Ligue Europa: Avant de recevoir Lyon, les supporters de Besiktas sont-ils vraiment violents?
FOOTBALL•Une semaine après les violents débordements et les jets de fumigènes au Parc OL, faut-il craindre pour la réception des Lyonnais jeudi soir?Bruno Poussard, à Istanbul
De notre envoyé spécial à Istanbul,
Au pied du Vodafone Arena, niché sur la rive occidentale du Bosphore, un couple de Stambouliotes ne manque pas son selfie, mercredi après-midi. A côté, dans la boutique officielle du Besiktas JK, l’activité est tout aussi calme. Ici comme sur la place Taksim, au cœur du quartier de Besiktas, aucune agitation à la veille du quart de finale retour de Ligue Europa contre Lyon, pourtant annoncé bouillant.
Autour d’un kebab dans le petit restaurant d’Hayri Usta, un jeune serveur montre tout juste avec une fierté discrète ses couleurs noires et blanches, sur son pendentif et ses bracelets, en questionnant sur les supporters lyonnais. Mais des soutiens de Fenerbahçe, quelques tables plus loin, ne manquent pas d’encourager avec le sourire les Gones en s’incrustant dans la conversation.
Le stade du Besiktas, le plus chaud de Turquie ?
De modestes chambrages, loin des échauffourées et des fumigènes de jeudi dernier, lorsque certains « supporters » turcs ont apeuré de nombreux fans lyonnais en plus de retarder le coup d’envoi. De quoi faire inquiéter un peu les joueurs de l’OL - déjà bien secoués à Bastia - avant le retour, pour lequel ils ont vu leur sommeil perturbé, cette nuit, autour de leur hôtel.
En Turquie, les travées du nouvel écrin du champion en titre font clairement partie des plus chaudes. « Nous ne sommes pas les plus nombreux à côté de Fenerbahçe et Galatasaray, mais nous mettons une ambiance bien meilleure ! », vante Kemal, un habitué. Devant sa réussite sportive et l’animation de ses supporters, l’engouement populaire autour des Aigles noirs est de plus en plus reconnu.
En tribunes, c’est vacarme et fumigènes à chaque match. « Mais je n’ai jamais vu ici de violence comme à Lyon, coupe d’emblée Kemal. Je vous promets que l’on ne sautera jamais sur la pelouse (rires) ! » Par tout un quartier, les joueurs de l’OL, dont l’arrivée a été scrutée sur les réseaux sociaux mercredi, seront néanmoins attendus comme de dignes adversaires.
« Nous sommes contre tout et donc contre la violence »
Plus que jamais depuis son implication majeure dans le mouvement de contestation du parc Gezi en 2013, l’identité des fans du Besiktas est en fait liée à celle du Çarşi, son groupe de supporters fondé en 1982, marqué à gauche, et à tendance anarchiste. « Ils ont tenu à rester à distance du pouvoir, et pour cette posture solide, ils méritent le respect », reconnaît Mert, pourtant derrière Galatasaray.
Ainsi qu’en atteste son slogan, Çarşi, à l’image populaire voire ouvrière, est "toujours contre" quelque chose. « Face à Benfica, nous avons organisé un encouragement silencieux, pour tenter de faire entendre une voix afin de lutter notamment contre le racisme, et avant la journée mondiale du handicap », rebondit Kemal. Sans haine, ni violence. Rien de hooligans.
a« Le mot qui nous décrit le mieux, c’est la rébellion, rebondit Furkan, soutien du Besiktas JK comme son père. Nous avons toujours été du côté des opprimés. Si quelqu’un a besoin d’aide, Çarşi est là. Nous sommes contre tout et donc contre la violence. » Aucune inquiétude, selon eux, pour les Olympiens. Les 200 Turcs qui ont frappé à l’aller seraient, en fait, venus d’Allemagne en découdre avec des indépendants d’extrême droite à Lyon.
« Comme le verrou autour d’eux est grand, ils jouent désormais sur l’humour »
« Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de groupuscules violents à Besiktas », nuance ainsi le chercheur franco-turc de l’Université de Strasbourg, Samim Akgönul. De petits débordements ont parfois lieu à Istanbul. Mais la sécurité est très importante, à l’image des nombreuses caméras dans l’enceinte. Encore plus en Ligue Europa. Autour des Lyonnais depuis leur arrivée, elle est d’ailleurs renforcée.
De par leur positionnement critique envers le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan renforcé lors du référendum dimanche, Çarşı et les autres fans du Besiktas sont même des plus surveillés. Depuis lundi, des manifestations très encadrées ont d’ailleurs lieu quasiment tous les soirs dans le quartier homonyme.
« Avec un contrôle désormais quasi-total, l’appareil répressif a mis à mal leurs attaques directes d’une autre époque », embraye l’universitaire. Après le mouvement d’opposition de la place Taksim en 2013, 35 supporters avaient été arrêtés, et des leaders inquiétés.
« « Quand on sait qu’un moindre tweet peut conduire en prison, il y a aussi, à mon avis, de l’autocensure, ajoute Samim Akgönul. En tout cas, comme le verrou autour d’eux est grand, ils jouent désormais beaucoup sur l’humour et les jeux de mots. Chaque match reste un moyen de s’exprimer, mais de manière plus détournée. Mais je ne suis pas sûr que toute la population voie ce type de banderoles parce que la télévision, essentiellement contrôlée par le pouvoir, ne les montre jamais. » »
Dans ce contexte compliqué, les supporters de Besiktas ne sont donc pas tellement dans l’opposition frontale. « Ce n’est pas un groupe violent, termine Mert. Ils ne veulent juste pas se taire envers ce qu’il se passe en Turquie. » Furkan embraye : « Ce sera la fièvre jeudi, mais sans aucune animosité envers Lyon ». D’autant plus que le club a écopé mercredi, comme l’OL, de deux ans d’expulsion de Coupes d’Europe avec sursis.
S’ils leur réservent un accueil à la hauteur de l’enjeu, les Stambouliotes ne s’inquiètent pas pour les acteurs lyonnais. « Nous sommes très passionnés mais nous ne voulons pas la défaite de notre équipe, conclut enfin Kemal, qui sera au stade. Ça reste le meilleur jeu du monde, nous l’aimons trop. Si personne ne nous attaque, nous n’attaquons pas. »