Equipe de France: Pour mieux repartir au combat, Didier Deschamps doit-il tourner la page du Mondial 2018?
FOOTBALL•L'équipe de France retrouve la compétition officielle avec le début des qualif à l'Euro 2020Aymeric Le Gall
L'essentiel
- L’équipe de France championne du monde affronte la Moldavie (vendredi) et l’Islande (lundi) dans le cadre des éliminatoires à l’Euro 2020.
- Alors que les Bleus ont remporté le graal en Russie l’été dernier, Didier Deschamps va devoir trouver les mots pour remobiliser ses joueurs et repartir au combat.
- Pour cela, la question de l’héritage du Mondial 2018 et des recettes qui ont fonctionné à l’époque se pose.
«Un Mars et ça repart », qu’ils disaient. Tu parles, si la vie était aussi simple qu’un slogan publicitaire, Didier Deschamps n’aurait qu’à se payer des cagettes de barres chocolatées pour remobiliser ses troupes et repartir au charbon après un titre de champion du monde souvent synonyme de relâchement mental. Sauf qu’ici c’est la vraie vie et que les choses sont un chouïa plus compliquées.
Passées les festivités post-Russie, l’équipe de France entame vendredi le premier jour du reste de sa vie, avec deux matchs de qualif’contre la Moldavie et l’Islande et, en ligne de mire, un ticket pour l’Euro 2020. La principale tâche de Didier Deschamps, au-delà de la victoire, va être de trouver les ressorts pour remotiver ses joueurs et d’essayer aussi de se délester un tant soit peu de l’héritage victorieux de 2018.
Car si c’est peut-être dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, on se souviendra aussi que c’est en se basant sur ce qui a fait leur succès au Mondial que les Bleus se sont fait éliminer sans gloire de la Ligue des Nations par les Pays-Bas dès les phases de poule.
Retrouver la faim de victoires
Présent en conférence de presse jeudi à Clairefontaine, Paul Pogba ne s’est pas caché. « C’est vrai qu’après avoir gagné un Mondial, c’est difficile de se remettre de ses émotions, de la fatigue, du stress, et ce n’est pas toujours évident de revenir avec des objectifs dans la tête », a-t-il admis. La Pioche ne semble pourtant pas plus inquiet que ça car il sait que derrière, le caporal Deschamps est là pour réveiller les appétits : « Vous connaissez le coach, il est très direct, très droit et il veut toujours gagner. Donc là, pour ces matchs qui arrivent, il veut toujours une concentration maximale et la victoire à l’arrivée. »
Mais si on ne cesse de répéter que l’après-victoire est dure à gérer pour les joueurs, on se pose moins la question pour le sélectionneur et son staff. Or eux aussi ont un petit cœur qui bat sous leur veste de jogging bleu-blan-rouge. « La remise en cause, avant de la demander aux joueurs, si je ne la fais pas sur moi… », glissait justement le sélectionneur à nos confrères de L’Equipe. Pour comprendre ce qu’il se passe dans la tête d’un coach et dans celle de son staff après un tel succès, adressons-nous directement à Dieu, alias « la France qui gagne (presque) tout le temps », alias l’équipe de France de hand.
Pour Sylvain Nouet, l’adjoint de Claude Onesta de 2001 à 2014, 8 titres de champions au compteur, le problème ne se situe pas tant dans le désir de repartir au combat que dans l’attente qui sépare deux évènements d’envergure. « Pour moi, la très grosse problématique au niveau des staffs des sélections nationales, c’est que lorsqu’on sort d’une grande épreuve, tout s’arrête, raconte-t-il. Le joueur, une fois qu’il a fêté son titre, une semaine après il est de retour dans son club avec les nouveaux objectifs. Le sélectionneur, lui, il connaît un grand, grand, grand vide à tous les niveaux, notamment psychologique, dès qu’une compétition se termine. » L’actuel responsable de la performance au CREPS de Poitiers se souvient.
