FOOTBALLUne caméra sur un arbitre de Ligue 1, c’est possible en France?

Ligue 1: On en rêve tous… Une caméra sur l’arbitre, c’est possible en France?

FOOTBALLArbitres et spectateurs sont pour, mais ce n’est pas gagné…
Bertrand Volpilhac

B.V.

On leur laisse le foot cinq minutes et voilà qu’ils vont tout nous métamorphoser. Et en bien. Salauds d’Américains qui connaissent le foot depuis six mois et savent déjà mieux que nous comment le vendre.Lors d’un match de pré-saison entre les stars de leur championnat, la MLS, et le Real Madrid, le diffuseur de la rencontre FOX News a équipé l’arbitre d’une caméra frontale. Le résultat est franchement bluffant.

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Sensation d’immersion totale, vitesse du jeu, point de vue novateur, tout y est. Sur les réseaux sociaux, la vidéo cartonne. Et l’on se met à rêver de voir la même chose lors de nos matchs soirées foot du dimanche soir en Ligue 1. D’ailleurs, les fans de rugby nous diront que l’idée n’est pas tout à fait nouvelle : Canal + tente déjà l’expérience depuis 2013 en Top 14. En plaçant la caméra sur le torse, c’est moins gênant.

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Christophe Berdos, l’un des premiers arbitres à avoir testé le dispositif et de son propre aveu « réticent » au départ, nous résume avec quelques années de recul ce que cette « ref cam apporte » :

1/Faire participer le spectateur

« L’angle est différent, ça permet aux spectateurs de participer quelque part, d’être acteur d’une rencontre. » »

2/Désacraliser le métier d’arbitre

« Quelque part, ça permet de légitimiser les erreurs auprès du grand public, de désacraliser le métier d’arbitre. Il y a une forme de pédagogie, on se rend compte à quel point ça va vite, à quel point on peut être confrontés à des situations très furtives. Si ça peut enlever certaines rancunes, cette amertume du supporter envers les arbitres, tout le monde y gagne. » »

3/Gagner en discipline

« Les joueurs savent qu’ils sont enregistrés, et qu’ils ne peuvent pas dire des trucs du genre ‘Berdos tu commences à nous faire chier’. Ils savent que derrière c’est commission de discipline. » »

Bon alors, qu’est-ce qu’on attend pour mettre ce petit bijou dans le foot ? Beaucoup de choses. Sport le plus conservateur au monde, il est « déjà dans une période d’apprentissage pour la mise en place de l’assistance-vidéo », nous explique Sébastien Desiage, arbitre de Ligue 1 et président du syndicat des arbitres pro (SAFE). Autant dire que le timing n’est pas encore parfait. Et qu’il y a une demi-douzaine d’étapes à franchir avant même d’y penser :

  • Que tout le monde soit d’accord : arbitres, joueurs et dirigeants
  • Que la Fifa s’intéresse à l’idée et lance de tests
  • Que l’IFAB, l’organisme garant des lois du jeu, la valide

Les deux derniers points pourraient prendre au moins cinq ans une fois que le premier est validé. Ce qui n’est pas encore tout à fait le cas. Eric Borghini,président de la commission fédérale d’arbitrage, demande par exemple de la prudence. Parce que selon lui, filmer tout ce que voit un arbitre - et notamment dans les relations avec les joueurs - pourrait être « une forme de voyeurisme très dans l’air du temps sous couvert de modernité ».

« Arbitre, c’est un peu comme flic, c’est le métier le plus contrôlé de France »

« Cela participe encore plus au spectacle, bien sûr, mais il faut faire attention à ne pas se faire emporter par le souffle de la nouveauté, explique-t-il. Trop de transparence tue la transparence et ce n’est pas forcément bon pour le jeu et les joueurs. Il faut garder une part de mystère. Ça pose des problèmes éthiques, sportifs et financiers. » Il détaille :

« Par exemple, a-t-on besoin de pénétrer dans le vestiaire des arbitres ? Le couloir ? D’équiper aussi les assistants ? Tout montrer, c’est donner une exposition médiatique possiblement contre-productive, s’offrir à une justice spectacle. Il y a 21 caméras lors de Guingamp-PSG, est-ce que ça a empêché M. Verratti de râler comme il l’a fait à Guingamp ? Est-ce que vous avez l’impression que ça change quelque chose ? Je serai mal à l’aise avec ça si j’étais arbitre. C’est un peu comme flic, c’est le métier le plus contrôlé de France, et on risque un effet pervers. Une telle immersion dans leur métier, comment le jugeraient-ils ? » »

Question directement posée à Sébastien Desiage, justement au sifflet de ce déplacement parisien à Guingamp. « On est dans le show et c’est super, nous sommes des facilitateurs de spectacle. De plus, tout ce qui permettra à un moment de faciliter ou de valoriser la fonction arbitrale, de mieux faire comprendre les décisions, on y sera favorable, répond-il. On nous demande de prendre des décisions instantanées qui ont un impact tellement important… Si ça permet de bien faire comprendre la difficulté qui est la nôtre, il y a une vraie réflexion à mener. »

Risque-t-on de violer l’intimité joueur-entraîneur ? « Je pense qu’il serait intéressant qu’on diffuse les propos des arbitres pendant les matchs, répond Sébastien Desiage. C’est un formidable vecteur de communication positive pour les arbitres. » Les quelques joueurs professionnels contactés nous ont eux aussi confirmés qu’ils « ne seraient pas contre ». D’autant qu’à l’heure actuelle, un système d’oreillettes accompagne déjà les arbitres et enregistre tout ce qu’ils entendent, quitte à utiliser les bandes par la suite en commission de discipline.

Bref, un faux problème. « Il y a un risque d’édulcorer la relation entre joueurs et arbitres, mais n’est-ce pas ce que l’on cherche ? » poursuit Sébastien Desiage. « Il y a toujours des garde-fous que le public ne voit pas, que ce soit un clin d’œil, une tape amicale », complète Christophe Berdos.

En fin de saison dernière, le district de Loire avait tenté sa chance avec ce dispositif pour une demi-finale régionale. Avec pour objectif, à terme, de mettre le service à disposition de 230 clubs lors de matchs « à risques ». Le bilan ? « Des effets intéressants sur le comportement des joueurs amateurs » - dixit Sébatien Desiage - qui n’ont pas contesté du match.



Le plus dur dans tout ça sera dans doute de lancer le mouvement. Si les arbitres sont tout à fait ouverts « à étudier les conditions de mise en place de l’outil », ils ne seront pas proactifs sur le dossier. De même du point de vue fédéral. Bref, ne reste plus que les diffuseurs pour espérer voir cette formidable nouveauté dans le foot. Allez, Canal +, BeIn SPORTS, faites ça pour nous.