménez. Pendant tout le match, il m’a posé des questions. D’abord, il m’a demandé quelle voiture j’avais. Puis il m’a demandé pourquoi les drapeaux de l’Equateur, de la Colombie et du Venezuela avaient les mêmes couleurs. Ensuite, il est venu vers moi et m’a dit que c’était ses débuts, qu’il était très heureux et qu’il se ferait tatouer la date de ce match. Du coup, il m’a demandé si septembre était orthographié avec ou sans 'p'. Au final, j’ai raté une occasion parce que je n’ai pas sauté sur un centre. Il m’avait rendu fou ! »
On imagine très bien la chose. Un peu comme dans ce court-métrage de Richard Gale où un homme fait vivre un enfer à un autre gars, simplement armé d’une petite cuillère. Un peu dans le même genre, il y a l’adversaire qui veut vous manger le cerveau à un moment crucial du match.
Lors d’un Reims-Strasbourg crucial pour la montée en Ligue 1 il y a quelques années, Felipe Saad ne s’était pas privé pour embêter un petit jeune qui s’apprêtait à tirer un penalty à 1-1 dans les dernières minutes. « Je lui ai défait ses lacets sans que personne ne le voie. Après, je suis allé lui parler, de manière très détachée, retrace ce dernier. Je lui disais « mais non, gros, tu viens de rentrer, tu peux pas tirer ce penalty. T’es sûr que tu veux faire ça ? Parce que c’est sûr que tu vas rater ». Notre gardien en a rajouté une couche, et finalement le mec a tiré sur la barre. »
Ilunga, qui a fait une belle parenthèse de quatre ans en Angleterre dans sa carrière, garde en mémoire un duel face à Marc Albrighton alors qu’il jouait à West Ham : « J’arrivais pas à défendre face lui, je prenais l’eau. A un moment, tu n’as plus que les insultes et les pressions pour toi, donc t’essaies. Là ça avait réussi, mais en vrai, si le mec est solide dans sa tête, il sait qu’il a gagné parce que ça veut dire que je n’avais plus d’autre recours. »
Autre parole très répandue sur les terrains, la menace. « L’attaquant qui te met un petit pont, tu lui dis « refait pas ça ou je te découpe », décrit Queudrue. Mais c’est une fausse menace, bien sûr. Parce que qu’est-ce que tu vas faire s’il t’en remet un ? Tu vas le sécher et prendre un carton rouge ? C’est lui qui aura gagné donc ça ne sert à rien. »
Du racisme entre joueurs ?
En la matière, Thiago Motta a laissé une belle empreinte en Ligue 1. « C’était de l’intimidation, se souvient Saez. Il te disait « on va te casser les jambes », des trucs comme ça. En italien. Moi je comprenais, je suis espagnol (rires). Evidemment, il ne le pensait pas. C’est le foot, il y a de l’enjeu, ça parle, c’est chaud quoi. Des fois plus que d’autres. »
Et parfois, ça dépasse les limites. Si les incidents racistes ne sont malheureusement pas si rares avec les spectateurs dans les tribunes, ils le sont beaucoup plus entre joueurs. « Je n’ai jamais subi d’insultes racistes », assure Sidney Govou. « Je suis à mille lieues d’imaginer qu’il y ait ça entre nous, poursuit Ilunga. Parce que le football, c’est le mélange, le melting-pot depuis qu’on est gamins. Il n’y a qu’à voir la représentativité des origines dès le plus jeune âge. »
« On peut pas non plus dire qu’il n’y a pas de racisme »
Mais ils existent. Tony Chapron se rappelle avoir expulsé un joueur « qui avait traité un adversaire de sale nègre » à ses débuts, en CFA2, il y a 25 ans. « On ne peut pas non plus dire qu’il y a pas de racisme, pose Yohan Tavares, un Franco-Portugais qui a beaucoup bourlingué (France, Chypre, Thaïlande, Italie, Belgique, aujourd’hui Portugal). J’ai des souvenirs de matchs où les gens de couleurs, pas seulement noirs mais aussi asiatiques, arabes, indiens, etc., en ont été victimes. Ce qui est frappant, c’est que quand il s’agit de déstabilisation psychologique, ça va se jouer systématiquement sur le racisme quand la personne visée n’est pas blanche. A l’inverse, quand un joueur blanc se fait pourrir, on va avant tout insulter sa mère. »
Ces comportements sont certainement plus marqués dans certains pays que d’autres. Un élément à prendre en compte, lorsque l’on parle des insultes, est l’origine du joueur ou la culture du pays où cela se passe. « Que ce soit en Grèce ou en jouant contre des Sud-Américains, j’ai vu à quel point les éléments de langage n’étaient pas appropriés si on les traduisait en français, assure Govou. Les Sud-Américains ont les « hijo de puta » et « concha de tu madre » très facile, j’en ai entendus à tout va. Selon les cultures, tout cela a des portées différentes. Je ne suis pas sûr que les mecs aient vraiment conscience des insultes qu’ils balancent. »
Savoir où s’arrêter
Une remarque faite par presque tous les joueurs avec qui l’on a discuté. Balancer « fuck you » passera inaperçu en Premier League. Moins en Ligue 1. « J’ai expulsé Balotelli pour ça, dit Chapron. On me l’a reproché. Il faut s’adapter au contexte culturel local, c’est parfois difficile. Après, on dit que les arbitres ne sont pas là pour jouer les pères la morale, mais quand on entend, on doit sanctionner. Il faut juste trouver le bon équilibre. Chacun met la limite là où il veut. »
Aujourd’hui, les joueurs ont pris l’habitude de faire leurs petites affaires loin de l’arbitre, avec la main qui cache la bouche, au cas où. Malgré les dizaines de caméras et ce que peuvent nous raconter les acteurs, on ne saura jamais vraiment tout de ce qu’il se dit. « Sur le terrain, on est au travail. Et au travail, des fois il ne faut pas être gentil », glisse José Saez. Ça fonctionne, mais seulement quand on sait où s’arrêter.