Monaco: Ego, hyper exigence, manque de tact... Pour devenir entraîneur, Thierry Henry va d'abord devoir «tuer le joueur»
FOOTBALL•Pour Thierry Henry, la route est encore longue avant d'entrer parfaitement dans le costard d'entraîneur...Aymeric Le Gall
L'essentiel
- Trois mois après son arrivée sur le banc de l'AS Monaco, Thierry Henry a déjà été remercié par les dirigeants.
- Pour beaucoup de spécialistes, Thierry Henry va devoir mettre sa carrière de footballeur derrière lui pour réussir en tant que coach.
Oh le mauvais karma…. Dégoûté par les deux nouvelles défaites de son équipe contre Strasbourg en Ligue 1 (1-5) et face à Metz en Coupe de France (1-3), Thierry Henry avait promis de « faire le tri » parmi les joueurs afin d’avoir autour de lui « des mecs qui ne pensent pas qu’à leur gueule ». Quand on lui a demandé qui était visé, Henry en a rajouté une belle couche : « Vous verrez, il y a trop de noms. » A l’arrivée, il n’y a qu’une seule personne qui a pris la porte. Manque de bol, c’est lui.
Trois mois seulement après son arrivée en fanfare sur le banc monégasque malgré la crise que traversait l’ASM, le club où tout a commencé pour lui, Thierry Henry a été prié de lâcher la barre d’un navire qui n’a rien à envier au naufrage du Titanic. Avec un triste bilan de quatre victoires, cinq nuls et onze défaites, cap’tain Titi a manqué son premier examen de passage dans son nouveau costard de coach et il va désormais pouvoir prendre le temps d’analyser tout cela à tête reposée.
Trop dur pour une première sur un banc
Son éviction a pourtant surpris pas mal de monde, à commencer par Rolland Courbis : « C’est surprenant. Je pensais que les dirigeants lui accorderaient leur confiance au moins pour les deux prochains matchs, qui sont très importants, avec une rencontre face à Dijon, un concurrent au maintien, et la demi-finale de Coupe de la Ligue contre Guingamp. »
Au fond, est-ce vraiment si surprenant que ça ? A son arrivée, l’ancienne gloire des Gunners, qui affichait de belles ambitions sur le plan du jeu, n’a jamais réussi à créer le fameux choc psychologique qui accompagne souvent celui qu’on appelle pour jouer les sauveurs. L’équipe n’a guère mieux roulé que sous Leonardo Jardim et Henry n’est pas parvenu à faire de ce Monaco un bloc solide, ce qui est le minimum syndical avec une équipe qui joue le maintien.
Car Monaco joue bel et bien le maintien et les dirigeants semblent cette fois-ci l’avoir pigé. D’où cette décision qui peut paraître brutale mais qui n’est au fond pas si étonnante que ça. « Il découvrait le métier dans une situation de crise, c’est forcément plus compliqué que d’être consultant pour la Sky ou adjoint en sélection belge, rappelle Courbis. Il a peut-être été trop vite à prendre ce type de responsabilité. En trois mois, c’est impossible de connaître les rouages du métier d’entraîneur et je pense qu’on lui en a trop demandé. »
Claude Leroy plaide également pour l’erreur de casting. « L’erreur c’est tout simplement de lui avoir proposé le job », dit-il en pointant du doigt les décideurs du Rocher. « Enfiler l’uniforme du pompier aux toutes premières heures de sa carrière d’entraîneur, c’est pas simple du tout. C’est déjà pas simple pour un coach expérimenté, alors imaginez ce que c’est pour un débutant ! », poursuit le consultant pour RMC.
Un caractère peu adapté au métier de coach
Les raisons de son échec sont nombreuses et toutes ne lui sont pas entièrement imputables (des erreurs dans la politique sportive du club, une infirmerie plus blindée que le RER A à l'heure de pointe, un groupe qui a perdu toute confiance en lui et qui a peur de son ombre), mais cela n’empêche pas Claude Leroy de s’interroger sur la pertinence d’un tel choix de carrière de la part de l’ancien Gunner.