« « Moi quand je rentrais d’un titre, j’entrais en dépression entre guillemets parce que pendant la compétition vous vivez en vase clos pendant un certain temps, vous travaillez 18 heures sur 24 et tout d’un coup plus rien, tout s’arrête du jour au lendemain, vous vous retrouvez complètement seul. Derrière ça demande un peu de temps pour se reprojeter, se remobiliser vers un nouvel objectif. » »
Sur ce point, DD s’est montré tout de suite rassurant et il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre qu’il avait encore les crocs. Lâcher les Bleus sur une victoire au Mondial ? « Je ne me suis même pas posé la question ! J’ai la même envie, la même conviction, a-t-il prévenu. Je suis passionné, je me sens bien, j’ai toujours la même détermination. Je suis surtout convaincu qu’il y a encore de belles choses à réaliser. »
On reprend les mêmes et on recommence ?
Si le patron est à nouveau motivé, là où on est un peu plus inquiet en revanche, c’est dans la manière dont les choses ont l’air de repartir. La liste des Deschamps (avec 17 champions du monde sur 23) ne laisse que peu de place à la nouveauté et son discours ne transpire pas non plus la volonté de régénérer le jeu de l’équipe. Morceaux choisis dans l’interview qu’il a donnée à L’Equipe de vendredi :
>> Allez-vous faire des expérimentations, changer de système ? « Non, non, je ne suis pas là pour expérimenter, tenter. Il y aura, comme à chaque fois, une évolution, mais il faut qu’on garde ce qui a fait notre force : l’état d’esprit, la détermination, la force collective. »
>> Blaise Matuidi va-t-il continuer à dépanner en milieu gauche ? « C’est une option, oui. »
>> Olivier Giroud, qui a encore moins de temps de jeu à Chelsea qu’à Arsenal, est toujours là ? « Il joue avec son club, peut être moins, mais il marque en Ligue Europa entre autres. Il lui est déjà arrivé de composer avec un temps de jeu réduit auparavant. Là, il a diminué encore un peu plus mais il reste performant et garde le rythme. »
Loin de nous l’idée de critiquer notre raïs à nous, mais il n’est pas dingue de penser que ce qui a ponctuellement marché en Russie ne fonctionnera peut-être pas à l’Euro 2020. C’était aussi le leitmotiv de Sylvain Nouet et du staff tricolore une fois passé une victoire en compét’. « Notre moteur a toujours été de se dire que ce qui t’a permis de gagner aujourd’hui ne te permettra pas de gagner demain. Parce que tes adversaires vont obligatoirement apporter de nouvelles réponses pour te battre et qu’il faut sans cesse se remettre en question, renouveler ses idées. » Comment ? En étant « en constante recherche d’évolution, de renouvellement. On avait par exemple mis en place une cellule de veille entre chaque compétition qui nous permettait d’analyser les évolutions de nos adversaires pour voir ce vers quoi ils voulaient tendre et d’anticiper. »
Le risque, si l’on part sur le pire scénario possible, c’est de faire une « Allemagne 2018 ». « Les Allemands ont eu cette même réflexion sur la nécessité de se réinventer, de tourner la page de la victoire finale au Brésil en 2014, mais bien trop tard, explique Jean-Charles Sabattier, docteur ès Bundesliga sur beIN Sports. Ça a commencé après l’élimination à l’Euro 2016 et aujourd’hui c’est un débat qui est devenu hyper prégnant depuis la catastrophe du Mondial russe. Le jeu qu’il voulait proposer en Russie, cette espèce de tiki-taka à l’allemande, n’était absolument plus adapté et les adversaires savaient à quoi s’attendre et comment y répondre. C’est pour cette raison-là qu’il est intéressant d’avoir ce débat en France. La gifle a été tellement monstrueuse pour l’Allemagne que ce n’est pas plus mal de s’y prendre à l’avance. »
Le sélectionneur français, qui a un profond respect pour Joachim Löw et le cite souvent en exemple, ne devrait pas manquer de se servir des récents déboires de son ami avec la Mannschaft pour éviter ces écueils. Après tout, c’est lui qui déclarait vendredi que « c’est dans le succès qu’on peut faire les plus grosses conneries ».