Equipe de France: Surcoté ou génie, trop dangereux ou trop sobre, l’éternel débat Pogba
FOOTBALL•Dès que la France n’avance pas, toutes les questions se tournent systématiquement vers le milieu des Bleus…B.V.
La dernière fois, c’était début octobre. Comme toujours, on avait sobrement titré : « Faut-il sortir Paul Pogba de l’équipe de France face aux Pays-Bas ? » Et enjoint une pensée profonde en guise d’accroche : « Plus on a de talent, plus ça fait causer. » Huit mois après, on assume chacun de ces mots. Parce que comme d’habitude dès que l’équipe de France toussote, c’est Paulo qui prend.
Interrogé à la fois par Le Parisien et L’Equipe, l’ancien milieu des Bleus, Yannick Stopyra assurait avoir vu Pogba « énormément marcher » lors de la défaite face à la Suède, vendredi. Le lendemain, le quotidien sportif s’est infligé une rediff du match pour convenir qu’il avait été « trop intermittent » et « aurait pu peser davantage ». Puis publie un nouvel article lundi, à la veille du match amical face à l’Angleterre, titré « Paul Pogba suscite encore des interrogations ».
Qu’elles émanent du grand public, des anciens joueurs ou des journalistes, ces interrogations sont sans doute légitimes. Mais elles commencent à tourner en rond. Et on prend notre part de responsabilité là-dedans, on y a largement contribué. L’historique pourrait donner ça :
Préparation à la Coupe du monde 2014. Après un match décevant face à la Norvège, Didier Deschamps recadre Pogba : « Tout semble facile pour lui, mais il ne faut pas justement qu’il tombe dans la facilité ».
Coupe du monde 2014. Pogba manque de prendre un rouge pour un geste d’humeur. « Pogba, aussi dangereux que talentueux », titre-t-on. Deschamps lui demande « une maîtrise totale ».
Euro 2016. Mauvais contre la Roumanie en ouverture, Pogba est vivement critiqué. Le match suivant, après une passe décisive pour Payet, le milieu de terrain réalise un supposé bras d’honneur en direction de la tribune de presse. L’histoire manque de peu de finir en affaire d’Etat.
Octobre 2016, qualif mondial 2018. Trop imprécis, on se demande à quoi il sert dans le 4-2-3-1 plébiscité par Didier Deschamps depuis l’Euro.
Pour donc en arriver à aujourd’hui. Quatre ans et quasiment cinquante sélections après ses débuts en bleu, Pogba reste une source de questionnement permanent. Quel souvenir marquant a-t-il laissé chez les Tricolores ? Serait-il un dieu vivant si les Bleus avaient gagné l’Euro ? Pogba reste le gamin à qui l’on promettait le monde mais qui n’a pas encore été Ballon d’or à 24 ans. Enfin si, mais du transfert le plus cher de l’histoire. En soulevant d’ailleurs du côté de Manchester les mêmes questions que par chez nous.
Lui en demande-t-on trop ? Sommes-nous fondamentalement injustes avec lui ? Le personnage marketing a-t-il mangé le joueur ? L’avis de son entraîneur José Mourinho,dans une interview donnée à Omnisport, est passionnant :
« Je crois que le problème de Paul Pogba a été l’étiquette, le prix collé sur son dos avec ce transfert. J’espère que l’été prochain, il ne sera plus le plus gros transfert et que la pression ira sur quelqu’un d’autre. Car, si son transfert avait été moins élevé, tout le monde aurait dit « quel achat ! ». Mais tout le monde attend des performances en lien avec le montant du transfert et cela entraîne de la pression et des analyses qui ne sont pas justes parfois. Il a fait de bons matchs, de très bons matche, de bonnes performances. Il s’est toujours sacrifié pour l’équipe. Le meilleur du monde est toujours celui qui marque des buts, je trouve cela un peu injuste. Je pense que comme milieu de terrain, Pogba est le meilleur du monde. Je n’en vois pas un autre qui a autant de qualités que lui. Il doit progresser évidemment. Mais il a le physique, l’intelligence. Il est très agile avec ce grand corps qu’il a. Il est très bon dans le secteur défensif et offensif. »
Désolé pour le pavé, mais on se devait de laisser la pensée du maître in extenso ou presque. Parce qu’elle résume tout : Pogba paye son prix, son talent, son poste aussi. Kopa, Platini, Zidane, la France du foot a toujours eu besoin d’un héros n°10, capable de faire le spectacle, de marquer et de faire gagner son équipe. Pogba sait faire tout ça. Alors quand ça perd, forcément…
« Bridé » par Deschamps
Pourtant, sur le terrain, il n’y a pas grand-chose à lui reprocher. Florent Toniutti, analyste des Chroniques Tactiques, a longuement étudié le cas du milieu. « Dans le système de Deschamps à deux milieux, ce que fait Pogba c’est le boulot sobre d’un milieu, explique-t-il. Il est tellement polyvalent que tu peux l’utiliser à ta guise. Deschamps estime qu’il a assez de talent devant pour simplement se servir de Pogba comme d’un récupérateur pour équilibrer le jeu. Il fait ce qu’on lui demande. Quelque part, il est bridé par Deschamps. Dans ce rôle-là, on n’a pas le droit d’attendre d’exploit, qu’il apporte offensivement, sauf par quelques frappes de loin. Lui reprocher d’être trop facile ou de prendre des risques aujourd’hui c’est faire preuve de mauvaise foi. Il est là pour couvrir, pour essayer de récupérer les ballons. C’est le produit fini de ce qu’on verra sous Deschamps. »
Désolé Paul, mais tu es foutu. Si tu ne tentes pas assez, on dira que tu ne prends pas tes responsabilités de futur-Ballon-d’or/joueur-le-plus-cher-du-monde. Si tu tentes trop, on dira que tu joues trop facile. Et si l’on voulait que tu tentes juste ce qu’il faut, il faudrait te mettre dans des bonnes conditions avec « un milieu à trois, couvert par Kanté par exemple », imagine Toniutti. Pas dans l’idée de Deschamps, qui préfère l’équilibre collectif.
Alors on va continuer encore un petit peu à faire la moue devant le grand talent que tu es. On écrira encore que tu ne marques pas assez, que tu ne pèses pas sur le jeu, que tu peux faire plus. Jusqu’à ce que notre scepticisme éternel se porte sur un autre, que ce soit Griezmann, Dembélé, ou Mbappé. Ou que tu plantes un but en finale de la Coupe du monde. Rappel utile : quand il avait ton âge, tout le monde se demandait pourquoi Zidane était le meneur de jeu des Bleus de Jacquet.