« « Thierry c’est quelqu’un de particulièrement intelligent, de très pointu, qui a une immense culture du foot, mais je ne suis pas sûr qu’il soit fait pour le métier d’entraîneur, dit-il sans tourner autour du pot. Je pense qu’il peut réussir dans plein de métiers dans le monde du foot, mais je crois que pour celui d’entraîneur ça sera difficile. » »
Pour Leroy, cette impression tient surtout au caractère même de Titi, à sa forte personnalité et à l’ego XXL qui a fait de lui le sublime joueur qu’il était. Explications en détail.
« Il a été un immense joueur de ce sport collectif, mais il a toujours été très concerné par lui-même. Or, dans le métier d’entraîneur, il ne faut être préoccupé que par les autres. Ça n’a rien à voir avec sa qualité ni son intelligence, mais pour être coach il faut savoir s’oublier et je ne suis pas sûr que Thierry Henry soit capable de le faire. Quand on voit le retour de Knysna où il descend de l’avion tout seul, il prend une voiture tout seul pour aller à l’Elysée, ce n’est pas un comportement de futur entraîneur. Les joueurs ce qu’ils veulent, c’est un contenu à chaque séance, c’est un discours, des propositions, de la pédagogie. Pour entraîner une équipe au quotidien, avec un groupe aux qualités individuelles très disparates, il faut de la patience, beaucoup d’empathie. Un joueur, il faut toujours le surprendre, mais en s’intéressant à lui pas en s’intéressant à soi. Dans ce métier, très vite, il faut à tout prix oublier qu’on a été joueur. »
C’est bien là tout le problème. A voir ses réactions depuis le banc lors des matchs, pas besoin d’avoir fait une carrière pro pour comprendre que Henry n’a pas encore réussi sa mue. On se souvient de cette phrase lâchée en conférence de presse, certes déguisée en boutade mais qui sentait la sincérité à plein nez : « Je vais peut-être reprendre une licence. » Comprendre : Ils sont bien gentils les pimpinos mais laissez faire l’artiste.
C’est un fait, Thierry Henry a la moitié de l’effectif monégasque dans son orteil droit, mais était-ce bien judicieux de le leur faire remarquer, alors même que le groupe asémiste est plus fébrile qu’une biquette abandonnée dans l’enclos du tyrannosaure ? Probablement pas.
« Tuer le joueur »
« Aujourd’hui il est encore joueur, expliquait Gilles Grimandi, son ancien coéquipier à Monaco et Arsenal, vendredi soir sur Canal +. Sur le banc il a des réactions que je le voyais avoir sur un terrain, or il ne peut plus se comporter comme ça aujourd’hui. Il est dans l’excès, il y a des regards, des réactions qui peuvent mettre en difficulté des joueurs qui sont fragiles. Thierry est dans l’exigence totale parce que c’était un très grand joueur, mais il faut qu’il oublie le joueur. »
Tout est là : pour réussir sa carrière d’entraîneur, Henry va devoir vite « tuer le joueur ». Grimandi pense que cette éviction devrait lui permettre d’accélérer ce processus de réflexion : « Même si c’est violent, ce qui arrive aujourd’hui à Thierry Henry, je pense que c’est peut-être la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Il va comprendre que son image de joueur est terminée. Il faut qu’il devienne entraîneur. »
« Il va traverser une période d’amertume parce qu’il ne s’attendait pas à ça, mais je pense que ça peut aussi lui rendre service, valide Claude Leroy. Très vite il va faire le point sur ce qui a marché et ce qui n’a pas marché et ça peut le faire grandir. »
Pour Rolland Courbis, ce processus pourrait même le mener à passer par la case « reculons ». « Maintenant, tout va dépendre du challenge qu’il relèvera après Monaco. Il y a un dicton qui dit " reculer pour mieux sauter ". Pourquoi ne pas prendre le poste d’adjoint en club pour apprendre les rouages ? Car ça n’a rien à voir avec le fait d’être adjoint en sélection. C’est à lui de voir. Il est suffisamment intelligent et passionné pour faire le bon choix. »