Monaco-Juventus: «Ils sont plus malins»... Mais bon sang, pourquoi perd-on toujours contre la Juve?
FOOTBALL•Onze confrontations, onze défaites. Rien à faire, les clubs français n'y arrivent pas contre la Juve...Nicolas Camus
L'essentiel
- Monaco affronte la Juventus en demi-finale de la Ligue des champions
- Jamais un club français n'a réussi à éliminer cette équipe italienne
- La défense, la culture collective, l'arbitrage... On essaie de trouver les raisons de ce résultat qui paraît inéluctable
De notre envoyé spécial à Monaco,
Vous connaissez forcément l’histoire de Bip Bip et Coyote. Vous savez, ce dessin animé dans lequel ce bon Vil consacre sa vie à essayer d’attraper Road Runner à l’aide de pièges toujours plus ingénieux. A chaque fois il y croit… et à chaque fois il se vautre, la faute à une chute dans le vide, un rocher ou un train qui passe. Et bien l’histoire des clubs français face à la Juventus en Coupe d’Europe, c’est un peu ça. Avec souvent un penalty litigieux à la place du canyon.
En onze confrontations, jamais un club français n’a réussi à sortir la Juventus en coupe d’Europe. Ce genre de chiffre ne décide jamais du sort d’un match, on sait, mais là c’est différent. Parce que c’est la Juve ne fait pas que vous éliminer. Pas assez cruel. Non, elle vous laisse croire que vous êtes meilleur, que vous allez le faire, que ça va bien finir par rentrer pour finalement vous renvoyer à la maison avec cette horrible sensation d’échouer tout près, de mériter mieux, et de se faire un peu enfler, il faut le dire.
Mais pourquoi ce sentiment d’inéluctable ? On a essayé de percer le mystère avec d’anciennes victimes. « La Juve, c’est d’abord une mentalité italienne classique, avec une grosse défense, répond Stéphane Carnot, qui avait participé au précédent Monaco-Juventus en demi-finale de C1, en 1998. Mais elle a cette particularité d’avoir aussi des joueurs de talent devant pour faire la différence de l’autre côté du terrain. Ça fait beaucoup à s’occuper ! »
« Ils ont de grands joueurs, mais ne sont jamais dépendants de personne »
Ces joueurs dont l’ancien Guingampais parle, c’étaient Baggio, Vialli, Zidane, Del Piero ou Inzaghi. Aujourd’hui ce sont Dybala, Higuain et Mandzukic. Et le plus fort, chez les Turinois, c’est qu’ils sont parfaitement intégrés au collectif. « Pour moi, c’est là leur point fort, au-delà de leur qualité défensive. Ils ont de grands joueurs, mais ne sont jamais dépendants de personne, juge Jimmy Algérino, qui a croisé les Italiens un soir de déroute mémorable au Parc en Supercoupe d’Europe, en 1997 (1-6). C’est une force colossale. Les clubs français ont parfois été loin sur une série d’exploits, souvent individuels. Contre la Juve, ça ne passe pas. »
Et ça n’arrive pas qu’aux Français, d’ailleurs. Demandez au Barça, collectivement moins bon cette saison et qui a passé trois heures sur le terrain sans réussir à inscrire le moindre but au tour précédent. « Ils défendent, et surtout ils adorent le faire, reprend Carnot. Parce que ce n’est pas facile, hein, d’être là, agressif, de mettre sans cesse la pression sur le porteur adverse pendant tout un match. Pour eux, ce n’est jamais une purge. »
Non, la purge, c’est pour les adversaires. Il n’y a pas le droit au moindre trou d’air pour battre la Juve. Le truc usant par excellence. « Quand on les a affrontés, on savait que le match ne partirait pas en cacahuète et qu’on n’allait pas marquer deux ou trois buts comme ça en profitant d’un moment de n’importe quoi, illustre Algérino. On savait que ça allait être calculé, préparé, avec des schémas bien étudiés et bien respectés. Et nous en revanche on était passé au travers 15-20 minutes, ça avait suffi à en prendre trois. Parce qu’ils savent être efficaces et profiter de tout. »
On vous voit venir, vous trépignez sur votre siège en vous demandant quand est-ce qu’on va aborder LE sujet qui fâche. Et bien maintenant. Oui, qu’on le veuille ou non, quand on parle rencontres contre la Juventus, on parle arbitrage. Il n’y a jamais de vrai gros scandale, mais chaque match ou presque a laissé sa petite injustice.
On peut parler du péno oublié sur Weah au retour en 1993, ou des deux sifflés pour les Italiens en 1998 au moment où Monaco revenait dans le match. La double confrontation en quart de finale il y a deux ans n’y avait pas échappé. Un but en deux matchs, encore sur penalty, et la fameuse main de Chiellini au retour qui se prend pour Buffon et se jette pour stopper une occasion de but. Une action qui ne lui a valu qu’un carton jaune.
Ça avait bien fait marrer les internets, et le joueur lui-même, mais nous beaucoup moins. « Ah ça, ils savent y faire, soupire Lilian Martin, autre ancien de l’ASM époque 90s. Ils sont toujours en train de pleurer, de parler à l’arbitre. Et ça marche. Ils sont plus malins, quoi. On le sait avant, mais on ne peut rien faire. »
Vraiment ? Gilles Veissière a arbitré les loustics une bonne douzaine de fois dans sa carrière. Pour lui, ce n’est pas qu’on ne peut rien faire, c’est que les fautes sont commises juste comme il faut pour empêcher de se faire punir.
« « Chez eux, c’est culturel de se mettre à la limite de la légalité. Leur truc, c’est de faire beaucoup de fautes aux 30-40 mètres, grâce à un premier rideau devant la défense. Ce sont des fautes qui ne sont pas faciles à lire, car elles ne sont pas sur des joueurs lancés. La vitesse amplifie la faute. Quand c’est arrêté, c’est moins spectaculaire. » »
Autre avantage de cette première lame, « si la faute est faite avant, ils ne vont pas avoir à la faire aux abords de leur surface, ce qui peut être dangereux. Et ils ne concèdent quasiment jamais de penalty parce qu’il n’y a pas beaucoup d’actions où les adversaires arrivent jusqu’à l’intérieur de la surface », poursuit l’ancien sifflet, qui avoue avoir quand même toujours adoré diriger les Italiens.
C’est marrant, cette difficulté à entrer dans leur surface, c’est exactement ce qu’a mis en avant Leonardo Jardim en conférence de presse, mardi. « L’exploit est encore plus dur à réaliser quand tu tombes contre cette équipe, résume Michaël, supporter de longue date et membre de Planete-ASM. Tu sais que tu peux faire ce que tu veux, au final, tu sors. Mais cette saison, on a l'impression que Monaco peut forcer tous les verrous, alors pourquoi pas. » C'est mal, mais on ne peut pas s'empêcher d'y croire un peu, nous aussi.