Motion: Refus de la FFF, manque de concertation, précipitation... La Corse n'est pas près d'être admise à la Fifa
FOOTBALL•L'Assemblé de Corse a adopté une motion demandant l'intégration de la Corse à la Fifa...Aymeric Le Gall
L'essentiel
- L’Assemblée de Corse a adopté le 21 septembre une motion demandant l’intégration de la Corse à la Fifa.
- Demande que la Fédération française a immédiatement refusée.
- La motion est loin de faire l’unanimité au sein même de l’Ile de Beauté.
Un Corse-France au stade François Coty à Ajaccio, ça aurait de l’allure, non ? On caricature un poil, mais en substance, cela pourrait être possible si la motion déposée vendredi 21 septembre par l’assemblée de Corse était suivie d’effet. Ce jour-là, les élus de l’Ile de Beauté ont fait une demande d’adhésion de la Corse à la Fédération internationale de football, en s’appuyant sur les exemples de Gibraltar, de la Nouvelle-Calédonie ou de Tahiti, territoites appartenant à l'Angleterre et à la France mais qui « ont un siège à la FIFA et participent par conséquent aux matchs de qualification à la Coupe du monde ».
Dans cette motion proposée par le groupe autonomiste Femu a Corsica (« faisons la Corse »), Romain Colonna explique cette demande par « le caractère très populaire du football » sur l’île ainsi que l’existence de la sélection de Corse, la Squadra Corsa, qui dispute régulièrement des matchs internationaux « depuis plus de cinquante ans ».
Et si Noël Le Graët, le président de la Fédération française, a immédiatement opposé un « non » ferme et définitif à cette demande, précisant dans L’Equipe qu’il n’y avait « même pas à discuter », Romain Colonna espère « que les institutions corses engageront un dialogue plus direct avec la FFF afin de voir quelles sont les issues possibles. Est-ce que la déclaration de son président ferme forcément la porte à tout dialogue ? J’ose espérer que non. Et si c’est le cas je trouve ça problématique. »
Une motion qui ne fait pas l’unanimité
Pour d’autres, comme Didier Rey, docteur en histoire et maître de conférences à l’Université de Corse, la problématique est ailleurs : « Ça me semble être une sorte d’action non réfléchie, une sorte de coup de pub, de jeu avec les symboles. C’est bien beau de déposer une motion à l’Assemblée, mais avant ça il faudrait peut-être réfléchir en amont. Ça nécessite d’abord la mise en place de véritables travaux de réflexions avec les instances impliquées, la ligue corse, le monde du football corse et les instances nationales. » Ont-ils eu lieu ? Pas à notre connaissance. « Et s’il y a une réelle volonté d’intégrer la Fifa, il faudrait d’abord penser à intégrer l’Uefa, ajoute Didier Rey. C'est un préalable nécessaire. C’est ce qu’a fait le Kosovo à l’époque par exemple. »
« C’est quelque chose dont on entend parler de longue date en Corse de manière informelle mais qui n’avait pas forcément trouvé un débouché institutionnel, détaille Romain Colonna. L’Assemblée de Corse nouvellement élue, dont je fais partie depuis janvier 2018, s’est penchée un peu plus précisément sur la question et finalement la question a fait jour lors de la dernière session après les vacances d’été. »
Pointé du doigt pour le manque de dialogue autant que sur le sentiment de précipitation dans la préparation de la motion, l’élu de Femu a Corsica précise : « On a discuté avec les instances dirigeantes de la Squadra Corsa, qui sont parties prenantes de ce processus, il y a une attente qui est réelle. Après je ne peux pas vous dire que les quidams dans la rue m’arrêtent pour dire qu’ils veulent cette reconnaissance. » « Le journal Corse-Matin a lancé en ligne un petit sondage et je crois qu’une majorité s‘est déclarée contre cette motion. Je pense que c’est vraiment quelque chose qui est passé au-dessus de tout le monde, c’est le non-évènement par excellence », lâche sans détour Didier Rey.
