VIDEO. Présidentielle: Vestiaire, vote, engagement... Les footballeurs ont-ils une conscience politique?
FOOTBALL•«20 Minutes» a cherché à savoir pourquoi la politique était un tabou dans le football...Bertrand Volpilhac, avec JSM et ALG
L'essentiel
- Peu de joueurs s'engagent ou donnent leur avis politiquement
- C'est risqué pour eux de le faire à plusieurs niveaux
- Un vestiaire est très contrasté politiquement
«Oh vous savez c’est un type génial. » Quand on lui évoque le nom de Yohan Cabaye, les yeux d’Emmanuel Macron s’illuminent comme ceux d’un enfant devant une piscine de Danette au chocolat. Sans doute pas pour la qualité du pied droit du milieu de l’équipe de France, mais plus probablement parce que le candidat d’En Marche ! a compris que ce soutien n’était pas tout à fait comme les autres. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait pour rien qu’à son grand meeting de Londres, en février, journalistes et sympathisants scrutaient avec curiosité la loge VIP pour y observer le dépucelage politique du footballeur.
Il faut dire que c’est assez rare, un footballeur qui affiche ses tendances. En Allemagne, aux Etats-Unis, dans les autres sports, les exemples sont nombreux. Mais dans le foot français, c'est même exceptionnel. On trouve bien par-ci par-là des anciens joueurs qui ont tenté quelques reconversions (Basile Boli, Fabien Cool), d’autres sur des listes de soutiens pour des élections mineures (Marouane Chamack aux régionales, Souleymane Diawara et Mamadou Niang aux municipales), et basta. Disons-le simplement : la politique, le vote, les présidentielles et toutes ces conneries, c’est tabou dans le monde du football.
« On n’en parle pas trop entre nous »
Impression confirmée après une bonne dizaine de SMS à des joueurs en activité ou tout juste retraités, des questions en interview ou en conférence de presse. Relationship status : It’s complicated. « On n’en parle pas trop entre nous les joueurs, mais ça nous arrive d’évoquer le sujet », nous expliquait le milieu de Nantes Valentin Rongier. Et c’était déjà le cas il y a 10, 15 ou 20 ans. « A mon époque, le sujet politique était forcément évoqué mais que très sommairement, se souvient Fabien Cool, ancien gardien légendaire d’Auxerre. On en parlait vite fait lors des mises au vert, quand il fallait tuer un peu le temps, mais pas du tout dans les vestiaires au quotidien. »
Coincé en zone mixte, l’attaquant de l’OM Bafé Gomis nous donne un parfait exemple de la gêne du footballeur quand il faut causer politique. In extenso :
« Bafé, est-ce que vous parlez politique entre vous dans le vestiaire ?
« On préfère parler sur le football. La politique c’est pas… On va aller voter, c’est des choix personnels et on n’a pas pour habitude d’étaler tout ça. On est content d’avoir reçu M. Macron contre Dijon. On suit ça de loin, espérons que le choix des Français soit le meilleur possible pour mettre fin à tout ce qui se passe.
« - Mais pourquoi…
« - (Il coupe) On veut pas parler de politique
« - Mais pourquoi les footballeurs s’engagent pas, il y a des sportifs qui s’eng…
« - (Il coupe) C’est pas mon truc. Je préfère pas parler de politique
« - Mais entre vous dans le vestiaire vous en parlez ?
« - (Il coupe, irrité) Ça me plaît pas de parler de politique. On parle de football. On a déjà pas mal de problèmes dans le football.
L’idée n’est pas de reprocher à Gomis – l’un des joueurs les plus sympathiques et intelligent de Ligue 1 - de ne pas donner son avis. Mais de comprendre pourquoi les footeux, là où d’autres sportifs n’hésitent pas à prendre position, semblent s’en effrayer. Et de se demander si, au fond, ils ont une conscience politique.
Dans l’émission Quotidien, Yohan Cabaye expliquait avoir lui-même fait la démarche de rallier Macron :
« « Avec Emmanuel, on a des amis en commun. J’ai ma vie et j’essaie de me créer mes réalités. J’aime son dynamisme, son authenticité. Il est assez jeune, il apporte un vent de fraîcheur. Oui je suis un joueur de foot mais je reste une personne qui aime énormément son pays et la présidentielle, c'est un moment très important. » »
« Ce n’est pas parce qu’ils ne disent pas pour qui ils votent qu’ils n’ont pas de conscience politique et leur avis sur la société, enchaîne Igor Martinache, professeur agrégé de science sociale à l’université de Lille 1, ayant travaillé sur l’engagement des sportifs en politique. Après c’est vrai qu’ils vivent dans une bulle: dans le monde du sport, on ne parle jamais de politique. »
« Bien sûr qu’ils ont une conscience politique, poursuit l’agent de joueur Frédéric Guerra. Ils ont des opinions politiques car en tant qu’adultes ils doivent voter. Ils font des choix qui peuvent tourner autour d’un programme, d’une bonne gueule ou de X paramètres, comme n’importe qui dans la société. Ca m’arrive de parler politique avec des joueurs tous les jours. La rumeur dit que ce sont des nantis loin ou hors du système, ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas une personnalité et une pensée, je leur demande juste de ne pas la prendre publique. Je leur ai appris à garder ça pour eux… »
Risquer de prendre position
Pourquoi ? Parce que c’est « risqué », selon Sylvain Kastendeuch, coprésident de l’UNFP, le syndicat – apolitique – des joueurs professionnels. Il développe : « On ne leur donne pas de consigne ferme et définitive car on n’a pas envie de les empêcher de prendre part à la vie publique alors qu’on leur reproche leur individualisme. Mais on les alerte d’une manière très générale sur le fait que ce n’est pas neutre, que ça peut avoir des conséquences. » Lesquelles ?
