«Une erreur tous les dix matchs»... Est-ce une folie de vouloir mettre l’arbitrage vidéo dès le Mondial en Russie?
FOOTBALL•Certains championnats testent avec un certain succès la VAR, mais il y a encore du chemin, alors que la Fifa veut qu’elle soit en place pour la Coupe du monde en juin…B.V. et W.P
L'essentiel
- L’arbitrage vidéo a été mis en place dans six pays depuis cet été.
- Les résultats sont encourageants mais il y a encore beaucoup de boulot.
- La Fifa veut que la vidéo soit à la Coupe du monde en Russie. C’est trop tôt ?
Nous sommes le 24 septembre 2017 et Franck Kessié, l’une des 273 recrues de l’été du Milan vient de plomber le début de match de son équipe face à la Sampdoria. Main dans la surface, c’est penalty. Sauf que l’arbitre n’est pas sûr de lui. Il demande de l’aide à son assistant vidéo, va voir lui-même les images : le bras de Kessié est collé au corps, la main est involontaire. On annule tout, corner. Bilan : une grosse erreur d’arbitrage évitée en à peine plus d’une minute.
Résumée à cet exemple, la vidéo dans le foot, c’est limpide, utile, juste. Sauf que tout n’a pas été aussi simple dans les premiers mois de la « VAR » (video assistant referee). Et c’est un peu logique. La réforme la plus ambitieuse de l’histoire du football moderne a démarré par l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore le Portugal en août et n’en est encore qu’à ses balbutiements. Journaliste sportif pour l’AFP au bureau de Rome, Stanislas Touchot résume :
« Ça fonctionne pas mal. En Italie, un premier bilan a été fait au bout de huit journées de championnat : 93% des cas étaient une confirmation directe dans l’oreillette par l’arbitre vidéo en direction de l’arbitre central que la décision prise était la bonne, sans arrêt de jeu. Il y a 7% de cas qui nécessitent une intervention directe de la VAR et donc un arrêt de jeu. Ça représente environ 25 interventions. Parmi elles, sept se sont mal terminés (fautes d’arbitrage, cafouillages…). Sur l’échelle d’une saison, ça fait environ une faute de VAR tous les dix matchs ». »
Ce chiffre d’une mauvaise utilisation de l'arbitrage vidéo tous les dix matchs est confirmé par Luciano Gonçalves, président de l’Association portugaise des arbitres de football, qui compte 16 modifications de décisions arbitrales sur le premier tiers de la Liga Nos. « Et je pense sincèrement qu’il sera amélioré d’ici juin-juillet et que, plus globalement, on ne parlera même plus de la VAR dans les pays où il est en train d’être expérimenté », précise-t-il. Mais ce chiffre n'est-il pas encore trop important pour que la VAR soit adoptée dès la prochaine Coupe du monde en Russie ?
Résumons le problème en deux lignes : le président de la Fifa Gianni Infantino milite très activement pour que la vidéo soit mise en place dès le Mondial. Sauf qu’une erreur tous les dix matchs sur 64 matchs, ça en fait grosso merdo six erreurs sur l’évènement sportif le plus important de la planète. Pas exactement la meilleure façon de vendre un produit controversé.
20 Minutes a tenté de répertorier plusieurs erreurs d’utilisation de la VAR depuis qu’elle est en place.
En dehors des failles techniques, on peut empiriquement diviser les erreurs de ces premiers mois de VAR en plusieurs familles
1. Le péno / pas péno sur des actions litigieuses
2. Le protocole
3. Le hors-jeu
Le premier type de problème est presque le plus simple à régler dans le sens où il ne se réglera pas. C’est la part de jugement de l’arbitre, cette zone grise d’interprétation dans laquelle, sur une même action avec dix angles de caméra différents, l’action sera suffisamment litigieuse pour que 50 personnes vous disent péno et 50 pas péno.
Le deuxième s’imbrique directement dans le premier. « Le protocole prévoit que la VAR peut être utilisée pour des cas d’erreurs manifestes et évidentes, explique Stanislas Touchot. Les cas litigieux ne sont pas concernés. Mais la question se pose pour faire évoluer ce protocole et élargir le champ à erreurs possibles et probables. J’ai le souvenir d’un Roma-Inter où une faute n’a pas été sifflée sur Perrotti. La VAR n’est pas intervenu car il estimait que ça ne relevait pas de l’erreur manifeste mais du domaine de l’interprétation de l’arbitre. Mais la VAR aurait pu quand même intervenir, demander à l’arbitre d’arrêter le jeu et de regarder les images pour avoir un deuxième avis. »
Et si on attendait l'Euro-2020 ?
C’est dans cette optique-là que la Fédé allemande a publié dans un communiqué datant du 25 octobre qu’elle souhaitait que la vidéo intervienne plus souvent dans les décisions de l’arbitre. « Dans des situations compliquées, où la decision de l’arbitre ne peut pas être considérée comme "erreur évidente", mais où l’assistant vidéo a de sérieux doutes à propos de la validité de la décision, il doit le rapporter immédiatement à l’arbitre principal », explique ce communiqué.