Et quid des contacts avec la Ligue de Corse, entité numéro 1 de la pratique du foot sur l’île ? « J’ai plus de contacts avec la Squadra Corsa qu’avec la Ligue », admet Colonna. Contacté dans la foulée, Jean-René Moracchini, le président de la Ligue de Corse, confirme : « Il n’y a aucune réunion, j’ai découvert le dépôt de cette motion un peu comme vous, dans les médias. Ils m’ont appelé après pour me prévenir mais c’est tout. Pour tout dire, j’ai trouvé ça précipité et un peu aventureux. »
« Pas question de sacrifier le football corse pour intégrer la Fifa »
Pour la forme, peut mieux faire, donc. Et pour le fond ? Avant d’évoquer la faisabilité de la chose, Romain Colonna tient à nous préciser que « la dimension symbolique de la motion a créé une sorte d’emballement médiatique, de buzz, et c’est dommage car la motion n’est pas symbolique du tout. L’enjeu essentiel, il est économique. La Fifa offre un certain nombre de programmes de financement pour une remise à niveau des infrastructures, pour la formation. La Guyane, la Guadeloupe et Saint-Martin vont par exemple bénéficier de fonds, on parle de plusieurs centaines de milliers d’euros par an. L’enjeu économique est réel. »
Mais, dans l’éventualité où la Corse entrait à la Fifa pour toucher ces fonds, qu’est-ce qui empêcherait derrière les autres départements d’en faire autant ? « C’est l’argument que j’entends beaucoup en ce moment " oui mais si on donne ça aujourd’hui à la Corse il faudra le donner demain à la Bretagne, à l’Alsace, etc ", mais ça, à la limite ça, ne me regarde pas », balaie Colonna.
Ça regarde la FFF en revanche, qui préfère laisser la boîte de Pandore à la mythologie grecque. « C’est clair, la Fédération ne prendra pas une décision positive tant que l’Etat ne considérera pas que les départements ont une certaine autonomie, tranche Le Graët toujours dans L'Equipe. Notre position correspond au droit, tout simplement. La Corse est un département français. »
Pour Romain Colonna, ce n’est pas aussi clair que cela : « L’Assemblée de Corse demande simplement à son exécutif de prendre attache auprès de la FFF pour discuter d’une éventuelle adhésion, afin qu’on nous explique ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Le tout quitte à ce qu’on nous dise non in fine, mais au moins qu’on explique pourquoi c’est non. Là ce n’est pas le cas. Pourquoi ce qui est possible ailleurs, dans des territoires français en Guyane, en Guadeloupe ou en Martinique ne le serait pas en Corse ? »
La réponse est simple pour Jean-René Moracchini.
« « Quand on me parle de la Guadeloupe, de la Martinique, moi je veux bien, c’est vrai qu’ils participent à la Concacaf, mais pourquoi la Fédé les y autorise ? Parce que ces territoires-là ne participent pas aux championnats français, parce que c’est impossible. C’est une sorte de contrepartie. Nous, nous participons aux championnats nationaux. Alors, est-ce qu’il faut sortir de la fédération pour intégrer la Fifa, je n’en sais rien. Mais si demain on doit sortir de la Fédération, il faudra se limiter à notre championnat régional, et vous voyez un peu le niveau qu’on aura ensuite… Ça devient compliqué. » »
Posée ainsi, l’équation devient tout de suite plus simple à résoudre.
« La Ligue de Corse a toujours soutenu la Squadra Corsa, nous avons été partenaires, et c’est vrai que comme nous avons une forte identité, intégrer la Fifa est un rêve, précise cependant Moracchini. Mais il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui nous sommes quand même affiliés à la Fédération française et je n’ai pas oublié tout l’apport de la FFF à la Ligue de Corse. Nous sommes une ligue à part entière et à ce titre nous bénéficions de tous les avantages de la fédération, pour nos jeunes, pour nos équipes, pour les déplacements. Donc si on peut intégrer la Fifa sans sortir de la Fédération, pourquoi pas, mais aujourd’hui la position de la FFF est claire : une région ne peut pas intégrer la Fifa. C’est pour ça que j’aurais souhaité une réflexion beaucoup plus approfondie afin qu’on mette tout sur la table. Parce que pour moi, aujourd’hui, il n’est pas question de sacrifier le football corse pour intégrer la Fifa. » Fin du débat ? Au moins pour le moment a priori.