- Vis-à-vis du club : « Ce qu’on demande à un footballeur pro, c’est de jouer au foot. C’est un métier extrêmement chronophage et s’engager en politique est une contrainte de disponibilité, d’énergie et de dispersion pas forcément bien vu par l’employeur et les institutions », poursuit l’ancien défenseur de Metz.
- Vis-à-vis du vestiaire : « C’est comme vous dans votre entreprise, en parlant politique, vous pouvez avoir peur de créer des conflits, le secret du vote est très marqué », explique Igor Martinache. « Entre eux, ils ne discutent pas politique à bâtons rompus, plus d’anecdotes marrantes ou de montages qu’ils ont vu sur Facebook par exemple, poursuit Frédéric Guerra. Mais il n’y a pas de débats, personne ne dit "untel candidat raconte n’importe quoi". Il n’y pas de jugements. »
- Vis-à-vis de sa propre popularité : « Vous êtes quelqu’un de populaire, pourquoi donner son avis ? Ça ne peut avoir qu’un effet négatif, ils n'ont rien à y gagner en termes de notoriété », note Igor Martinache, en harmonie avec notre agent de joueur.
Et les rares exemples tendent à le confirmer. Pendant sa carrière, Fabien Cool s’est rapproché de l’UDF. Si ses partenaires étaient surtout « curieux » de cet engagement, son club nettement moins. Et l’opinion publique lui a fait comprendre qu’il n’était pas sa place :
« « C’est dû principalement au traitement que réserve la population aux sportifs de haut niveau quand ils parlent politique. On s’aperçoit que leur avis est beaucoup plus respecté aux Etats-Unis ou en Allemagne par exemple. Quand ils commencent à prendre la parole sur ce genre de sujets, ce qu’on voit sur les réseaux sociaux c’est "de quoi ils se mêlent ? Ils ont assez de pognon comme ça." Du coup les joueurs n’ont pas forcément envie de se faire taper dessus et laissent tomber. » »
OK. Mais les artistes alors ? Chanteurs, acteurs, écrivains, c’est la même chose non ? Et pourtant, ils existent dans le débat politique. « Traditionnellement, l’art est plus engagé, défend Igor Martinache. L’engagement politique vient compléter une certaine profondeur à l’engagement artistique alors qu’on se demande quelle profondeur il donnerait au sportif. »
De plus, la création politique d’un homme vient plus tard. Un footballeur est en activité grosso modo entre 20 et 30 ans et avoir des convictions fortes, mûries, c’est une construction. « Je suis issu d’une famille qui a toujours été intéressée par la politique, assure le milieu de Nantes Valentin Rongier. Mes parents m’ont fait comprendre que si je n'allais pas voter, c’était une faute. » Tous n’ont pas eu cette éducation, la plupart étant « arrachés » à leur famille par les centres de formations à 11, 12 ou 13 ans, l’âge où la conscience politique s’éveille.
« Chez les jeunes footballeurs, la discussion politique est assez peu fréquente, peu palpable dans les centres de formation, explique Julien Bertrand,enseignant-chercheur à l’université du football et auteur de La fabrique des footballeurs (éditions La Dispute). Ils ont un rythme de vie assez monopolisé et concentré sur les échéances sportives et leur carrière. » Alors forcément, certains sont moins à l'aise sur ce terrain-là.
Tout ça pour en arriver à la question qui fâche : alors, ça vote quoi un footballeur ?
Quasi-impossible à dire. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas aussi simple que les trois clichés qui nous viennent spontanément en tête - 1) Ils ne votent pas parce qu’ils s’en foutent, 2) ils votent aux extrêmes parce qu’ils viennent des classes populaires 3) ils votent à droite car ils sont bourrés de thunes - sont des raccourcis stupides et faux. C’est évidemment beaucoup plus complexe que ça.
Déjà le postulat « footballeur = classe populaire » est erroné. Julien Bertrand : « Les footballeurs sont loin de tous venir de banlieue, majoritairement ils sont issus des milieux populaires mais c’est diversifié. Bien souvent ce ne sont pas les milieux les plus fragiles qui sont le réservoir le plus important : s’engager dans une voie comme le football, c’est long, difficile. Il faut un appui familial, matériel, économique, que n’ont pas les plus précaires. »
Ensuite parce que tous les footballeurs ne sont pas richissimes. Et que ceux qui le deviennent ne changent pas soudainement de bord. « Mon souvenir, c’est que les joueurs étaient influencés par leurs origines sociales, et non par le nouveau statut qu’ils venaient d’acquérir, explique Fabien Cool. Bien souvent, un joueur qui vient d’un milieu humble et dont la famille a par exemple toujours voté à gauche, voire à l’extrême gauche, se dirigera plus volontiers vers ce type de candidat, même si c’est paradoxal compte tenu de son nouveau statut. »
Lorsque la taxe à 75 % du gouvernement Hollande avait été proposée, certaines voix avaient dénoncé la chasse à ceux qui réussissent. Mais la majorité était restée silencieuse. « Penser qu’ils votent tous à droite pour protéger leur pognon, c’est complètement faux, assure Frédéric Guerra. Un vestiaire est un très bon échantillon de la société, il y a vraiment de tout. » Pourtant lundi matin à l’entraînement, le debrief de la soirée électorale n'a pas dû être trop houleux.