Enfin, en ce qui concerne le dossier des hors-jeu, la situation est plus compliquée. Stan Touchot: « Sauf avancée technologique, il ne se règlera pas tout de suite. Le révélateur des hors-jeu de la VAR n’est pas le même que celui des télés. Les questions du départ du ballon, des 24 images par seconde, de la visualisation dans l’espace posent problème. Dans un monde idéal, il faudrait une modélisation en 3D pour faire descendre la ligne à la perpendiculaire. »
Bref, si la question n’est plus vraiment de savoir si on reviendra en arrière, on peut au moins se demander si l’on attendrait pas l’Euro-2020, histoire de mettre tout ça bien en place. « A l’heure actuelle, ils ne me semblent pas prêts pour la Coupe du monde, explique Bruno Derrien, ancien arbitre international. C’est encore une phase expérimentale où l’on se rend compte que ça restera toujours un humain qui interprétera une image. J’ai un souvenir difficile du match France-Espagne au Stade de France où la vidéo fait son travail mais où la spontanéité s’était perdue. C’est encore trop tôt, il faut qu’on tire des enseignements de tous les cas pour gagner en réactivité et en fluidité. »
Ça, c'est l'instance qui régit les lois du foot, l'IFAB, qui a décidera en mars prochain. En attendant, elle bosse. « L'IFAB centralise les retours et analyse les expérimentations à l'échelle mondiale pour en faire bénéficier les fédérations, poursuit Pascal Garibian, directeur technique de l'arbitrage français. Ça conforte l'idée que l'assistance video nécessite beaucoup d'entraînement. L'expérimentation doit répondre à une question majeure: est-ce qu'elle aide efficacement les arbitres? Pour le savoir, il faut multiplier les matchs ».
En France pour les quarts de finale des Coupes
Ancien arbitre international de rugby, Christophe Berdos a connu l’installation de la vidéo dans son sport il y a quelques années.
« La première année, c’était celle de la découverte et la deuxième d’une mise en place plus approfondie, se souvient-il. Il fallait que la vidéo rentre avant tout dans les mœurs, donc au début on avait trop tendance à trop la demander ou mal la demander. Il faut être patient et se poser les bonnes questions, mettre un cadre. » »
Seuls six pays dans le monde (Australie, Etats-Unis, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Portugal) dans le monde auront pu tester la VAR avant la Coupe du monde en Russie sur une saison entière. Et à moins de ne faire arbitrer les matchs que par des sifflets venant de ces pays-là, on risque d’avoir quelque néophytes dans l’exercice en Russie. « On travaille à entraîner nos arbitres pour être prêts à partir des quarts de finale en Coupes de France et de la Ligue », coupe Pascal Garibian, précisant par exemple que notre arbitre n°1, Clément Turpin, s'entraîne régulièrement à la VAR et a été arbitre video lors de la dernière Coupe des confédérations.
Autre question, celle de la « formation » pédagogique du spectateur. C’est ce que Christophe Berdos entend par « entrer dans les mœurs », que nous soyons prêts à accepter la vidéo et à en comprendre le fonctionnement.
« Sur les deux grandes chaines italiennes, Sky et Mediaset, il y a à la fin de chaque match un spécialiste de l‘arbitrage – souvent des anciens arbitres - qui reprennent et dissèquent chaque cas un peu délicat avec un rappel des règles, une analyse dépassionnée et précise, explique le journaliste à l’AFP Rome. Sur la VAR, ils rappellent en permanence le protocole, les cas de figures différents, le débat est serein. Le "chef" de la VAR en Italie, c’est l’ancien arbitre Nicola Rizzoli (au sifflet pour la finale de la Coupe du monde en 2014). Sa parole porte, il n’hésite pas à reconnaître les erreurs, à les expliquer, à dire que ça ne se reproduirait pas avec un peu de bouteille. »
« Evidemment, les arbitres des championnats qui testent actuellement la VAR seront mieux armés que les autres, et les supporters de ces mêmes pays sauront qu’il n’est pas infaillible, poursuit Luciano Gonçalves. Il est vrai aussi que tous les arbitres qui utilisent la VAR sont formés différemment comme la prise en charge est nationale, mais il faut comprendre que cela vient du fait que certains pays ont été beaucoup plus réceptifs à l’arrivée de la VAR que d’autres qui n’ont pas souhaité investir dedans, étant donné qu’il n’est pas obligatoire. »
C’est d’ailleurs au président des l’association des arbitres portugais qu’on laisse la conclusion, sous forme d’une réponse à la question fatidique : serons-nous prêts pour la Coupe du monde ? « Je pense qu’à partir du moment où on décide de le mettre en place pour la Coupe du monde qui est l’événement majeur, on est en droit de penser que ça se passera bien. Il y a un grand enthousiasme autour de la VAR, qui est perçu comme une plus-value par les arbitres. Il y aura sûrement moins d’erreurs que lors de la Coupe des confédérations et la précédente Coupe du monde des clubs. Il ne faut pas oublier qu’il y aura encore un Mondial des clubs entre temps et qu’il fera office de répétition générale avant la Russie. »
C’est d’ailleurs probablement après ce dernier test que la Fifa prendra sa décision définitive.