Ce qui a changé dans le Tour de France (3/5): Le peloton est-il devenu le monde des Bisounours?
CYCLISME•Mais bon sang, où est passé le vice?...B.V.
C’est la loi de tous les mois de juillet des années impaires. Sans foot et sans JO, notre été va se résumer au Tour de France, et puisqu’il faut remercier le ciel d’avoir inventé les congés payés et la plus belle course du monde en même temps, 20 Minutes a décidé de mettre le grand plateau pour faire monter la sauce avant le grand départ d’Allemagne. Chaque jour d’ici samedi, la rédaction s’arrêtera en détail sur une nouvelle façon de courir dans peloton en 2017.
>> Aujourd’hui : Le vice a-t-il disparu dans le vélo ?
C’est l’histoire d’un mec qui lâche son vélo sur le bord de la route, descend son maillot en bas des cuisses et s’accroupit derrière un talus pour poser une pêche à la fraîche. Ce mec, c’est Tom Dumoulin, et son affaire fut faite à 32 kilomètres de l’arrivée de l’étape reine du dernier Giro, au début de l’ascension du mythique Umbrailpass. Un « problème gastrique » (c’est joliment dit, hein ?) qui aurait dû l’éliminer de la grande bataille entre les leaders et lui faire perdre le Giro. Sauf que non : personne parmi les Nibali, Quintana, Zakarin ou Pinot n’attaque au mortier, le Néerlandais limite la casse à deux minutes et finira par remporter ce Tour d’Italie quelques jours plus tard.
La morale ? Le vélo est devenu un sport de garçons bien éduqués. Un grand nom a une petite chiasse : on l’attend. Quintana chute dans un virage : on l’attend. Froome, Porte et Mollema se font dégommer par une moto en pleine ascension du Ventoux : on les reclasse. Le génial magazine Pédale ! résumait ça avec de bien jolis mots dans son édition annuelle.
« Désormais, la bienséance imposerait de ne plus attaquer un rival victime d’incident mécanique, d’éviter toute jacquerie quand la chaussée glisse, de ne pas abuser de ses faiblesses de descendeur et pourquoi pas de rester poli après une mauvaise nuit ou une pâte de fruit mal digérée. »
Qu’a-t-on donc fait du vice dans le vélo? La victoire sale a-t-elle été sacrifiée sur l’autel du fair-play d’un sport qui n’en a pourtant jamais fait son étendard ? Qu’est devenu l’hélico bien orienté de la Raï qui avait permis à Moser de battre Fignon sur le Giro 1984 ? Qu’est devenu le Contador qui attaquait Schleck après un saut de chaîne ? Cité dans ce même édito, le boss de la FDJ Marc Madiot racontait un jour que « le vélo, c’est pas un sport de gentillesse ». Encore aujourd’hui ?
« Des garde-fous nécessaires pour garantir la probité de notre sport »
« Est-ce le vice qui a disparu ou le respect qui n’est plus là ? Le politiquement correct l’a emporté, tranche le coureur de la BMC Amaël Moinard. Dès qu’on n’est pas politiquement correct on est aussitôt stigmatisé par toute la bien-pensance ambiante. C’est se mettre beaucoup de monde à dos. Tout le monde a peur du négatif en termes de communication. Avec la société des réseaux sociaux, tout va super vite. Il y a un climat de méfiance. On ne peut plus prendre de risques de tout perdre, on sait qu’on aura le retour de bâton médiatique ».
D’autant plus que pour la première fois cette année, toutes les étapes vont être diffusées en intégralité. Autant vous dire que la moindre tentative de coup de pute sera mondialement diffusée. Et pénalisé par un paquet d’arbitres présents sur la course. Pour s’être remorqué à une voiture sur la Vuelta après une chute en 2015, Vincenzo Nibali a été exclu de la course. Pareil pour Romain Bardet, qui a bouffé l’aspiration de sa voiture sur le dernier Paris-Nice.
aDans un mot d’excuse publié sur les réseaux sociaux, le grimpeur français reconnaissait « cette pratique, trop souvent tacitement tolérée dans le peloton, trouve aujourd’hui des garde-fous nécessaires pour garantir la probité de notre sport. »
Ah, probité. Un mot tellement plus important au cyclisme qu’ailleurs. Moinard, toujours : « Notre sport a été tellement décrié, il y a eu tellement de polémiques de la fin des années 90 jusqu’au milieu des années 2000 que maintenant le monde du cyclisme a compris qu’il devait avoir une image plus clean dans tous les domaines, moins de coups bas et moins de triche. »
Et tout rentre ici dans le même panier : le dopage, le dopage mécanique, la petite triche, la grimace… Tout ce qui peut faire parler du vélo dans le mauvais sens est prohibé. « On essaye de redorer un blason, poursuit Steve Chainel, consultant sur Eurosport. On est enfin débarrassés du dopage, on ne va pas tout gâcher en s’attaquant pendant qu’un tel chie ou qu’un autre pisse. On arriverait vraiment à la fin du vélo. Je tire mon chapeau aux coureurs qui ne sont pas tombés dans cette guéguerre-là. »
Un aveu de faiblesse
Pour Amaël Moinard aussi, qui va entamer son 9e Tour de France samedi, le geste est « très classe » et « grandit tout le monde ». Le peloton est devenu une famille, une bande de potes avec quelques inimitiés au milieu, tout au plus. On ne parle donc plus de rivalités (et ce qu’elles engendrent de jalousies et de détestations) mais de respect.
« Il y a de moins en moins de bad boys, confirme Moinard. C’est plus lisse, plus mature. Personne n’a envie d’être le vilain petit canard. » « Attaquer quelqu’un qui a un problème, ce n’est pas du vice, c’est un manque de respect, poursuit Chainel. Le cyclisme est très difficile et quand on regarde le foot par exemple, il y a beaucoup de choses qui nous énervent. C’est presque l’inverse : il y a tellement de vice qu’on commence à en avoir marre, on ne veut pas tomber là-dedans. »
Alors pour continuer à un peu vibrer, on survend les petites histoires. Ces remorquages anecdotiques de Nibali ou Bardet, la polémique bidon sur Arnaud Démare qui se serait accroché à une voiture pour grimper le Poggio avant de remporter Milan-San Remo, l’an passé. On reproche gratuitement à Rui Costa d’être un suceur de roue et à Voeckler de faire la grimace même quand ça va bien. On rigole d’un coureur qui appelle sa voiture et tient le bidon trente secondes, on s’amuse de celui qui fait semblant d’être à fond pour ne pas prendre son relais.
Bref, rien de vraiment folichon ou pas comparable à « tomber pour obtenir un penalty quand il n’y a rien », poursuit Chainel dans sa métaphore foot.
En fait, maintenant, le vice est réservé à la queue de peloton. « Un aveu de faiblesse » pour mec en perdition, dixit Moinard. Chainel conclut : « Tout coureur au fond du trou s’est déjà accroché à sa bagnole. Moi-même j’avais qu’une envie, c’est de le faire. Mais à ce moment-là la course est déjà perdue depuis longtemps. »
Demain >> Les capteurs de puissance ont flingué la course, faut-il les supprimer?