Ce qui a changé dans le Tour de France (4/5): Ces putains de capteurs de puissance ont tué la course, faut-il les interdire?
CYCLISME•Et vas-y que je regarde mes watts en permanence…B.V.
C’est la loi de tous les mois de juillet des années impaires. Sans foot et sans JO, notre été va se résumer au Tour de France, et puisqu’il faut remercier le ciel d’avoir inventé les congés payés et la plus belle course du monde en même temps, 20 Minutes a décidé de mettre le grand plateau pour faire monter la sauce avant le grand départ d’Allemagne. Chaque jour d’ici samedi, la rédaction s’arrêtera en détail sur une nouvelle façon de courir dans peloton en 2017.
>> Aujourd’hui : Les capteurs de puissance ont tué la course…
1 W = 1 J. s-1 = 1 N. m. s-1 = 1 kg. m2. s-3. Vous ne comprenez rien à cette formule mathématique, nous non plus, mais sachez que c’est à cause d’elle que le Tour de France est devenu chiant. C’est en effet comme ça qu’on calcule le watt, « la puissance d’un système dans lequel une énergie de un joule est transférée uniformément pendant une seconde », nous apprend Wikipédia. Quel rapport avec le vélo ? Eh bien c’est en watts qu’on mesure la puissance d’un coureur, comme celle d’un « sèche-cheveux qui fait 50 watts et une machine à laver 500 ou 1000 », expliquait au Figaro Fred Grappe, le directeur de la performance de l’équipe française FDJ.
Comment ? Grâce à un capteur placé dans le pédalier et relié à un cadran au-dessus du guidon qui calcule en temps réel les données d’un coureur. Pour résumer le plus simplement possible : avec ce « SRM », le coureur sait exactement et à tout moment où il en est physiquement, sa marge d’accélération, sa capacité à tenir au rythme actuel, son point de surchauffe. Désormais, un cycliste ne vit plus que par son capteur. Dominique Arnould, directeur sportif chez Direct Energie :
« « Pour les leaders comme Tom Dumoulin, ce sont des outils indispensables pour eux. Ils gèrent leur effort et l’écart avec les autres pour rester dans le coup sans exploser. » »
Un exemple en images, parmi tant d’autres, tiré du dernier Giro. 19e étape, au bout de trois semaines d’effort, Thibaut Pinot – pourtant considéré comme un vrai coureur d’instinct - tente l’attaque de la dernière chance ou presque. Après avoir pris dix mètres sur les autres leaders, il marque une temporisation pour regarder et appuyer sur son cadran. Puis se décide à en remettre un coup.
Vous nous voyez venir. Désormais, on a l’impression que ce sont ces outils qui contrôlent et font la course. Et on n’est pas les seuls. « L’arrivée des watts a changé beaucoup de choses. Les meilleurs grimpeurs ont l’habitude de s’entraîner à certains seuils, et une fois en course, ils savent gérer leur effort pour ne pas exploser bêtement et prendre un éclat, explique ainsi l’ancien grimpeur David Moncoutié, consultant sur Eurosport. Sur le Giro, un gars comme Dumoulin a parfois évité de suivre certaines attaques pour ne pas se mettre dans le rouge, et a fait ses montées dans son coin comme un coureur de contre-la-montre. »
C’est pour ça que vous êtes si souvent déçus quand Chris Froome lâche quelques mètres après une attaque. «Ils connaissent parfaitement à 10 watts près 100 % de leur potentiel physique, forcément il n’y a plus de surprise, enchaîne Steve Chainel, lui aussi consultant pour Eurosport. Froome il n’est pas fou : sur une montée comme l’Alpe d’Huez, il sait très bien que par rapport à son poids et à sa forme, il peut être à 445 watts de moyenne. Si on l’attaque et que le type prend 20 secondes, il est où le problème ? Scientifiquement, Froome sait que si un mec part à 1.000 watts devant, il ne tiendra pas. Alors pourquoi se cramer à le suivre ? Il va revenir au train et gagner l’étape. »
Bye-bye l’instinct, le panache, le courage. Bienvenue dans le cyclisme scientifique. Et chiant. Celui des montées au sommet qui se terminent sans écarts. Celui où les leaders n’ont plus de grosses défaillances. Celui où un Tom Dumoulin peut gagner des Tour d’Italie. Celui où le peloton « sait exactement à quelle vitesse rouler pour revenir sur les échappés dans les temps », ajoute le coureur BMC Amaël Moinard.
« Ce sont des outils de performance, que même les plus jeunes coureurs ont. Ça enlève des aléas de course. », résume Dominique Arnould. Des quatre interlocuteurs qu’on a contactés pour cet article, on vous a fait un best of des expressions choisies pour expliquer ce que sont devenues les courses depuis l’arrivée de l’outil : « stéréotypées », « ennuyeuses », « frein psychologique », « un putain d’outil de travail mais qui fausse la course ».
Déboule donc naturellement la question suivante : si ça pourrit autant les courses, pourquoi ne les interdit-on pas ? Ce n’est pas comme si on avait fait du vélo pendant plus d’un siècle sans les watts…
Les raisons sont assez simples : 1) Certains coureurs influents seraient perdus sans 2) Un peu comme les oreillettes ou la vidéo dans le football, c’est difficile d’aller contre la modernité 3) La fédération cycliste internationale n’est pas réputée pour sa capacité à prendre des décisions tranchantes
Pourtant, dans le peloton et les suiveurs, beaucoup sont pour. Parmi nos interlocuteurs du jour, c’est même le consensus.
« Je suis contre cette modernité, résume Dominique Arnould. Il ne faut pas aller trop loin. L’UCI devrait supprimer les capteurs de puissance et les oreillettes. On aurait alors un autre déroulement de la course. »
Amaël Moinard pousse le raisonnement un poil plus loin.
« « Je le rejoins entièrement, estime celui qui va prendre le départ de son neuvième Tour samedi. Je suis pour les capteurs de puissance mais dissimulés sous la selle pour pouvoir promouvoir notre sport. Les données sont un système de sécurité (NDLR : contre le dopage physique ou mécanique), les publier donne du crédit au cyclisme, elles permettent que les gens puissent comprendre un peu mieux notre sport. Mais à condition que les coureurs n’y aient pas accès en temps réel. Ils couraient plus à l’instinct et ça décadenasserait certaines courses. » »
Et puis ça éviterait quelques chutes à la con. « Les coureurs pensent parfois plus à rester fixés sur leur compteur pour savoir combien ils développent de watts plutôt qu’autour d’eux. Un petit moment d’inattention et ils touchent la roue du coureur devant et puis c’est la chute », conclut Arnould. Chute ! Chute du capteur de puissance à l’arrière du peloton ! On retrouve Nicolas Geay sur la moto 2.
Demain (5/5) : Attaquer dans les descentes est-il devenu hype ?