Ligue 1: Les femmes au sifflet, et si c'était la solution idéale pour apaiser les tensions entre les arbitres et les joueurs?
FOOTBALL•Dimanche, Stéphanie Frappart va devenir la première femme à arbitrer un match de Ligue 1Aymeric Le Gall
L'essentiel
- Stéphanie Frappart a été désignée pour être l’arbitre centrale du match de L1 entre Amiens et Strasbourg dimanche après-midi.
- Ce sera la première fois de l’histoire du championnat de France qu’une femme sera au sifflet dans le rôle d’arbitre de champ.
- A cette occasion, on s’est posé la question des relations entre les joueurs et les arbitres féminines.
Si vous n’avez rien de bien foufou de prévu dimanche après-midi, on ne peut que vous conseiller de digérer le poulet-pommes de terre de grand-mère, bien calé dans le canapé à regarder Amiens-Strasbourg à la télé. Non, non, ce n’est pas une blague. Bon, ce n’est pas tant pour la beauté du stade de la Licorne ni pour la qualité des contrôles de balle des joueurs mais bien parce que ce match va entrer dans l’histoire du championnat de France. Ce sera en effet la première fois de l’histoire qu’une rencontre de première division sera dirigée par une femme.
Elle, c’est Stéphanie Frappart. Habituée à officier à l’étage inférieur depuis 2014, cette arbitre de 35 ans – qui compte 14 matchs de Ligue 2 à son tableau de chasse cette saison – connaît bien la chanson. Pour elle, rien ne va changer fondamentalement, même si les projecteurs vont être braqués sur elle plus que d’habitude. Pour nous en revanche, cette nomination sent bon la nouveauté et nous invite à s’interroger sur la relation entre la femme en noir et les hommes en short.
Une entente plus que cordiale
Pionnière à l’époque, Séverine Zinck se souvient bien de son premier match de National (3e division) entre Rodez et Créteil en 2010.
« « J’avais ressenti beaucoup de pression, il y avait pas mal de journalistes autour de ce match, admet-elle. Ça fait partie du jeu, on a l’habitude en tant que femme arbitre d’être un peu au centre de l’attention. Quand on arrive au stade il y a des regards, de la curiosité. Avant le match c’est de la surprise, et après c’est souvent des félicitations. Une fois que les joueurs voient qu’on fait le boulot, qu’on voit les fautes, qu’on lit bien le jeu, un certain respect s’instaure. » »
Soyons honnêtes, le foot n’est quand même pas non plus réputé pour être un paradis égalitaire entre les hommes et les femmes et certaines réactions entendues par cette arbitre alsacienne auraient fait se retourner Simone Veil dans sa tombe. « Il m’est arrivé d’entendre des phrases du genre "tiens, on n’aurait pas pensé qu’une femme puisse arbitrer comme un homme !" ou "De mon temps les femmes n’arbitraient pas". » Mais globalement, les choses se passent plutôt très bien.
Séverine Zinck nous confie d’ailleurs qu’elle a trouvé « plus facile d’arbitrer les hommes que les femmes. Le relationnel avec les femmes est plus difficile à gérer. Il y a une certaine retenue de la part des joueurs, ils osent moins s’énerver et contester, il n’y a pas ce rapport de force, cette confrontation qu’il peut y avoir entre un arbitre et un joueur. De mémoire je n’ai jamais vécu le moindre match compliqué et je pense même qu’être une femme m’a aidé. D’ailleurs les gens qui m’accompagnaient et m’observaient pour faire leur rapport ne disaient pas autre chose : le comportement des joueurs est différent avec une femme. »
A 26 ans, Romy Fournier arbitre régulièrement des garçons au niveau de la Régionale 1 (l’équivalent de feu la Division d’Honneur) et valide à 100 % les propos de sa consœur : « Avec le temps les joueurs s’y sont faits. Ils savent que si une arbitre est désignée c’est qu’elle a les capacités, c’est qu’elle peut tenir son match. Dans le relationnel, ça se passe vraiment super bien. Il y a une sorte de bienveillance mutuelle qui s’instaure. Moi aussi je préfère arbitrer les hommes. » Et visiblement, à les écouter, la réciproque est vraie.
Moins de testo, plus de psycho
On aurait bien aimé avoir l’avis d’un joueur mais toutes nos demandes ont fait chou blanc. Alors on tente notre propre explication : en débarquant dans un milieu historiquement masculin, les femmes arbitres vont avoir tendance à la jouer diplomate, bien loin de l’image de cow-boys que se traînent certains de leurs confrères de Ligue 1 ou Ligue 2.
« Les joueurs peuvent avoir des a priori par rapport aux arbitres masculins, acquiesce Romy Fournier. Ils se disent qu’ils ont un côté hautain, qu’ils vont le leur faire à l’envers et je pense que c’est différent quand c’est une femme qui les arbitre. Quand une arbitre arrive, elle n’a pas cette image autoritaire que peuvent avoir, à tort ou a raison, les arbitres masculins vis-à-vis des pros. »
« Cela va au-delà du simple rapport joueur-arbitre, détaille pour sa part Julie Bonaventure, arbitre internationale de handball et qui officie très souvent auprès des hommes. On est dans un relationnel homme-femme qui est peut-être plus apaisé qu’entre deux personnes de même sexe. » « Il n’y a pas ce côté con que peuvent avoir deux mecs qui s’opposent », conclut Régis Brouard, l’entraîneur des Chamois Niortais qui a vu Stéphanie Frappart faire ses grands débuts en tant qu’arbitre centrale d’un match de Ligue 2.
Lui aussi met en avant ce côté pédagogue des arbitres féminines. « Il y avait chez Stéphanie Frappart moins d’agressivité dans la gestuelle et dans le dialogue que chez les arbitres masculins. C’est paradoxal, mais son autorité et le respect qu’elle impose, elle les a gagnés au travers de sa discrétion, de son calme et de son approche psychologique des situations. C’est une approche très féminine de la chose et ça passe super bien. Quand un joueur ou un coach râlait, elle gérait ça de manière très pédagogique, elle coupe court à toute polémique. Et puis c’est aussi une histoire de langage corporel, une expression du visage : quand elle vous parle, il n’y a pas d’agressivité or, quand on a en face de soi quelqu’un de posé, de réfléchi, on a aucune raison de mal lui parler. »
Visiblement, tout le monde à l’air d’accord pour dire que le tandem joueurs-arbitre féminine fonctionne à merveille et évite le pourrissement d’une rencontre. Dans un contexte marqué par de nombreuses polémiques entre les juges et les joueurs, pourquoi ne pas réfléchir à généraliser le concept ? « Je crois que ça va se développer à l’avenir et je suis favorable à ça, confie Régis Brouard. On a eu à Clermont une femme qui a entraîné des hommes et ça s’est très bien passé, c’est donc dans la logique des choses. Maintenant, je pense que tout va dépendre de ce qui se passe avec Mme Frappart. Elle va être la garante de tout ça. Si ça se passe bien, il n’y a pas de raison que ça ne se développe pas. »