OM-Leipzig: Le Vélodrome va-t-il faire siffler les tympans de Timo Werner? On en a parlé avec un ORL et un acousticien
FOOTBALL•L'attaquant vedette du RB Leipzig est sensible au bruit, il avait été pris de douleurs lors du déplacement à Besiktas...Jean Saint-Marc
L'essentiel
- Submergé par les sifflets, le jeune attaquant du RB Leipzig avait demandé à être remplacé, lors du match de poules de Ligue des champions sur la pelouse de Besiktas...
- En quart de finale retour de Ligue Europa, un Vélodrome blindé peut-il faire souffrir ses fragiles tympans ? Gêné par une douleur à la cuisse, le jeune attaquant est apte, a indiqué son entraîneur.
Un footballeur qui se roule en boule sur la pelouse. Qui pleure en se tenant le genou. Qui fait une colère en tapant du poing par terre. Ces trois scènes n’étonnent plus personne. C’est plus rare, en revanche, de voir un joueur porter ses mains à ses oreilles. Errer entre deux défenseurs, sur la pelouse de la Vodafone Arena. Septembre 2017, phase de poule de Ligue des Champions. L’attaquant de Leipzig Timo Werner semble hors-jeu, et, surtout, complètement déboussolé. Quelques secondes plus tard, il demandera à son coach de le remplacer, après seulement trente-deux minutes de jeu. Les bouchons d’oreille qu’il a demandés en urgence n’y changeront rien : le bruit des supporters de Besiktas le rend tout simplement malade.
Depuis le tirage au sort des quarts de finale de Ligue Europa, certains supporters de l’OM (les plus actifs sur Twitter, quoi) regardent en boucle cette courte vidéo, et moquent la supposée fragilité de l’attaquant, seul buteur du match aller, remporté 1-0 par Leipzig. Surtout depuis qu’on sait que le record d’affluence pour un match européen sera battu (60.300 billets vendus, au dernier comptage). Même La Provence chambrait, ce mercredi matin : « Faites du bruit pour Timo Werner ! »
140 décibels ? « Mais c’est de la folie ! On est au-delà de l’acceptable ! »
Tacle à la gorge, tacle aux oreilles. Blague un peu méchante et un peu gratuite, selon l’ORL Didier Bouccara, que 20 Minutes a consulté. Et qui rappelle que les troubles de l’audition n’ont rien d’amusant :
« « Le bruit peut créer un véritable stress physique. Il ne faut pas oublier que c’est un agent toxique pour l’organisme ! Un sujet intolérant au bruit peut ressentir une gêne, et même une douleur aux oreilles, une vraie sensation de mal-être. » »
Impossible de savoir combien de décibels produisaient ce soir-là les supporters de Besiktas. Mais en 2013, ils ont atteint un record de 141 décibels dans leur ancien stade. On soumet le chiffre au docteur Didier Bouccara, et il nous coupe : « Mais c’est de la folie ! C’est bien au-delà des niveaux acceptables pour l’oreille humaine. Surtout les sons stridents, quand les gens sifflent : la zone de l’oreille interne qui code les aigus est la plus sensible, la plus fragile. »
Impossible aussi de déterminer précisément le bruit produit par les virages marseillais quand ils sont blindés : le gestionnaire du Vélodrome, Arema n’a pas répondu à nos sollicitations. On a demandé une estimation au doigt mouillé à Pascal Nouma, ancienne gloire de Besiktas, formé au PSG et brièvement passé par l’OM. Vous le voyez venir ? « J’ai toujours aimé l’ambiance à Marseille, mais ce n’est pas comparable ! Tu peux faire ce que tu veux, mettre un toit, 25.000 supporters de Besiktas feront toujours plus de bruit que 70.000 Marseillais ! »
On continue nos recherches et on tombe sur cette vidéo dégueulasse sur Youtube, vidéo d’une animation d’avant match légèrement cheap au Vélodrome, avant le Classico 2016. Un sonomètre a apparemment été placé dans le stade, et il mesure 96,9 décibels. Sachant qu’une bonne partie des virages ne participe pas à ce jeu un peu idiot. On en déduit donc que ça doit faire beaucoup plus de boucan quand c’est le stade entier qui siffle un arbitre ou un Mathieu Valbuena.
Tout a été calculé pour améliorer l’acoustique au Vélodrome
Ouf : on n’est pas si nuls que ça en sciences. L’ingénieur acousticien Pierre Ossakowsky, responsable de l’agence Méditerranée du LASA, confirme nos modestes déductions. Son bureau d’études a participé aux études acoustiques du stade Vélodrome et de ses abords. « Quand on fait des mesures dans des stades, on atteint très facilement les 90 décibels. Et on peut facilement prendre 30 décibels sur un but ou sur une action, il y a des variations énormes. » 90+30, on n’est pas loin du compte. Surtout que tout a été calculé, au moment de la rénovation du Vélodrome, pour améliorer son acoustique. Pierre Ossakowsky :
« « Déjà, le toit a tendance à renvoyer le son vers la pelouse : le son ne s’échappe plus vers le ciel, comme avant. Et les solutions mises en place à la rénovation du stade avaient plutôt pour objectif de faire plus de bruit. Les gestionnaires ont opté pour une solution de type effet chaudron, pour favoriser la ferveur. L’acousticien en charge de la conception avait préconisé des matériaux absorbants, à placer derrière les gradins, pour ne pas trop affecter le voisinage. Il a été décidé de ne rien faire a priori, sauf à ce qu’il y ait un éventuel problème. » »
Il n’y a eu « aucune plainte de riverains », affirme à 20 Minutes le maire d’arrondissement, le Républicain Yves Moraine. Pas de plainte non plus à venir de la part des joueurs de Leipzig. Officiellement, la (très habile) communication de Red Bull affirme que l’attaquant n’a pas de problème auditif, et qu’il souffrait en Turquie d’un simple « blocage musculaire. » « Timo a eu quelques douleurs à la cuisse (ce mercredi) mais il devrait être en forme pour le match. Il est jeune mais il peut jouer dans n’importe quel stade, je ne pense pas que le bruit sera décisif », a embrayé ce mercredi le très langue de bois coach Ralph Hasenhüttl.
« Les meilleurs matchs se déroulent dans ces ambiances, ça donne la pêche », s’enthousiasmait, dans un grand sourire, l’ancien Parisien Jean-Kévin Augustin. C’était après la petite victoire du match aller, et on le relançait gentiment, en remuant le couteau dans la plaie stambouliote. Vous n’auriez pas un peu la trouille, quand même ? « On a eu l’expérience à Besiktas, ça y est, on est préparés. » Rebelote avec Ibrahima Konaté : « Le Vélodrome ? On m’en a beaucoup parlé, j’ai hâte d’être là-bas. » On le relance, un peu en vain :
« – Tu as prévenu Timo Werner qu’il y aurait beaucoup de bruit ?
– (Il se marre.) Pour quelle raison ?
– Visiblement, il n’aime pas trop ça…
– Bah… (silence gêné) On verra bien. »
Un vrai dialogue de sourds.