Merci pour les travaux Tadej Pogacar, mais ça serait bien d’être un peu moins fort la saison prochaine, non ?
Cyclisme•Le champion du monde Tadej Pogacar pourrait conclure une saison incroyable avec une nouvelle victoire sur le Tour de Lombardie pour clore sa saisonAntoine Huot de Saint Albin
L'essentiel
- Tadej Pogacar est, encore, le grand favori du Tour de Lombardie, ce samedi, le Monument de fin de saison.
- Après avoir tout gagné (ou presque) cette saison, avec une stratégie ultra-offensive, le nouveau champion du monde a placé la barre très haut.
- Le Slovène pourra-t-il se réinventer la saison prochaine ?
Il est rare de voir un arc-en-ciel quand aucun rayon de soleil n’apparaît à l’horizon. Pourtant, dimanche dernier, sur les hauteurs de Bologne, à l’occasion du Tour d’Emilie, on n’a vu que lui : sous un torrent d’eau, qui a empêché une diffusion télé potable (mais on est habitués en Italie), le maillot irisé de Tadej Pogacar était bien le seul visible, après une nouvelle démonstration et une échappée en solitaire de près de 40 km, à se fader la terrible montée de San Luca seul à cinq reprises.
Pour éviter que le Slovène ne se fasse un triplé Tour d’Emilie-Trois Vallées varésines-Tour de Lombardie en huit petits jours, il a bien fallu que Jupiter (pas notre président, l’autre) déchaîne les enfers sur les routes italiennes et provoque l’annulation de la course en milieu de semaine. Ce qui n’empêchera pas Pogi, propre comme un sou neuf, de repartir à l’abordage ce samedi pour remporter un nouveau Monument.
Attaque à 200 km de l’arrivée ?
Pour cela, il devrait renouveler la recette qui le fait tant gagner depuis le début de la saison. Partir de loin, très loin, et voir débarquer la concurrence encore suante bien emmitouflé dans son petit k-way saillant de récupération. La même stratégie qu’il avait employé sur les Strade Bianche, Liège-Bastogne-Liège, des étapes de la Grande Boucle, le Tour d’Emilie ou les championnats du monde, son œuvre magistrale, avec une attaque à 100 km de l’arrivée, à ne surtout pas montrer dans les écoles de cyclisme. « C’était une attaque stupide, admettait-il après la course. Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé mais ce n’était pas un plan, ce n’était pas réfléchi, c’est pour ça que je dis que c’est idiot. »
Pour remporter sa 25e victoire de la saison, ce dimanche, on imagine bien Pogacar s’envoler dans la Colma Di Sormano, à une quarantaine de kilomètres de Côme. Ciao tutti. « Il sait qu’il est le plus fort et il a réussi à imposer une dimension psychologique terrible dans la tête de tous les coureurs, explique Nils (25 ans), fan du Slovène. Il a littéralement cassé les codes du cyclisme moderne. Avant, chaque échappée de leader à plus de 50 km de l’arrivée était suicidaire. Aujourd’hui, c’est la norme. »
Tellement la norme que sur toutes les courses où le glouton slovène s’aligne le reste du peloton joue quasiment battu dès les premiers coups de pédale. Et même les téléspectateurs commencent à grogner sur le manque de suspense. « C’est vrai que certains s’ennuient, assure Eva Močnik, derrière le compte@pogacarfanclub sur Instagram, devenue proche d’Urska Zigart, la compagne de Pogi. Mais, pour avoir assisté à la plupart des courses où il a gagné en solo, les fans n’ont pas perdu leur joie et étaient tous excités en voyant ses performances. Les fans à la maison ont souvent un avis différent, mais c’est parce qu’ils n’assistent pas en direct à l’exploit. »
Changement de programme en 2025 ?
« Les suiveurs les plus assidus vont se dire qu’il manque du suspens, que ça nous tue un peu, reprend Guillaume, du site de référence le Gruppetto. Sauf que je pense que le plus grand public et notamment les plus jeunes ont besoin de champions à qui s’identifier toute la saison. Je ne pense pas que cette domination soit dérangeante de ce point de vue là. » Mais bon, s’il continue sur ce rythme-là en 2025, celui qui était vu comme le gentil de l’histoire après les deux sacres de Vingegaard sur le Tour, risque de basculer du mauvais côté de l’histoire, celui des éternels soupçonnés de se charger à mort. Alors, peut-il changer la saison prochaine ?
« C’est vraiment la première année qu’on voit ça et il sera intéressant de voir les prochaines saisons comment ça se passe, car là il y a eu l’effet de surprise cette année, indique Nils. Je pense qu’il peut continuer à attaquer comme ça un petit moment, tant que ça marche à vrai dire. Il a un tempérament très offensif, il adore dynamiter les courses. Tant qu’il en sera capable, il le fera… »
Mais Tadej Pogacar va aussi se heurter à la réalité, avec deux grosses courses qu’il n’a pas encore gagnées et où partir aussi loin de l’arrivée pourrait lui jouer des tours, notamment sur Milan-Sanremo ou Paris-Roubaix. « La seule course qui lui résiste un peu, parce qu’elle est différente, c’est Sanremo, reprend Guillaume. Pourtant, il va y retourner et limite l’an prochain on se demande s’il ne va pas attaquer dès La Cipressa [à plus de 20 bornes de l’arrivée]. Est-ce qu’il ne va pas encore se réinventer pour gagner la course. Sur Roubaix, je pense que sur ses qualités physiques, il n’y aura pas de problème. S’il s’y met, peut-être s’il ne gagne pas la première fois, mais la deuxième ou la troisième… »
« Jouer avec le poids de forme et les intensités »
Selon nos spécialistes, cette nouvelle saison, si elle ne change pas l’état d’esprit de Tadej Pogacar et son envie d’agiter les jambes dès la moindre bosse, pourrait faire évoluer ses stratégies, notamment à cause d’un calendrier modifié. « Ses objectifs ne sont pas encore révélés mais je pense qu’il se tournera vers un trio classique Flandriennes-Tour de France-Vuelta, imagine Nils. Des objectifs très variés, donc ces entraînements très variés aussi, il va devoir jouer avec son poids de forme et des intensités toute la saison. »
« Je pense qu’il sera encore plus fort la saison prochaine ou dans les deux prochaines années, souhaite Eva Močnik. Et je pense qu’il gardera le même type de stratégie, parce que ça le fait gagner. De toute façon, Tadej aime juste faire du vélo. Tant qu’il s’amuse sur le vélo, il va gagner. Mentalement, il est très fort et têtu ». Jusqu’à réussir le Grand Chelem des grands Tours sur la même année ? On n’ose y penser.
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